Par Anna Zhdanova (Russie) – Le 19 juin 2016 – Source Oriental Review
Au cours des dernières années, tant l’Ouest que la presse russe libérale ont beaucoup parlé des barbares russes, comme pour contraster avec la civilisation européenne. Mais à y regarder de plus près, à travers le prisme des pages héroïques de l’histoire russe, si l’on observe les idéaux moraux des deux groupes, la vie réelle nous présente une image tout à fait différente.
Par exemple, à l’époque païenne, les Russes anciens n’adoraient pas un dieu de la guerre, bien que leurs contemporains en Europe aient été pétrifiés par leur propre divinité martiale, construisant tout un récit épique autour des concepts de guerre et de conquête.
Après avoir vaincu les infidèles (la Horde d’Or), les Russes n’ont jamais cherché à les convertir de force au christianisme. Dans le poème épique Ilya Muromets et Pagan Idol, le héros russe libère Constantinople de cette monstruosité mythologique, mais refuse de devenir le voevoda (ou le prélat) de la ville et retourne à la maison. La littérature russe ancienne ne comprend pas les contes d’enrichissement personnel par la conquête ou le pillage, bien que ce soit un thème commun dans les canons occidentaux.
Le héros de La chanson des Nibelungen est obsédé par sa recherche d’un trésor caché – le Rheingold, l’Or du Rhin. Le personnage principal de l’ancien poème anglais Beowulf meurt, ayant entrevu «les héritages magnifiques, le magasin d’or […] Maintenant j’ai troqué ici pour prix du trésor le dernier souffle de ma vie». Il ne viendrait à aucun héros d’une épopée russe de sacrifier sa vie en échange de richesses. Ilya Muromets n’est même pas en mesure d’accepter l’incitation offerte par les brigands qu’il rencontre le «trésor d’or, la robe richement colorée, et autant de beaux chevaux dont il aurait besoin» (citation du conte de fées russe Ilya Muromets et Nightingale le voleur). Il n’a pas hésité à rejeter le chemin qui l’aurait fait riche, au lieu de cela, il a pris volontairement la route sur laquelle il sera tué.
Et il n’est pas seulement question de cette épopée, mais aussi des légendes, des contes, des chansons, des proverbes, et de la sagesse populaire russe, où il est évident que le devoir de faire respecter son honneur personnel ou tribal est complètement distinct de toute obligation de vengeance personnelle ou tribale précise.
La notion de représailles, en tant que telle, est absente du folklore russe, comme si elle n’avait jamais fait partie du code génétique d’origine de son peuple – le champion des Russes a toujours fait la guerre comme un libérateur. Et en cela, nous pouvons voir la différence entre les Russes et les Européens de l’Ouest.
L’historien et philosophe russe Ivan Ilyin a écrit:
L’Europe ne peut pas nous saisir […] parce que la façon slave et russe de contempler le monde, la nature et l’homme, est quelque chose qui lui est étranger. L’humanité en Europe occidentale est motivée par la volonté et l’intelligence. Le peuple russe est surtout guidé par le cœur et l’imagination, reléguant l’esprit et la volonté au rôle de soutien. Par conséquent, l’Européen moyen est désarçonné par tant de sincérité, de scrupules et de bonté, les considérant comme des folies.
Un Européen, nourri des idéaux de Rome, méprise secrètement les autres nations et désire régner sur eux. Les Russes, cependant, dans l’ensemble attendent des autres, bonté, scrupule et sincérité.
Le peuple russe a toujours joui de la liberté naturelle du vaste espace qu’il habite… Il regarde avec émerveillement les autres nations, pour s’entendre avec elles aimablement, n’ayant de haine que pour les envahisseurs oppressifs…
Les relations sympathiques des Russes avec leurs voisins géographiques témoignent de leur sens de la justice et de la miséricorde. Le peuple russe n’a jamais commis les atrocités dont les Européens éclairés se sont rendus responsables sur les terres de leurs propres conquêtes.
La psychologie de la nation comprend un certain principe de contrainte morale. Ces gens dynamiques, naturellement forts, résistants, ont été doté d’une étonnante capacité à survivre.
Cette force spirituelle est aussi la base de la renommée des Russes pour leur patience et leur tolérance envers les autres.
Continuellement envahi de tous côtés et forcé de vivre dans un climat extrêmement rude, le peuple russe a réussi à coloniser de vastes étendues de terres, mais sans abattre, asservir, voler ou baptiser de force les autres nations.
Les politiques colonialistes des Européens de l’Ouest ont anéanti les populations autochtones sur trois continents et forcé les indigènes de toute l’Afrique à l’esclavage, alors que ses villes se sont enrichies sur le dos de ces colonies.
La nation russe, qui a également mené des guerres qui n’étaient pas purement défensives, a acquis, comme toutes les grandes nations, de grandes étendues de terre, mais n’a jamais traité les sujets conquis comme les Européens. Les peuples européens ont tiré profit des conquêtes de l’Europe, et ses villes ont été enrichies par le pillage colonial.
Les Russes n’ont volé ni la Sibérie, ni l’Asie centrale, ni le Caucase, ni les pays baltes. La Russie a conservé toutes les nations au sein de ses frontières, agissant comme leur protecteur, leur accordant le droit de posséder des terres et des biens et de pratiquer leur propre foi, leurs traditions et leur culture.
La Russie n’a jamais été un État nationaliste – elle a appartenu à tous ceux qui l’habitent. Le peuple russe ne s’est accordé qu’un seul avantage, celui de supporter la charge de la construction de la nation.
L’État qui en résulte n’a pas d’équivalent dans l’histoire du monde, et le peuple russe l’a toujours défendu avec son propre sang, sacrifiant volontiers sa vie.
Précisément parce qu’il a supporté tant de souffrances et de lourds sacrifices, mon peuple a compati profondément à la douleur et la souffrance des autres peuples croupissant sous le joug nazi.
Et après la libération de leur propre patrie, les Russes ont canalisé ce même esprit de sacrifice de soi et l’énergie pour la libération de la moitié de l’Europe.
Ce fut un exemple d’héroïsme épique ! Ce sont des gens vaillants, ceux nés de la terre russe ! Et je crois qu’un tel exploit ne peut être accompli même par une grande nation qu’une fois par siècle.
Le patriotisme affiché par des soldats russes dans la Grande Guerre patriotique a rencontré le plus haut idéal – quelque chose sans précédent dans l’histoire de toute nation partout dans le monde. Et je ne serai jamais d’accord avec les déclarations des médias, au sujet de la Russie barbare contre une Europe vertueuse.
Je suis fière que nos ancêtres – nos ancêtres héroïques – aient été si beaux, fermes, courageux et résilients, et que nous soyons leurs descendants !
Anna Zhdanova est, à 16 ans, étudiante d’une école supérieure dans la région de Belgorod (Russie centrale). Elle est lauréate d’un concours régional pour les jeunes journalistes.
Traduit par Hervé, vérifié par Wayan, relu par nadine pour le Saker Francophone
Note du Saker Francophone Il s'agit du point de vue d'une jeune Russe, avec son souffle et aussi ses propres œillères. On pourrait lui faire remarquer que ce ne sont pas LES Européens qui ont perpétré toutes ces atrocités mais DES Européens, et même une petite minorité. Mais là où elle touche juste, c'est que les forces qui ont généré ces exactions sont bien nées en son sein d'un trop plein de raison. Il va falloir réenchanter nos vies et nos rêves. Il est aussi dommage qu'alors que les processus d'acceptation de son histoire étaient en marche pour tenter de s'élever au dessus de sa condition humaine, certains politiciens sans vergogne tentent de profiter de cette relative faiblesse. Nous risquons fort d'assister à un retour de bâton aussi violent que soudain.
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