Par Desmond Moore − Le 22 janvier 2018 − Source corporateeurope.org
La découverte de l’embauche litigieuse de l’ancien président de la Commission José Manuel Barroso par la banque d’investissement Goldman Sachs International avait provoqué une pression sans précédent de la part du public pour une réforme des règles éthiques de la Commission. Mais en lieu et place des mesures ambitieuses qui avaient été exigées, la Commission a fait preuve d’une année 2017 totalement inactive sur le sujet, trainant des pieds en attendant simplement que l’attention du public passe à autre chose.
Mais la pression en faveur de la réforme se poursuit au sein du Parlement européen, du bureau du Médiateur et de la société civile. Nombre de pistes de travail devront être intégrées sur l’année 2018, et parmi elles figurent des requêtes du médiateur européen [Ombudsman, NdT], ainsi qu’une discussion parlementaire sur l’emploi d’indemnités transitoires pour éviter les conflits d’intérêts, et enfin, la réaction du Parlement à la proposition de la Commission sur la réforme des règles éthiques s’appliquant aux commissaires européens.
Voici une liste des facteurs qui pourraient amener à une réforme de pur apparat en 2018.
Transparence feinte : mode d’emploi
La Commission européenne publie depuis 2015 la liste des nouveaux postes occupés par ses anciens dirigeants après avoir quitté leurs fonctions en son sein. Encensée comme grand pas en avant au moment où elle a été mise en place, l’implémentation de cette mesure est devenue un parfait exemple de fausse transparence.
Le rapport annuel le plus récent publié par ses soins remonte à la dernière semaine ouvrée de 2017, mais au lieu de répertorier les derniers départs, la liste ne présente que des informations de 2016. Elle ne présente également que des informations sur des critères très restreints : seuls y figurent les nouveaux postes tenus par des anciens dirigeants dont on avait apprécié et prouvé qu’ils pratiquaient des activités de lobbying correspondant à leur périmètre de responsabilité au cours de leurs trois dernières années de service. Pour l’année 2016, la liste ne comprend que 5 entrées, un chiffre qui apparaît comme bien faible au regard du nombre d’évaluations éthiques probablement réalisées sur une année entière.
Il manque les informations suivantes dans le rapport de la Commission même sous forme de statistiques de haut-niveau − les nouveaux postes qui ont été autorisés ou rejetés, les cas où de possibles conflits d’intérêts ont été trouvés − y compris s’ils ne correspondent pas à du lobbying ou à une campagne de promotion, les postes occupés pendant des congés sabbatiques, et les changements de postes public-privé-public des classes de personnel non considérés comme « hauts dirigeants » mais auxquels les mêmes règles éthiques s’appliquent.
Il n’est dès lors pas surprenant que le rapport ne répertorie que cinq cas, répertoriant quatre fonctionnaires. La Commission a également choisi de publier ce rapport durant la période des vacances de Noël, universellement connue comme anesthésiante pour l’attention du public et des médias, ce qui laisse pour le moins un goût amer. Tous ces éléments laissent à penser que le rapport de la Commission constitue un pur habillage, qui ne correspond à aucune transparence réelle, et n’améliore en rien le contrôle du public sur l’application des règles éthiques.
Voilà qui va, bien entendu, à rebours des recommandations du médiateur européen, émises dès 2012, réémises en 2014, qui précise que « la Commission ne devrait pas se restreindre à ne publier que les informations légalement requises au titre du nouvel Article 16(4) du Statut des fonctionnaires[29] ».
La médiocrité du rapport de transparence de la Commission est d’autant plus inexcusable qu’on a vu d’autres corps administratifs publier des informations plus complètes sur les nouveaux postes occupés par leurs anciens hauts fonctionnaires. Par exemple, au Royaume-Uni, le Comité consultatif aux recrutements privés [Advisory Committee on Business Appointments] publie une liste mensuelle des autorisations, comportant uniquement le nom du fonctionnaire, ses anciens et nouveaux titres professionnel et organisation, la date du changement ainsi que la décision qu’en a pris l’autorité.
Nous pensons, comme le médiateur, que la Commission européenne doit modifier sa manière d’appréhender le problème de transparence sur les va-et-vient entre public et privé. Ce changement doit impliquer une publication en flux tendu des occurrences qu’elle autorise, et le rapport annuel doit être employé à compiler des informations sur tous les cas évalués, et l’ensemble des conditions s’y afférant.
Nom | Fonctions à la Commission européenne | Nouvel employeur | Conditions |
Christina Tufvesson | Conseiller légal par intérim – services légaux | IM Swedish Development Partner | Rappel des 12 mois d’interdiction de lobbying sur toutes les activités menées au cours de ses 3 dernières années à la Commission |
Foundation Kvinna till Kvinna | |||
Péter Balás | Directeur général adjoint de la direction générale au Commerce & Conseiller Hors classe DG Devco, DG near, DG commerce | Institute for Applied Systems Analysis ( IIASA) | Abstention de contacts professionnels pour une période de 12 mois avec les collègues de la DG commerce sur les questions politiques en liant avec la Russie, l’Ukraine et l’Union eurasienne pour 12 mois (sic) |
Rappel des 12 mois d’interdiction de lobbying sur toutes les activités menées au cours de ses 3 dernières années à la Commission | |||
Covington & Burling | Aucun contact professionnel pendant 2 ans avec le personnel de la TG Trade dans le contexte de sa nouvelle activité | ||
Pas d’implication pendant 2 ans dans les sujets de Commerce, de Défense, ou de l’OMC lancés par la Commission européenne | |||
Rappel des 12 mois d’interdiction de lobbying sur toutes les activités menées au cours de ses 3 dernières années à la Commission | |||
Doit informer son employeur de ces limitations | |||
Robert Madelin | Directeur général de la DG CNECT & conseiller spécial au centre de stratégie politique européenne | EUROHUMPH SPRL | Pas d’implication pendant 18 mois sur aucun sujet ou discussion lié aux appels d’offres dans le cadre de la DG CNETC, pour les programmes de recherche et développement 2016 et 2017, et pas de participation à aucun projet financé par le programme de recherche et développement Horizon 2020 |
Abstention de 2 ans de conseil à ses clients sur les dossiers spécifiquement sous sa responsabilité pendant ses 3 dernières années à la Commission | |||
Rappel des 12 mois d’interdiction de lobbying sur toutes les activités menées au cours de ses 3 dernières années à la Commission | |||
Lieve Fransen | Director of DG EMPL | Plusvalue | S’assurer qu’il est clair qu’elle ne représente plus la Commission européenne (sic) |
Abstention de 2 ans de conseil à ses clients sur les dossiers spécifiquement sous sa responsabilité pendant ses 3 dernières années à la Commission | |||
Rappel des 12 mois d’interdiction de lobbying sur toutes les activités menées au cours de ses 3 dernières années à la Commission | |||
Abstention de divulgation d’informations confidentielles |
Tableau : retranscription de la liste publiée dans le rapport annuel de la Commission européenne
Quand on regarde les cinq cas présentés par le rapport de la Commission, on voit suinter l’insuffisance des règles en place et la fiabilité douteuse de leur application. Mise à part Christina Tufvesson, qui a pris des postes dans des organisations non lucratives, tous les hauts fonctionnaires ont été autorisés à embaucher dans des sociétés pratiquant un lobbying actif auprès de la Commission (Plusvalue, Covington & Burling, et Eurohumph, maintenant renommée en Madelin Innovation).
Fait particulièrement troublant, Péter Balás a été autorisé à devenir haut conseiller en politique « sur les aspects réglementaires des politiques commerciales multilatérales et bilatérales » pour l’un des plus grands cabinets d’avocats bruxellois. Il a rejoint ce cabinet en juin 2016, à peine quelques mois après avoir quitté son poste à la Commission.
De son coté, Robert Madelin a été quant à lui autorisé à créer sa propre société de consultance, Eurohumph − ultérieurement renommée en Madelin Innovation – avec carte blanche pour accepter des clients et des activités sans devoir en référer à la Commission. Divers articles de journaux publiés depuis lors indiquent que l’ancien directeur général est devenu, au travers de son cabinet Madelin Innovation, président et directeur de FIPRA International, une grosse société de lobbying. Comme ce travail est assigné à son cabinet de consultance et pas à sa personne physique, Madelin n’a eu aucune autorisation à obtenir.
Cette carte blanche donnée à Madelin présente en outre un contraste troublant avec d’autres cas, où d’anciens directeurs généraux avaient été autorisés à monter leur cabinet de consultance, mais restaient assujettis à autorisations pour chaque nouvelle activité pratiquée (comme Jonathan Faull, un ancien haut fonctionnaire ayant mené une carrière comparable à celle de Madelin). Voir l’analyse du poste par Corporate Europe Observatory ici.
Ces deux cas illustrent l’indigence et la mauvaise application des règles éthiques en vigueur pour le personnel quittant les rangs de la Commission, au plus haut niveau. En fait, cela soulève une seule question : de quelles caractéristiques devrait être affublé un poste pour qu’il soit enfin refusé ?
Le médiateur européen est actuellement impliqué dans une investigation de suivi des méthodes selon lesquelles la Commission gère les passages public-privé-public de ses hauts gradés, après en avoir été saisi suite à une plainte du Corporate Europe Observatory [auteur de cet article]. Nous attendons la publication d’un verdict en 2018.
Il est manifeste que des règles plus rigoureuses, interdisant plus largement les lobbies, et surveillant de plus près les nouvelles activités des anciens hauts-placés, sont nécessaires. Les cas cités ci-avant illustrent diverses failles et incohérences dans l’application des règles, où l’on voit les exigences et les conditions fluctuer dans tous les sens selon les cas. L’application des règles doit être plus stricte et plus cohérente.
Des indemnités pour éviter les conflits d’intérêts
En novembre 2017, le Comité aux Affaires Budgétaires du Parlement européen émettait un nouveau rapport, concernant le sujet souvent éludé des règles éthiques. Ce rapport était intitulé « Indemnités transitoires pour les anciens titulaires de charges de l’UE − pas assez de conditions ? ».
On appelle indemnité transitoire une somme d’argent, versée à des anciens fonctionnaires ou hommes politiques, au moment où ils quittent leurs fonctions. Il existe diverses justifications au système d’indemnité transitoire, le cœur en est que ces indemnités réduisent les motivations financières de ces anciens hauts-placés à accepter des postes pouvant présenter des conflits d’intérêts.
Le rapport du Parlement passait en revue les systèmes d’indemnités transitoires en place dans les institutions européennes, couvrant la Commission européenne, le Parlement, la Présidence du Conseil européen et le Secrétariat général du Conseil de l’Union européenne, la Cour de justice, la Cour des comptes, la Banque européenne d’investissement, la Banque centrale européenne, le Médiateur, et le Superviseur européen de la protection des données.
Les indemnités transitoires peuvent constituer des outils importants dans la prévention de conflits d’intérêts levés par les passages public-privé-public. Le Corporate Europe Observatory et la Alliance for Lobby Transparency and Ethics (ALTER-EU) bataillent depuis longtemps pour que ces mécanismes soient utilisés plus explicitement, et incitent à la mise en place de mécanismes stricts et appropriés de durées de mise en retrait.
Le rapport du Parlement est venu confirmer nos préoccupations : les indemnités transitoires sont mal appliquées, en particulier à cause d’une surveillance très insuffisante, et de par le fait que les anciens fonctionnaires et politiques de l’UE peuvent toujours accepter un poste présentant un risque de conflit d’intérêts.
Le rapport du Parlement fait également des suggestions utiles, parmi lesquelles :
- Harmonisation des règles entre les institutions de l’UE ;
- Vérification de l’usage des indemnités transitionnelles aux fins auxquelles elles sont prévues ;
- Définition d’indemnités transitionnelles qui empêchent dans les faits les anciens fonctionnaires ou décideurs de l’UE d’accepter de nouveaux postes incompatibles avec leur poste précédent ;
- Renforcement des relations entre les indemnités transitionnelles et les limitations à l’emploi à la sortie des institutions ;
- Amélioration de la surveillance du respect des indemnités transitionnelles, par exemple, en exigeant une « preuve de revenus » annuel, ainsi qu’une déclaration de revenus à jour.
Nous sommes dans l’attente de voir les suites que le Parlement européen va donner aux découvertes de son rapport. Il est évident que les électeurs − et contribuables − de l’UE risquent de ne pas apprécier de voir les anciens fonctionnaires recevoir des appointements après avoir quitté leurs fonctions, sauf à voir les revenus en question conditionnés à des obligations éthiques strictes. Le Corporate Europe Observatory accueille toute initiative visant à éclaircir cette relation et à en renforcer l’application.
La réforme qu’on attend toujours
Pour autant, le principal point d’attention de 2017 est resté la perspective d’une réforme des règles éthiques pour les anciens commissaires européens. Ce sujet a pris une place centrale après l’embauche de Barroso, ancien président de la Commission, chez Goldman Sachs.
Le président Juncker avait commencé par annoncer un léger fignolage sur les règles éthiques en novembre 2016. Cette réforme n’avait porté que sur une extension du délai durant lequel les anciens commissaires doivent prévenir la Commission de tout nouveau poste (deux ans pour les anciens commissaires, trois ans pour les anciens présidents de la Commission).
Alors que la Commission européenne acclamait cette proposition d’étendre ce délai, la décrivant comme amélioration majeure et comme solution définitive au « Barrosogate », rien de concret ne changea pendant presque un an. En septembre 2017, dans le discours de Juncker sur l’état de l’Union, le sujet avait finalement refait surface, avec une nouvelle proposition de réforme du Code de conduite des commissaires européens, dont l’application était prévue pour février 2018.
Malheureusement, il est à déplorer que cette réforme est décevante en ce qui concerne les passages public-privé-public. Elle se contente d’étendre légèrement le délai de notification qui avait déjà été annoncé en 2016, et à part cela, envisage uniquement de changer le nom du corps de conseil éthique à la Commission en « Comité éthique indépendant » [Independent Ethics Committee, NdT].
La réforme en vue de modifier le Code de conduite des commissaires européens a été élaborée à 100% au sein de la Commission européenne, a été discutée et approuvée uniquement par les membres de la Commission en poste, c’est à dire, par les personnes elles-mêmes dont les libertés d’actions seront limitées par ces règles. À ce qu’il apparaît, la définition de ce processus n’était pas de nature à laisser la place aux opinions d’experts indépendants, ou même de citoyens.
La seule étape restante pour la mise en application de ces nouvelles règles, prévues pour février, est l’opinion du Parlement européen, en attente en ce moment. Nous attendons sa prochaine publication et espérons que le Parlement défendra une réforme plus rigoureuse, exigée par des députés européens plusieurs fois. [La publication par la Commission de ces fameuses nouvelles règles le 31 janvier 2018. Conformément aux règles « démocratiques » en vigueur, le Parlement n’avait qu’un rôle consultatif , NdT].
Nous autres, du Corporate Europe Observatory, attendons des députés européens un appel à une extension additionnelle de la période de notification de deux à trois ans pour les anciens commissaires, et de trois à cinq ans pour les anciens présidents de la Commission. Et au delà de cela, le Parlement devrait exiger un renforcement des interdictions dans les activités de lobbying. Plus important encore, nous demandons qu’un comité éthique réellement indépendant soit mis en place, et non pas uniquement un changement de nom de l’instance par la Commission.
Le médiateur européen mène l’enquête
La dernière pièce du puzzle est l’enquête en cours par le médiateur européen, sur la gestion par la commission des passages public-privé-public des anciens commissaires. Cette enquête, lancée en février 2017, faisait suite à trois plaintes distinctes, dont une de la part d’ALTER-EU, qui critiquait toute une panoplie de problèmes procéduraux, depuis la gestion de l’embauche de Barroso par Goldman Sachs et jusque la gestion des conflits d’intérêts chez les anciens commissaires européens.
En juillet 2017, le médiateur posait par écrit à la Commission européenne une série de questions, tenant aux procédures de gestion des conflits d’intérêts au delà de la période de notification, et sur le rôle du comité éthique Ad-Hoc qui avait joué un rôle essentiel dans le contexte du Barrosogate.
La Commission européenne a depuis répondu au défenseur du citoyen, s’autoglorifiant une nouvelle fois des mesurettes ajoutées au Code de conduite et du renommage de son corps éthique comme s’il s’agissait d’améliorations importantes.
Le Corporate Europe Observatory et ALTER-EU restent convaincus que le système éthique défaillant de la Commission constitue un échec à mettre correctement en œuvre les traités européens, et que la réforme planifiée ne remédiera guère au Statu Quo, ni n’empêchera un nouveau Barrosogate.
Nous attendons à présent les conclusions du médiateur européen. [La réaction du médiateur est apparue ici le 15 mars 2018, NdT ].
Barroso revient en ville
Au cœur de l’affaire du Barrosogate se trouvait la possibilité qu’il ait été embauché par Goldman Sachs International pour réaliser du lobbying envers les institutions de l’UE ou conseiller les lobbyistes sur les meilleurs méthodes à utiliser dans ce processus. Au départ du scandale, le président Juncker avait annoncé que Barroso serait désormais considéré comme lobbyiste, et non pas comme ancien président, qui dispose normalement de certains privilèges.
En réponse à cela, Barroso avait répondu au président Juncker dans une lettre ouverte, affirmant qu’il n’avait pas été embauché pour réaliser des activités de lobbying. C’est ce document qui avait constitué la base de l’évaluation du nouveau poste de Barroso par le comité d’éthique ad hoc de la Commission, qui avait fini par considérer que son embauche par la banque d’investissement était acceptable.
Quelle nouvelle surprise, dès lors, de tomber sur des articles de journaux mentionnant le retour de Barroso à Bruxelles en octobre 2017… pour exercer des activités de lobbying envers Jyrki Katainen, le Commissaire européen à l’emploi, la croissance, les investissements et la compétitivité − moins d’un an après que son poste ait été approuvé, sur la base de sa promesse de ne réaliser aucune activité de lobbying ! Le lendemain même, un rendez-vous avec Goldman Sachs apparaissait dans l’agenda de Katainen, publié sur son site web, sur le thème « politiques de commerce et de défense ».
Nous avons depuis demandé à voir les échanges d’e-mails et les notes de rendez-vous entre le département de Katainen et la banque d’investissement, mais on nous a répondu que de tels documents n’existent pas, et que la rencontre avait été convenue par téléphone. Cette réponse laisse clairement à désirer.
La question reste : Barroso a-t-il rompu sa promesse ? Tout semble l’indiquer. Si tel est le cas, la Commission doit considérer cette preuve manifeste de la médiocrité de ses évaluations éthiques, et doit monter le curseur autorisant à la prise de nouveaux postes.
Qu’attendre de 2018 ?
Si l’on considère les porosités public-privé-public, 2017 n’a pas apporté les réformes promises. La Commission européenne à continué de traîner les pieds et s’est contentée d’attendre que l’attention du public se porte sur d’autres sujets. La balle est à présent dans le camp du Parlement européen et du médiateur européen − c’est de là que nous pouvons attendre un vrai appel au changement.
Mais il faudra encore que la Commission prête l’oreille à leurs recommandations. Nous ne devrions pas attendre le prochain scandale pour voir arriver la volonté politique de ces réformes.
Desmond Moore
Note du Saker Francophone Rien de vraiment nouveau sous le soleil, mais cet article − certes quelque peu naïf − a le mérite d'exposer des faits troublants et répétés. L'article se conclut en espérant ne pas avoir à attendre le dernier scandale, mais l'on peut aussi rappeler les précédents. On peut donc considérer tout ceci comme prolongement d'une longue saga, si l'on considère des dossiers comme ceux-ci, qui ne sont en rien exhaustifs mais que l'on perdrait à méconnaître : Madame Neelie Kroes (de nationalité néerlandaise), reconnue officiellement coupable par la Commission européenne − mais pas punie − d'en avoir violé les règles éthiques. Maîtresse d'un grand promoteur immobilier, lui même présumé membre d'une organisation criminelle pratiquant assassinats, enlévements, extorsions de fonds et blanchiment, Madame Kroes a osé déclarer qu'elle avait oublié l'origine des fonds qui lui avaient permis d'acheter des immeubles de bureaux à Rotterdam. Commissaire européenne à la concurrence de 2004 à 2010. Éclaboussée dès 2006 par ces diverses affaires mafieuses, Madame Kroes n'en a pas moins été promue vice-présidente de la Commission européenne et commissaire européenne à la société numérique au sein de la Commission Barroso II entre 2010 et 2014. Savoureuse, l'initiative en 2008 de M. Siim Kallas, alors commissaire européen en charge de l’administration, de l'audit et de la lutte contre la fraude, et vice président de la Commission, de créer un « registre européen des lobbyistes ». Les mesurettes agitées en 2017 par la Commission de M. Juncker ne sont donc pas les premières... Ce commissaire européen, qui n'avait « jamais vu écho d'affaires de corruption à Bruxelles » (sic !) en 2006, s'était quand même vu lui-même impliqué dans une affaire de disparition de fonds (restée largement non résolue) alors qu'il était président de la banque centrale d'Estonie, en 1993. M. Kallas avait été reconnu coupable dès 2001 de faux témoignage. Barroso lui-même n'est pas devenu président de la Commission européenne par hasard. Ancien président d'une association d'étudiants maoïstes, le portugais a vu sa carrière politique montante poussée par Frank Carlucci, alors ambassadeur des USA au Portugal, et qui est devenu depuis, en vrac, directeur adjoint de la CIA (1978-81), puis membre du groupe Carlyle. L'ambassadeur avait vu en ce jeune portugais le vecteur parfait d'une politique anti-URSS, si bien que ses études furent financées par... l'OTAN ! Barroso a toujours été très atlantiste... Dernier en date, le scandale Selmayr ; pour varier un peu les plaisirs, cette fois-ci c'est à un spectacle sur les critères d'entrée plutôt que de sortie d'un haut fonctionnaire européen que l'on assiste.
Loin d'être une simple « couche » de corruption et de conflits d'intérêts sur une institution globalement bienfaisante, l'histoire nous montre que ces pratiques sont ancrées dans le temps. Ancrées également dans l'étendue des activités régulatrices de la Commission, dont l'histoire récente ne manque pas d'exemples : affaires du Glyphosate, du Dieselgate, de l'autorisation de pesticides dans les produits BIO (la Commission, décidément, ça ose tout), affaire des brevets logiciels où la Commission européenne, bafouée en 2005 après une mobilisation des communautés de développeurs informatiques sans précédent, n'a toujours pas dit son dernier mot. Ce sont bien les lobbies qui, littéralement et à la virgule près, écrivent les lois à Bruxelles, et ce mécanisme de fonctionnement est étroitement lié avec tous ces conflits d'intérêts dont on reparle désormais régulièrement. À la vision de toute ceci, les pérégrinations médiatiques répétées entre la Commission et le « médiateur » apparaissent comme un spectacle dont on pourrait se gausser s'il n'était tragique, et dont les promesses de réformes, formulées depuis des dizaines d'années, n'engagent plus que ceux qui auraient la mémoire assez courte pour y croire... Quant à croire qu'arroser les fonctionnaires européens déjà grassement payés d'« indemnités transitoires » va limiter les conflits d’intérêts comme le propose l'auteur de l'article, le lecteur se fera sa propre opinion.
Traduit par Vincent pour le Saker Francophone
Notes