Le danger État Islamique persistera même après la libération de la Syrie et de l’Irak


Par Elijah J. Magnier – Le 11 juin 2017 – Source Son blog

Malgré les opérations militaires en cours en Syrie et en Irak qui se déroulent quotidiennement dans le vaste territoire sous le contrôle d’« État islamique » (EI), ce dernier a pu toucher des cibles éloignées dans le monde islamique et jusqu’en Europe et en Asie. Malgré sa perte de territoires, le monde est confronté – et continuera à l’être – à une idéologie adoptée et incarnée par une organisation qui a réussi à attirer des jeunes hommes et femmes, à susciter leur émotion, à mettre le feu à leur haine et leur colère et à secouer la stabilité des frontières géographiques établies. Nombreuses en sont les raisons, mais le monde occidental ne veut pas faire attention à certaines d’entre elles qui mettent en évidence sa complicité dans la propagation de cette idéologie et des conséquences qu’elle entraîne, conséquences pouvant frapper toutes les sociétés, sans faire de différence.

Selon des estimations non officielles, entre 40 000 et 50 000 hommes et femmes ont rejoint les rangs d’EI, dont environ 5 000 à 6 000 en provenance d’Europe, plus de dix mille de Russie, du Caucase et des milliers du Maghreb, du Moyen-Orient, d’Asie, d’Australie, des États-Unis et même des Maldives. Ils s’ajoutent aux dizaines de milliers de combattants qui l’ont rejoint en Irak (le pays berceau) et en Syrie (le pays par extension géographique). L’organisation a réuni environ 100 000 combattants, pouvant ainsi contrôler de vastes territoires en Syrie et en Irak, et a subi des dizaines de batailles, sur plusieurs fronts, pendant quatre années consécutives de guerre ininterrompue.

Ces chiffres représentent un bond sans précédent dans l’histoire contemporaine de la polarisation et du recrutement par une organisation islamique extrémiste qui détient une certaine doctrine et appelle à un « État islamique d’est en ouest ». Pendant la guerre d’Afghanistan par exemple, au début des années 1980, très peu d’immigrants ont rejoint les rangs des Moudjahidines : pas plus de 250 à 300 combattants de différentes nationalités. De toute façon, cette énorme augmentation est due à de nombreuses raisons qui n’étaient pas valables à l’époque des « Afghans arabes » et des Muhadjirines (les combattants étrangers rejoignant la guerre sainte – Djihad) de l’occupation soviétique.

La première raison évidente ayant contribué à la promotion de ce phénomène est Internet, qui a permis une communication gratuite et immédiate entre les peuples du monde entier. La deuxième raison est la crédulité des médias et leur manque d’engagement dans la transmission de faits, dans la politisation rampante qui se répand dans les médias et chez les analystes. La troisième et la plus importante raison concerne l’occupation des pays du Moyen-Orient (la guerre d’Irak de 2003, la guerre contre la Libye et contre la Syrie), l’intervention occidentale avec des soldats sur un sol étranger et la politique de changement de régime suivie par le président George W. Bush, et la politique similaire adoptée aujourd’hui par le président actuel, Donald Trump.

Internet

Le monde s’est réveillé très tard, pour réagir contre la façon dont EI (comme al-Qaïda) utilise les médias sociaux et l’évolution du développement de la communication (internet et toutes les facilités annexes) pour partager des images de son combat, de ses principes et de ses idées. Internet est l’outil le plus puissant utilisé pour attirer les jeunes et les familles, non seulement pour se joindre à un « État islamique », mais aussi pour dénoncer « l’injustice et les abus dont les musulmans souffrent au Moyen-Orient, en raison de l’ambition occidentale d’occuper des terres et de tuer des musulmans, sans avoir à rendre des comptes ». EI a également appelé à un « soulèvement islamique dans le monde entier et au retour du règne glorieux de l’islam » qui existait il y a plus de 1 400 ans.

EI a bénéficié de l’expérience incommensurable de sympathisants qui ont choisi de rejoindre ses rangs ; des médecins, des ingénieurs, des diplômés universitaires et beaucoup de gens de tous les horizons, y compris des experts compétents en propagande. Ceux-ci ont servi EI et ont réussi à publier régulièrement un magazine, des émissions radios et des courts métrages, en de nombreuses langues. Ils ont investi les populaires jeux électroniques avec des images de combats et de tueries se déroulant dans la vie réelle. Une abondance de matériel informatif émane quotidiennement d’EI, via Internet, pour lancer des idées et des messages vers tous les foyers, sur tous les continents, pouvoir auquel aucun groupe n’a jamais eu accès précédemment. EI a utilisé « Live Killing » pour projeter son pouvoir sur ses ennemis faibles. Le groupe terroriste a été « innovant », dans ses différentes manières de tuer, pour montrer la toute-puissance du groupe et sa capacité à contrôler la vie et la mort d’une grande partie de la population en Mésopotamie et Bilad al-Sham. EI a projeté une image de « belle vie », souhaitée par de nombreux êtres (de nombreuses femmes et esclaves, le partage des gains de guerre, un salaire, un logement, le bien-être social, la sécurité sociale, l’enseignement, partager avec une nouvelle famille et une nouvelle société) et la tranquillité sous son « État », ceci pour répondre aux rêves de jeunes intellectuels sans emploi. Ceux-ci ont rejoint le groupe pour « faire quelque chose, lutter contre l’injustice, échapper au harcèlement à la maison, améliorer leur vie » ou pour contribuer à la renaissance d’un monde islamique apparemment maltraité et violenté par l’Occident.

EI a pu atteindre un grand nombre de partisans dans de nombreux pays sans avoir à y pénétrer, tous prêts à servir « l’État du Califat » et à en faire partie. Pour beaucoup, on ne leur a pas demandé d’être les pratiquants d’une foi islamique robuste. Un grand nombre d’entre eux ne la pratiquaient pas et n’en connaissaient pas les règles et exigences. Beaucoup d’entre eux – en particulier ceux qui ont réussi à rejoindre EI en Irak et en Syrie – ont eu besoin de cours religieux intensifs, comme le groupe l’a montré dans plusieurs de ses vidéos de propagande. Les jeunes ont été recrutés par leur propre volonté et enthousiasme ou influencés par des amis ou des membres de leur famille. Les « loups solitaires  » qui ont attaqué l’Occident ont été recrutés sur leurs lieux de résidence, par Internet, alors même que la plupart d’entre eux n’étaient pas vraiment croyants et sont nés et ont été élevés dans le pays même où ils ont commis leurs actes terroristes.

Malheureusement il était déjà trop tard, lorsque les services de sécurité ont finalement accordé suffisamment d’attention au pouvoir d’Internet et à son danger, pour commencer le processus de contre-propagande et de contrôle. Les gouvernements occidentaux ont largement contribué au soutien direct et indirect au terrorisme en utilisant Internet pour promouvoir leurs propres politiques au Moyen-Orient, principalement dans leur approche de la guerre en Syrie et la manière dont cette guerre a été menée.

Les médias grand public et leur rôle

La façon dont les médias traditionnels ont géré la guerre en Irak et surtout la guerre en Syrie a eu un rôle dévastateur et une influence négative sur diverses communautés dans le monde, principalement sur celles qui étaient considérées comme des radicaux passifs mais qui ne sont jamais entré en action. La couverture médiatique a encouragé les « loups solitaires » et a contribué à fournir des raisons valables aux grands convois qui ont rejoint l’exode vers « la terre du Califat ». Les médias ont aidé à tromper les jeunes en diffusant des nouvelles non vérifiées et fausses, liées à la guerre en Syrie et, ce faisant, ont abandonné leur responsabilité à l’égard de la profession. Les informations ont été largement partagées, conforme à la « ligne de conduite du journal / télévision », sans refléter nécessairement la réalité et, dans de nombreux cas, en l’absence de journalistes sur le terrain. L’information était considéré comme exacte si elle venait des sources activistes et les rôles ont été inversés : les journalistes sont devenus des activistes et vice versa.

Le désir de nombreux pays de destituer le président syrien Bachar al-Assad et de changer le régime a débordé le professionnalisme. Les journalistes sont devenus actifs sur les médias sociaux, répandant leurs fausses nouvelles et leurs « dernières nouvelles » sur les événements en Syrie et en Irak, alors qu’ils se trouvaient à des milliers de kilomètres, sans forcément vérifier leurs sources, pourvu qu’il s’agisse de la narrative globalement convenue. La laideur de la guerre en Syrie et en Irak a été exposée, car il s’agissait d’une sorte de jeu et de compétition : à celui qui diffusera l’information en premier et qui pourra rassembler le plus grand nombre de morts en une seule photo, en attribuant bien sûr la faute à l’État syrien. C’était une machine de propagande, négligente quant à l’effet de son action sur l’esprit des jeunes, assis à la maison et affectés par l’événement, voulant « réagir et faire quelque chose ». EI ne peut pas être plus reconnaissant pour avoir l’intégralité du flux médiatique grand public fonctionnant au service de sa propre propagande. Les sympathisants d’EI ont utilisé le matériel publicitaire disponible à leur propre bénéfice et pour alimenter leur propre narrative : un outil de recrutement parfait, gratuit, puissant, atteignant chaque maison.

La politique étrangère et les changements de régime

C’est le cœur du problème que les analystes, les médias et les experts oublient délibérément, ou même cachent, au cours de leur analyse des facteurs contribuant à la croissance du terrorisme. Ceux-ci ignorent ce que l’ancien président américain Barack Obama n’a pas hésité à reconnaître lui-même : « EI est la conséquence imprévue de la guerre dirigée par les États-Unis contre l’Irak », en 2003. Les analystes du terrorisme s’appuient sur « l’islamophobie », ont analysé le phénomène du « loup solitaire » et étudié les raisons de l’embrigadement massif par EI, mais négligent délibérément la politique et les décisions des dirigeants des démocraties libérales dans le traitement des problèmes au Moyen-Orient, en particulier en Irak, en Libye et en Syrie.

De toute évidence, les raisons expliquant le terrorisme sont nombreuses et ont été approuvées par des experts spécialisés dans les études sur le terrorisme. Mais il n’en demeure pas moins que le « meurtre au nom de l’islam » a débuté après le meurtre de centaines de milliers de musulmans dans leurs maisons. Sous l’excuse de démanteler l’arsenal d’armes de destruction massive, le régime en Irak a été renversé, suivi de la Libye, où le monde a soudainement découvert, en 2011, la dictature de Mouammar Kadhafi, pour finir en Syrie où les dirigeants ont promu le renversement d’Assad et ont offert comme alternative l’islam radical d’EI et d’al-Qaïda.

À chaque fois, les soldats américains prenaient part à ces événements, sur le terrain ou dans le ciel, participant aux changements de régime, construisant des bases militaires et occupant plus de territoires, mais laissant derrière eux un terrain fertile pour laisse proliférer et se développer des mouvements terroristes, comme l’ont fait EI et al-Qaïda. Encore aujourd’hui, les États-Unis et l’Europe n’ont pas appris de l’histoire et veulent encore occuper un territoire : ils ont mis en place quatre nouvelles bases militaires en Syrie et sont prêts à s’implanter en Bilad al-Sham, sous prétexte de récupérer les zones occupées par EI. Mais EI ne sera pas totalement anéanti et ces nouvelles forces d’occupation seront confrontées à une insurrection plus forte et plus expérimentée : l’histoire se répétera.

En l’absence de justice et dans un climat de guerre constant, l’idéologie d’EI semble cohérente et puissante, capable de recruter et de se régénérer. Ces organisations radicales sont composées de personnes intelligentes et éduquées, capables de s’adapter à de dures conditions et aux mesures de sécurité prises contre leurs méthodes pour développer d’autres méthodes, ceci tant que les politiques occidentales continuent à promouvoir des changements de régime par une intervention extérieure.

Chaque jour, au Moyen-Orient, il y a une attaque comme l’attaque de Manchester, celle en Iran, en France et d’autres attentats terroristes à travers le monde. Chaque jour, des dizaines de civils sont tués en Irak et en Syrie. EI a démontré sa capacité à planifier et à exécuter, en recrutant le plus grand nombre d’attaquants suicides dans l’histoire de l’humanité, tous prêts à se faire exploser pour leur cause. Si nous prenons la dernière attaque terroriste en Iran, EI était directement derrière les attaquants qui ont pu examiner attentivement les faiblesses de la sécurité, entrer dans le parlement et filmer, pour que l’attaque terroriste soit diffusée en direct par A’maq, l’agence média d’EI.

EI est parfaitement capable de planifier, coordonner et synchroniser des attaques, comme au Bataclan et à Bruxelles. Les loups solitaires sont également capables de planifier et de déclencher des attaques terroristes massives avec un grand nombre de victimes comme à Nice et à Manchester. L’objectif est de provoquer la terreur sur un public toujours plus large, par un grand nombre de victimes.

Si les États-Unis ne reconsidèrent pas leur politique étrangère et conservent, comme de nombreux analystes du terrorisme, leur tête dans le sable, ignorant les implications réelles de l’expansion du terrorisme, EI va frapper encore et encore. Si le groupe terroriste a pu attirer des dizaines de milliers de personnes en si peu de temps et les embrigader physiquement et intellectuellement à sa cause, la nouvelle version d’EI – après sa défaite en Syrie et en Irak – pourrait être encore plus agressive et dangereuse pour les sociétés. Il est temps de se réveiller et d’apprendre de l’histoire le pouvoir de la vengeance.

Elijah J. Magnier

Note du Saker Francophone

Ce genre d'article explique parfaitement la stratégie et la genèse d'EI mais par ce fait, il justifie presque son existence et sa normalité. Il est étonnant qu'il ne se pose pas plus de question concernant le partenariat objectif entre EI et les gouvernements occidentaux, partenariat au Moyen-Orient, où EI se jette ou est jeté, sur toutes les structures étatiques ne collaborant pas avec le "système" et ses alliés et justifiant en plus une présence militaire, et partenariat en occident où les attentats justifient les états d'urgence, lois liberticides autrement impossibles à imposer. Merci qui ?

Traduit par Wayan, relu par Catherine pour le Saker Francophone

 

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