Le gel des actifs russes n’existe que dans les médias


Le 18 juin 2015 – Source: Fort Russ

Mettons les points sur les «i» en ce qui concerne la saisie d’actifs russes dans l’affaire Ioukos

Le siège de Ioukos Universal Limited à Moscou

Disons-le tout net, il n’y a pas de gel ni de saisie en tant que tels, et il n’y en aura sans doute pas. Je peux l’expliquer sans la moindre difficulté, mais le problème, c’est que nos journalistes sont plus intéressés par les grands titres que par les faits et l’interprétation correcte de ce qui se passe.

Définissons les termes : une saisie implique une situation dans laquelle, par une décision du tribunal (ou d’une autre autorité compétente), une personne morale ou physique perd la capacité de contrôler ses actifs. Qu’est-ce que nous avons dans le cas de la Belgique ? Nous avons des lettres envoyées par des huissiers à des dizaines d’organismes dont beaucoup sont européens (par exemple Eurocontrol), pour leur demander deux choses :

  1. Gérez-vous des actifs qui appartiennent à l’État russe ?
  1. Avez-vous des dettes envers l’État russe ?

Si la réponse à ces questions est positive, il leur sera ensuite demandé de transférer ces actifs aux huissiers de justice et/ou de rembourser leur dette non pas au gouvernement russe, mais à Ioukos.

Les organisations et les entreprises à qui sont envoyées ces lettres sont sélectionnées d’une manière très simple ; un clerc regarde la liste des toutes les entités juridiques du pays en se posant cette question : «Cette entreprise pourrait-elle avoir un lien avec la Russie ?», et s’il pense que c’est possible, il envoie une lettre.

Cela signifie également que les enquêteurs n’ont pas été en mesure de trouver ni de saisir quoi que ce soit par eux-mêmes et qu’il est donc nécessaire de recourir à cette humiliante quête d’information : s’il vous plaît, aidez-nous, nous sommes du bon côté, aidez-nous à tout saisir !

Une simple comparaison suffit à expliquer la situation. La banque X considère qu’Ivanov lui doit de l’argent et elle transfère sa dette à une société d’affacturage. Celle-ci s’aperçoit qu’ils n’ont pas de prise sur Ivanov lui-même, alors ils demandent à des membres de sa famille et des voisins: «Avez-vous quelque chose qui appartienne à Ivanov ? Ivanov vous a-t-il prêté de l’argent ? Si oui, rendez nous cet argent ! Et si par hasard il a laissé son vieux vélo sur votre balcon, donnez-le aussi !»

Soit dit en passant, la CEDH [Cour européenne des droits de l’homme], a presque immédiatement pris ses distances avec cette opération douteuse.

Très probablement, l’affaire fera des bulles dans les médias pendant encore quelques semaines et puis tout cela retombera quand les huissiers recevront des lettres qui diront toutes : nous n’avons aucun actif de la Fédération de Russie ni de dettes envers elle.

Compte tenu du fait que nous vivons à une époque d’une absurdité fascinante, il y a un risque (minime) que la justice bruxelloise ne s’arrête pas là et tente de saisir, par exemple, les actifs d’une paroisse de l’Église orthodoxe russe en Belgique. Selon le principe de réciprocité, la saisie et la nationalisation de quelque bien belge en Russie s’ensuivra, et on peut penser avec raison qu’il y a beaucoup plus d’actifs belges en Russie que russes en Belgique. Pensez une minute à la réputation que se forgent ceux qui font des choses pareilles ! Il ne faut pas sous-estimer les Chinois, les Brésiliens, les Arabes ni les Indiens – ils ont tous compris que demain, ils peuvent se retrouver dans la même situation que la Russie, sous un prétexte ou un autre, par exemple, le même conflit territorial en mer de Chine du Sud dans le cas de la Chine.

Conclusion : On peut estimer que l’incident se résoudra à 99 %, sans conséquences à long terme. Et tout le monde en parlera, de Yakounine et Leontiev jusqu’aux blogueurs ukrainiens et aux patriotes cinglés. Cela fait plaisir à tout le monde, sauf à moi qui suis obligé d’aborder ce sujet plutôt qu’un autre bien plus intéressant. 🙂

KR: On peut se demander s’il ne s’agit pas simplement d’un coup de pub de plus dans la guerre de l’information contre la Russie.

Traduction : Dominique Muselet

 

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