Le lampiste des accidents du Boeing 737 MAX…


… Un article de 14 000 mots sur le thème “Haro sur le pilote” blanchit Boeing sur le 737 MAX


2015-05-21_11h17_05Par Moon of Alabama − Le 18 septembre 2019

Le New York Times Magazine vient de publier un article de 14 000 mots sur les accidents du Boeing 737 MAX. Il est intitulé : Qu’est-ce qui a vraiment détruit le Boeing 737 Max ?

Mais l’article ne dit pas vraiment ce qui a conduit le Boeing 737 MAX à s’écraser. Cela n’explique pas les erreurs d’ingénierie de base commises par Boeing. Cela n’explique pas non plus son manque d’analyse de la sécurité. L’article ne mentionne pas non plus la délégation irresponsable à Boeing de l’autorité de certification par la Federal Aviation Administration (FAA) . Il n’y a aucune mention de la cupidité des entreprises qui est à l’origine de ces échecs.

Au lieu de cela, l’article est plein d’accusations diffamatoires contre les pilotes étrangers des deux avions 737 MAX qui se sont écrasés. Il éreinte leurs compagnies aériennes et les autorités de sécurité indonésiennes et éthiopiennes. Il ne fait que critiquer légèrement Boeing pour avoir conçu le système MCAS qui a entraîné la chute des avions.

L’auteur de l’article, William Langewiesche, était un pilote professionnel avant de se tourner vers le journalisme. Mais le texte contient tellement de calomnies qu’il aurait tout aussi bien pu être écrit par le service des relations publiques de Boeing.

L’article est également criblé d’erreurs techniques. Nous allons choisir les plus évidentes ci-dessous. Ce qui suit est donc un peu technique et peut-être trop ennuyeux pour nos lecteurs habituels.

Langewiesche décrit le système de compensation du 737 MAX et son mode de défaillance :

C’est un système de compensation qui s'est emballé. Le pilote contrecarre facilement ces défaillances - d’abord en utilisant le manche à balai pour contrer le piqué, puis en actionnant deux interrupteurs pour désactiver le MCAS avant de revenir au système de compensation manuelle de secours parfaitement capable. Mais il semble que pour une raison quelconque, l’équipage de Lion Air n’ait peut-être pas eu recours à cette simple solution.

Faux : le système de compensation manuelle ne fonctionne pas du tout lorsque le stabilisateur est totalement incapable de compenser – c’est-à-dire après l’intervention du MCAS – et / ou si l’avion vole plus vite que d’habitude. C’est pourquoi le régulateur européen, l’EASA, y voit une préoccupation majeure et souhaite la résoudre.

Langewiesche le sait. Il écrit plus tard, au sujet de l’un des accidents :

La vitesse, quant à elle, produisait de telles forces aérodynamiques sur les ailerons de queue que la roue de compensation manuelle manquait de la puissance mécanique nécessaire pour les surmonter, et la compensation était donc bloquée dans la position où le MCAS l'avait laissée.

Est-ce là un “système parfaitement capable” ?

Concernant la catastrophe du vol 610 de Lion Air, Langewiesche, écrit :

À 11 h 31, après 11 minutes de vol, Suneja utilise la radio pour la première fois. Il ne connaissait pas son altitude, a-t-il dit au contrôleur, car tous leurs indicateurs d'altitude affichaient des valeurs différentes. C'est peu probable et cela n'a jamais été expliqué.

Faux : la valeur donnée par un capteur d’angle d’attaque (AoA) est également utilisée pour calculer la vitesse et l’attitude d’un avion. Si l’un des deux capteurs AoA tombe en panne, les instruments du côté du capteur AoA défaillant, afficheront des valeurs différentes de celles situées de l’autre côté du cockpit.

Langewiesche le sait. Plus bas dans son article, il écrit :

Cette histoire commence en fait trois jours avant l’accident, lorsque le même avion - sous des numéros de vol et des équipages de Lion Air différents - a rencontré des erreurs de vitesse et d’altitude sur l’affichage du vol du commandant de bord (côté gauche) qui n’avaient pas été correctement traitées. Ces indications sont pilotées par une combinaison de capteurs à la surface de l'avion.

Est-ce «improbable» et inexpliqué ?

C’est une demande non fondée :

Boeing a estimé que le système MCAS était tellement inoffensif, même s’il fonctionnait mal, que la compagnie n’a pas informé les pilotes de son existence, et n'en a pas fourni de description dans les manuels de vol de l’avion.

Faux : Boeing a vendu le nouvel avion avec l’affirmation douteuse qu’il se comportait comme son prédécesseur. Il a laissé le MCAS en dehors du manuel car il ne voulait pas ajouter aux exigences [coûteuses] en matière de formation des pilotes, ce qui aurait contredit les affirmations de son marketing. En outre, Boeing n’a procédé à aucune évaluation de sécurité supplémentaire lorsqu’il a accru le pouvoir du système.

Une autre partie erronée :

Un ensemble de capteurs dupliqués indépendants pilote l’affichage du copilote (côté droit). Un troisième système de secours fournit une sauvegarde indépendante supplémentaire et permet un dépannage intuitif en cas de défaillance d’un des trois systèmes : si deux indications s’accordent et que la troisième ne s’accorde pas, cette dernière est évidemment à ignorer. Ce type d’arrangement aide à expliquer pourquoi piloter un Boeing n’est normalement pas un défi intellectuel. En outre, l’avion émet une alerte lorsque les indications de vitesse ou d’altitude ne concordent pas.

Il n’existe pas de troisième système général de secours sur le Boeing 737. Il existe un ensemble d’instruments de secours pour l’altitude et la vitesse. Mais ceux-ci donnent des valeurs non corrigées différentes de celles affichées sur les deux écrans de contrôle de vol. Ces valeurs sont calculées par deux ordinateurs de vol et chacun ne prend en compte que la valeur d’une seule sonde Pitot (vitesse) et d’un seul capteur AoA (angle d’attaque). Si un capteur AoA tombe en panne, les instruments d’un côté affichent une valeur incorrecte. Les instruments de l’autre côté afficheront des valeurs différentes mais, espérons-le, correctes. Les instruments de secours afficheront des valeurs non corrigées différentes des deux calculées.

Langewiesche décrit un vol précédent de Lion Air qui avait également connu une défaillance de MCAS, mais avait été sauvé par hasard :

Immédiatement après le décollage, les indications de vitesse du commandant de bord sont défaillantes, des avertissements de désaccord vitesse et de désaccord d'altitude apparaissent sur son écran de vol et le vibreur de son manche à balai commence à secouer les commandes en prévision d'un décrochage imminent.
 
Le commandant de bord de Bali était suffisamment aviateur pour se rendre compte qu'il ne s'agissait que d'un manque d'information - et non d'un décrochage réel. Aucune mention directe n’a été faite à ce sujet, mais il doit avoir immédiatement identifié l'ailette de l’angle d’attaque de son côté comme étant probablement coupable.

Faux : comment le pilote pourrait-il savoir cela ? Le pilote a remarqué une action automatique intermittente de compensation en piqué. Ce mode de défaillance ne figurait pas dans les manuels de vol et le pilote n’avait aucun moyen de l’attribuer à un capteur AoA. La réclamation est également contredite par une ligne du journal de maintenance du pilote :

Après s'être approché de Jakarta, le commandant de bord a informé un mécanicien de la compagnie du «problème de l'aéronef» et n'a noté dans le journal de maintenance que trois anomalies : les erreurs d'indication de la vitesse et de l'altitude pour le commandant de bord et l'allumage d'un voyant avertisseur lié à un système connu sous le nom de pression différentielle des commandes hydrauliques. C'était ça. Apparemment, le commandant de bord n’a rien signalé au sujet de la défaillance du capteur d’angle d’attaque nouvellement installé, de l’activation du vibreur, de l'emballement de la compensation ou de la position des commutateurs de débranchement de la compensation. Si cela est vrai, il est difficile de conclure que ce n’est pas une négligence grave et grotesque.

Le commandant de bord n’a rien noté concernant le capteur AoA (Angle d’attaque) car il ne savait pas qu’il était en panne.

Le commandant a mentionné un problème de compensation d’assiette, mais il n’avait jamais expérimenté un emballement du système. Un emballement classique d’assiette est un processus continu et régulier. Une intervention du MCAS, telle que celle l’a vécue le commandant, a été interrompue après 9 secondes. Mais les pilotes de ce vol ne savaient même pas que le MCAS existait. Le commandant de bord a signalé tous les symptômes de base qu’il a connus au cours de ce vol. Un emballement n’en faisait pas partie.

Langewiesche omet de mentionner, probablement intentionnellement, l’enregistrement supplémentaire du commandant, noté dans le journal de maintenance. Celui-ci a écrit :

"Vitesse et altitude peu fiable et en désaccord après le décollage, le STS se dirigeant également dans la mauvaise direction ...".

STS, le système de compensation de vitesse, interfère avec le stabilisateur d’assiette. Il le fait tout le temps mais de manière discontinue pendant tout vol normal. Le pilote a correctement décrit les symptômes de l’incident tels qu’il les a perçus. Ce ne sont pas les symptômes d’un stabilisateur qui s’emballe continuellement. Mais le pilote savait et documentait qu’il avait eu un problème intermittent de compensation. Il incombait au mécanicien d’analyser l’erreur sous-jacente et de corriger le système, ce qu’il a fait exactement.

L’attitude de l’auteur consistant à “blâmer les pilotes” est bien visible dans ce paragraphe :

Depuis lors, les critiques ont vivement blâmé la difficulté de contrer le MCAS lorsque le système reçoit de fausses indications de décrochage. Mais la vérité est qu’il est facile de contrer le MCAS - il suffit d’appuyer sur les fameux commutateurs pour l'arrêter. De plus, lorsque vous avez un journal de maintenance qui indique le remplacement d’un capteur d’angle d’attaque deux jours auparavant, puis vous avez un vibreur associé au manche à balai qui se manifeste tandis que le vibreur de l'autre manche ne réagit pas, vous n’avez pas besoin d’un voyant idiot pour vous signaler ce qui se passe. En tout état de cause, la reconnaissance d’un désaccord en matière d’angle d’attaque - quel que soit le choix des pilotes - n’a aucune incidence sur cet accident, nous allons donc poursuivre.

Une défaillance du capteur d’angle d’attaque (AoA) suivi d’un incident avec le MCAS entraînent les conséquences suivantes : un arrêt inattendu du pilote automatique, un avertissement de vitesse, un avertissement de désaccord sur l’altitude, un avertissement de décrochage et, après l’intervention du MCAS, également un avertissement de survitesse. Le manche à balai vibre, un claquement fort survient, plusieurs voyants clignotent ou deviennent rouges, plusieurs instruments de vol affichent des valeurs folles. Tout cela dans une phase de vol critique, immédiatement après le décollage, lorsque la charge de travail est déjà élevée.

C’est cette multitude d’avertissements, dont chacun peut avoir plusieurs causes, qui surprend un pilote et rend impossible le diagnostic et la correction pendant les dix secondes de fonctionnement du MCAS. Affirmer que le “MCAS est facile à contrer” est une erreur flagrante vu la charge de travail d’un pilote dans une situation aussi critique.

Après avoir blâmé les pilotes, Langewiesche éreinte les autorités de sûreté étrangères qui enquêtent maintenant sur les accidents du MAX :

Selon des sources proches des deux enquêtes, Boeing et N.T.S.B. ont été en grande partie exclus et se sont vu refuser l'accès à des éléments de preuve élémentaires tels que les enregistrements complets de données de vol et l'enregistrement audio du poste de pilotage. ...
 
C'est un espoir vain, mais on peut souhaiter que des enquêteurs comme ceux d'Indonésie et d'Éthiopie aient un jour assez de confiance en eux-mêmes pour mener des enquêtes complètes et transparentes et fournir toutes les données brutes associées aux accidents.

Je ne suis pas au courant d’un accident aux États-Unis où les enquêteurs de la FAA ont transmis “des enregistrements complets de données de vol et l’audio du poste de pilotage” à des entités étrangères soupçonnées d’être à l’origine de l’incident. La FAA ne “publiera pas non plus toutes les données brutes” associées à un accident. Certainement pas avant que l’enquête soit terminée.

Boeing s’est planté en concevant et en installant un système défectueux et dangereux. Il n’a même pas dit aux pilotes que le MCAS existait. Il insiste toujours sur le fait que la défaillance possible du système ne doit pas donner lieu à une formation sur simulateur de vol. L’échec de Boeing et la négligence de la FAA, et non des pilotes, ont provoqué deux accidents majeurs.

Près d’un an après le premier incident, Boeing n’a toujours pas présenté de solution que la FAA accepterait. Entre-temps, on a décelé davantage de problèmes de sécurité critiques sur le 737 MAX pour lesquels Boeing n’a toujours pas fourni de solution crédible.

Mais pour Langewiesche, cela n’a de toute façon pas d’importance. Il termine son article avec encore plus de badigeon “blâmez les pilotes” pour blanchir le “pauvre Boeing” :

Le 737 Max fait toujours l’objet d’un examen minutieux, et toute suggestion selon laquelle il pourrait s’agir d’une réaction exagérée, d’autres motifs inattendus ou de l’insuffisance des enquêtes indonésienne et éthiopienne est rejetée de manière sommaire. Pour couronner le tout, bien que les correctifs techniques aient été apportés au MCAS, d’autres imperfections à peine apparentées ont été découvertes et ajoutées aux problèmes de l’avion. 

Tout indique que la réintroduction du 737 Max sera extrêmement difficile en raison d'obstacles politiques et bureaucratiques énormes et généralisés. Qui en position d'autorité dira au public que l'avion est sûr ?
 
Je le ferais si j'étais dans une telle position. Ce qui s'est produit dans les deux avions accidentés était un échec classique des pilotes. En plein jour, ces pilotes ne pouvaient pas déchiffrer une simple variante d’une dérive d'assiette, finissant par voler trop vite à basse altitude, négligeant de réduire les gaz et entraînant leurs passagers dans l’oubli. Ils [les pilotes] ont été le facteur décisif dans ce cas - pas le MCAS, pas le MAX.

On se demande combien Boeing a payé l’auteur pour produire ce laïus.

Moon of Alabama

Traduit par jj, relu par Wayan pour le Saker Francophone

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