Le « faiseur de rois » est de retour


Muqtada Al-Sadr remporte les élections en Irak


 

Moon of Alabama

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Par Moon of Alabama – Le 14 mai 2018

Samedi, le peuple irakien a élu un nouveau parlement.

La victoire de la coalition Al-Sairoon 1 du chef religieux chiite Muqtada al-Sadr et du Parti communiste irakien a surpris tout le monde. D’après les résultats préliminaires, elle a obtenu 54 sièges au Parlement. Il y a 320 sièges au Parlement irakien et il faut former des coalitions multipartites complexes pour obtenir la majorité nécessaire pour élire un nouveau premier ministre.

L’alliance du Fatah dirigée par Hadi al-Amiri est arrivée en deuxième position avec 47 sièges. La coalition Nasr de l’actuel premier ministre Haider al-Abadi est troisième avec 42 sièges. Le parti de l’ancien premier ministre Maliki est à la traîne avec 25 sièges.

Deux, trois ou quatre des plus grands blocs devront trouver un accord de coalition qui intégrera également des douzaines de petits partis qui ont chacun deux ou trois sièges au Parlement.

Pour les étrangers, la politique irakienne peut paraître quelque peu étrange. La candidate du Parti communiste dans la ville sainte chiite de Najaf, Suhad al-Khateeb, porte un hijab. Elle est une descendante de la famille Marjaiyya 2, Saleem Adel. Le Parti communiste est allié à la populiste Moqtada al-Sadr. Elle a été élue au Parlement.

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Muntaza Al Zaidi (vidéo), le journaliste irakien qui, en 2008, a lancé ses chaussures sur George W. Bush (vidéo) a également été élu.

Il s’agissait de la première élection après la victoire contre EI en Irak. On craignait que les cellules souterraines de EI n’interrompent l’élection en attaquant les candidats ou les bureaux de vote, mais rien de grave ne s’est produit.

La participation a été catastrophique, seuls 44,5 % des inscrits ont voté. Les dernières élections ont eu des taux de participation supérieurs à 60 %. L’une des raisons pourrait être le côté générique et superficiel des campagnes électorales des partis de l’establishment. Il n’y a pas eu de débat sur les problèmes de fond et leurs solutions politiques. Heureusement, le sectarisme n’a joué qu’un petit rôle, et des candidats chiites ont remporté de nombreux votes sunnites et vice versa.

Les faibles taux de participation ont favorisé les partis et les personnalités ayant une forte audience directe. Ces partis devront maintenant conclure de nouveaux accords de coalition. Il est fort possible que le premier ministre Abadi, dont le parti a perdu beaucoup de sièges, reste dans son bureau et dirige un nouveau gouvernement de coalition au sein duquel il aura moins d’influence. C’est Muqtada al-Sadr qui en décidera.

Muqtada al-Sadr après avoir voté samedi – Pour agrandir

Muqtada al-Sadr, quarante-quatre ans, est le fils d’un grand ayatollah assassiné sous Saddam Hussein. Les pauvres de Bagdad forment la base politique traditionnelle des al-Sadres. Madinat al-Sadr, une ville de la banlieue de Bagdad, porte le nom de son père. Muqtada et ses partisans de l’armée du Mahdi ont combattu férocement les occupants américains ainsi que les gangs sunnites sectaires. En 2006, les États-Unis ont voulu le tuer et al-Sadr s’est enfui en Iran. Les médias américains l’ont qualifié d’« anti-américain », mais Sadr est simplement un nationaliste irakien. Il s’est installé à Qom pour étudier la théologie et tenter de s’élever dans la hiérarchie religieuse. Mais il ne brillait pas au plan académique et ses études n’ont servi à rien. Le gouvernement et les religieux iraniens ne l’aiment pas et le considèrent comme un instable et un ingrat.

Pendant l’occupation de l’Irak par les États-Unis, nous avons beaucoup parlé de Muqtada. Les commentateurs de Moon of Alabama l’ont surnommé Mookie.

Au cours des dix dernières années, Muqtada a adopté la position non sectaire traditionnellement associée à son père. Il a critiqué la corruption de la classe politique, mais en restant le plus souvent en dehors de l’arène. Muqtada s’est récemment associé aux communistes irakiens et à des candidats laïques. Sa coalition a fait campagne contre l’establishment. Son regain d’importance pourrait aider à éradiquer le clientélisme et la corruption qui paralysent depuis longtemps la politique irakienne.

Muqtada a de bons contacts avec les Saoudiens. Il a rencontré le Prince héritier Mohamad bin-Salman en juillet 2017 dans une salle de conférence de l’aéroport. Sans l’or et les paillettes qui accompagnent normalement la royauté saoudienne. On se demande quel camp a proposé ce modeste lieu de rendez-vous.

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Les Saoudiens vont probablement se rendre compte, comme tout le monde avant eux, que Muqtada est incontrôlable. Après ces élections, ni les Saoudiens, ni l’Iran, ni les États-Unis n’auront beaucoup d’influence politique en Irak. Bien que l’Iran ait des liens économiques et religieux forts avec l’Irak, son ingérence politique est très mal vue. Les États-Unis sont considérés comme des manipulateurs. Tout le monde croit qu’ils ont créé EI et al-Qaïda et la plupart des Irakiens veulent que toutes les troupes américaines partent.

L’Irak a beaucoup de sérieux problèmes. L’économie est en mauvais état. Du fait que les Turcs construisent de plus en plus de barrages en amont, l’eau se fait rare en Irak. Les Kurdes ne sont pas loyaux envers l’État irakien. Ils veulent se venger de ce que Bagdad leur a repris Kirkouk. État islamique va essayer de se réimplanter. Les menaces et les machinations américaines contre l’Iran compliqueront la politique étrangère irakienne.

Après les horreurs que le peuple irakien a connues au cours des deux dernières décennies et demies, il mérite vraiment la paix et un gouvernement qui se soucie de ses besoins. La position forte de Muqtada al-Sadr aidera à former un gouvernement moins corrompu et plus technocratique qui s’attaquera vraiment aux problèmes.

Le prochain gouvernement irakien tentera de tenir l’Irak à l’écart du conflit entre les États-Unis et l’Iran. Il n’y arrivera sans doute pas.

Traduction : Dominique Muselet

Notes

  1. Al-Sairoon, une coalition inter-sectaire fonctionnant sur une plate-forme anti-corruption
  2. La marjaiyya désigne la plus haute autorité religieuse dans le chiisme duodécimain. Le terme est forgé à partir de la notion de marja al-taqlid (« source d’imitation »), en référence à un dignitaire dont l’érudition, communément reconnue, l’autorise à émettre des avis suivis par les fidèles
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