Le dominant génie « Israël d’abord » est sorti de sa lampe


Par Alastair Crooke – Le 18 septembre 2025 – Source Conflicts Forum

« Gaza est en feu ; l’État juif ne cédera pas« , proclame avec enthousiasme le ministre israélien de la Défense Katz : « Tsahal frappe d’une main de fer les infrastructures terroristes« . En fait, au cours des dernières semaines, Israël a frappé des « infrastructures » en Cisjordanie, en Iran, en Syrie, au Liban, au Yémen et en Tunisie en plus de Gaza.

Le soi-disant plan directeur de « l’Ordre fondé sur des règles » (s’il a vraiment existé, au-delà du narratif) a été déchiré en faveur d’un sionisme violent et génocidaire, d’attaques sournoises sous couvert de négociations de paix en cours, d’assassinats et de décapitation des dirigeants politiques. C’est une guerre sans limites, sans règles ni lois et au mépris total de la Charte des Nations Unies. Les frontières éthiques, plus particulièrement, sont rejetées comme étant du simple « relativisme moral« .

Quelque chose de profond est en train de remodeler la politique étrangère israélienne. La transformation doit être comprise comme un demi-tour au cœur même de la pensée sioniste (un voyage de Ben Gourion à Kahane), comme l’a écrit Yossi Klein.

La stratégie d’Israël des dernières décennies continue de reposer sur l’espoir de parvenir à une chimérique « déradicalisation » totale, qui transformerait à la fois les palestiniens et la région, en gros, une déradicalisation qui rendrait « Israël sûr« . C’est le « saint graal » des sionistes depuis la fondation d’Israël.

Le ministre israélien des Affaires stratégiques, Ron Dermer, affirme qu’une telle mutation radicale de la conscience ne pourra se faire qu’en bombardant les opposants jusqu’à la soumission totale. (Une leçon qu’il prétend tirer de la Seconde Guerre mondiale). Un aspect de la politique étrangère israélienne devient alors clair : c’est une « guerre dans la jungle« .

Mais il y a un autre aspect, peut-être plus troublant : ces normes et principes éthiques qu’Israël cherche ouvertement à déchirer sont, en dernier ressort, des normes et des valeurs proclamées par les Américains. De manière frappante, les États-Unis ont abandonné leur éthique traditionnelle en ce qui concerne Israël. Et plutôt que de critiquer ou de chercher à limiter l’utilisation par Israël de telles actions militaires contraires aux normes, l’administration Trump les imite ; des attaques sournoises sous prétexte de rencontres pour la paix, des tentatives de capitation et des frappes de missiles sur des navires inconnus au large du Venezuela, vaporisant l’équipage.

Les États-Unis aussi le font ouvertement, faisant ainsi un pied de nez, comme Israël, au droit et aux conventions internationales.

Il semble que des éléments clés de l’Establishment américain favorisent de plus en plus les stratégies militaires israéliennes et passent même de l’éthique morale prônant une « guerre juste« , dirons-nous, à une éthique plus proche de l’éthique hébraïque de « l’Amalek« . Cela revient à mettre à jour le « logiciel » moral occidental par « justice » alternative de guerre absolue.

L’État d’Israël a-t-il un avenir ? Israël mène maintenant une deuxième Nakba à Gaza et en Cisjordanie, la société juive restant piégée dans la répression et le déni ; tout comme elle l’était en 1948. L’historien israélien Ilan Pappe a écrit en 2006 dans son ouvrage fondateur sur la Nakba de 1948, l’importance fondamentale de “sauver [les événements de 1948] de l’oubli” :

Une fois la décision prise [le 10 mars 1948], il a fallu six mois pour achever la mission. À la fin, plus de la moitié de la population autochtone de Palestine, près de 800 000 personnes, avait été déracinée, 531 villages détruits et onze quartiers urbains vidés de leurs habitants. Le plan, et surtout sa mise en œuvre systématique dans les mois qui ont suivi, fut un cas manifeste d’opération de nettoyage ethnique, considérée aujourd’hui par le droit international comme un crime contre l’humanité…

L’histoire de 1948 n’est pas compliquée, c’est l’histoire simple mais horrible du nettoyage ethnique de la Palestine, un crime contre l’humanité qu’Israël a voulu nier et faire oublier au monde. Le sortir de l’oubli nous incombe, non seulement comme un acte de reconstruction historiographique ou un devoir professionnel très attendu ; c’est … une décision morale, la toute première étape que nous devons franchir si jamais nous voulons que la réconciliation ait une chance.

J’ai écrit récemment comment le documentaire controversé de la réalisatrice israélienne Neta Shoshani sur la Nakba de 1948 montrait que les frontières éthiques et juridiques israéliennes avaient été effacées dans un épisode de bain de sang et de viol. La perte absolue de l’éthique (il n’y avait ni comptabilité ni justice), dit Shoshani, a mis en péril la légitimité du projet fondateur de l’État. Répétée une deuxième fois, avec la guerre actuelle, elle prévient que cela « pourrait être celle qui met fin à Israël« .

Les commentaires de Shoshani font allusion au traumatisme ressenti par les juifs libéraux laïques lorsqu’ils sont témoins des normes et du mode de vie de leur société largement laïque et libérale bouleversés par le pivotement vers les objectifs militaristes et eschatologiques de la Droite israélienne. Le ministre des Finances Smotrich a récemment déclaré que le peuple juif vit « le processus de rédemption et le retour de la présence divine en Sion-alors qu’il s’engage dans la « conquête de la terre«  ».

De nombreux Juifs européens sont arrivés dans le nouvel État israélien pour y trouver sécurité et protection, mais ils sont également venus participer au projet sioniste en Palestine.

Pour l’instant, Netanyahu déclare qu’il a le soutien “à 100%” de Trump et un « crédit illimité » pour le tourbillon déclenché dans la région. Comme l’écrit Ben Caspit, citant un diplomate israélien de haut rang :

“Le fait que Rubio ait atterri ici quelques jours seulement après l’attaque [de Doha], et n’ait exprimé presque aucune critique, en réalité le contraire, offre un vent favorable à l’opération israélienne à Gaza. Israël n’avait jamais reçu une ligne de crédit aussi généreuse et aussi longue de la part d’aucune administration américaine”.

Et Trump semble s’éloigner du surnom de « pacificateur du monde » pour se concentrer plus étroitement sur la démonstration de la « grandeur exceptionnelle » américaine ; par le biais de taxes douanières, de sanctions ou d’opérations militaires, démontrant ainsi une Amérique dominante, sinon Grande.

Pourtant, les problèmes ne sont que trop apparents : au cours des années précédentes, Israël avait été largement relégué à l’écart lors de la Conférence sur le conservatisme national des États-Unis. Cette fois-ci, l’État juif et ses guerres ne pouvaient être évités. La dernière conférence sur le conservatisme a glissé dans la « guerre civile » entre les « réalistes » néoconservateurs soutenant Israël et ceux qui demandaient « Pourquoi sont-ce nos guerres ? Pourquoi les problèmes sans fin d’Israël sont-ils le passif de l’Amérique ? Pourquoi devrions-nous accepter [Israël comme faisant partie de] « L’Amérique d’abord »?« , comme l’a proclamé avec virulence le rédacteur en chef de The American Conservative. « On ne devrait pas ! »

La tension au sein du Parti républicain est évidente : les partisans du MAGA souhaitent soutenir Trump, mais les grands donateurs et commentateurs juifs, tels que le faucon pro-israélien Max Abrahms, se sont moqués des “isolationnistes du MAGA” fans de Tucker Carlson, lors d’une conférence, en disant que leur effort pour se désengager du Moyen-Orient les rendait « fous« .

Trump a averti Netanyahu que le génocide à Gaza faisait du tort à Israël parmi les Républicains, en particulier parmi les jeunes. Néanmoins, Trump n’a pas modifié son soutien indéfectible à Israël (pour quelque raison que ce soit), mais il a pris note de « l’ambiance » au sein de sa base.

Si Trump a effectivement remarqué le changement, Netanyahu s’en fiche. Comme le rapporte Amir Tibon dans Haaretz :

« Si Trump pense que ses commentaires sur la perte de « contrôle d’Israël sur le Congrès » seront un signal d’alarme pour Netanyahou, il se trompe. Les Israéliens n’avaient pas besoin de Trump pour savoir que leur pays perd la bataille de l’opinion publique mondiale”.

« Netanyahou et Ron Dermer se fichent de la perte du soutien international d’Israël, son isolement accru, les menaces de sanctions à son encontre et les mandats d’arrêt contre ses dirigeants (y compris Netanyahou lui-même). Les deux ne semblent pas s’en soucier, et la raison, ironiquement, est l’homme qui tire la sonnette d’alarme : Donald Trump”.

“Du point de vue de Netanyahou, tant qu’il a le soutien de Trump, rien de tout cela n’a d’importance”.

Eh bien, les guerres d’Israël ont perdu une génération de jeunes conservateurs américains et ils ne reviendront pas sur leur avis. Quelles que soient les circonstances de l’assassinat de Charlie Kirk, sa mort a libéré le génie « Israël d’abord » qui s’est échappé de sa lampe pour semer la zizanie dans la politique républicaine.

Quand Netanyahou en prendra conscience, il constatera alors qu’Israël a perdu l’Amérique (et le reste du monde aussi).

Alastair Crooke

Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.

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