Par Craig Murray − Le 31 mai 2023
Trois journalistes britanniques que je connais personnellement – Johanna Ross, Vanessa Beeley et Kit Klarenberg – ont chacun, au cours des deux dernières années, été détenus pendant des heures par les services d’immigration à leur retour dans leur pays, et interrogés par la police en vertu de la législation antiterroriste.
Il s’agit manifestement d’un abus du pouvoir de détention au point d’entrée, car dans chaque cas, ils auraient pu être interrogés à tout moment au Royaume-Uni s’il y avait un motif légitime, et l’interrogatoire n’était pas axé sur leurs voyages.
Ils ont en fait été détenus et interrogés simplement pour avoir exprimé et publié des opinions dissidentes sur la politique étrangère, et en particulier pour avoir soutenu une approche plus collaborative avec la Russie – avec laquelle, ne l’oublions pas, le Royaume-Uni n’est pas en guerre.
Ces détentions ont eu lieu sur une période de deux ans. Elles étaient toutes ciblées sur le journalisme et il s’agit manifestement d’une politique continue de harcèlement des journalistes britanniques dissidents.
Au cours de cette même période, j’ai été interrogé trois fois par la police à mon domicile d’Édimbourg pour des raisons journalistiques, sur trois sujets distincts. J’ai passé quatre mois en prison pour avoir rendu publiques des informations essentielles montrant qu’une conspiration de haut niveau était à l’origine des fausses accusations portées contre le dirigeant indépendantiste écossais Alex Salmond.
Julian Assange est toujours incarcéré dans une prison de haute sécurité pour avoir rendu publique la vérité sur des crimes de guerre. Pendant ce temps, le Parlement de Westminster examine un nouveau projet de loi sur la sécurité nationale qui rendra illégal le fait pour un journaliste de posséder ou de publier des informations classifiées.
Cela n’a jamais été illégal. La responsabilité a toujours incombé au lanceur d’alerte ou à l’auteur de la fuite, et non au journaliste ou à l’éditeur. Cette loi vise à inscrire dans le droit britannique ce que le gouvernement américain cherche à obtenir contre Assange en recourant à la loi américaine de 1917 sur l’espionnage. Il s’agit d’une menace énorme pour le journalisme.
Il convient également de souligner que si Evan Gershkovich [Le journaliste étasunien détenu pour espionnage en Russie, NdT] ne faisait rien de plus que ce qu’il prétend avoir fait en Russie, cette action lui vaudrait une longue peine de prison, que ce soit aux États-Unis ou au Royaume-Uni, en vertu des dispositions que les deux gouvernements tentent d’appliquer.
À cela s’ajoute le projet de loi sur la sécurité en ligne qui, sous couvert de protection contre la pédophilie, exigera des gardiens des médias sociaux qu’ils suppriment tout type de contenu jugé illégal par le gouvernement.
Si l’on ajoute à cela la nouvelle loi sur l’ordre public, qui donne à la police le pouvoir d’interdire toute manifestation qu’elle souhaite, on constate un changement fondamental.
Il ne s’agit pas seulement d’une restriction théorique de la liberté. L’application active de la loi contre les discours non approuvés est déjà en cours, comme le montrent ces détentions et, surtout, l’incarcération continue et épouvantable de Julian.
Pour compléter l’horreur, il n’y a plus de véritable opposition au sein de la classe politique. Le parti travailliste de Keir Starmer ne s’oppose en rien à cette vague d’attaques contre les libertés civiles. Le SNP a envoyé des réponses identiques de ses députés sur Julian Assange, soutenant à 100 % la position du gouvernement britannique sur son extradition et son emprisonnement.
Je ressens cela très personnellement. Je connais toutes les personnes concernées – Julian, Alex, Kit, Vanessa, Johanna – et je les considère comme des collègues dont je défends les droits, même si je ne suis pas toujours d’accord avec leurs opinions divergentes.
Deux autres personnes que je connais personnellement et que j’admire sont attaquées. La campagne de mensonges et d’insinuations menée contre Roger Waters [Le bassiste des Pink Floyd, NdT] ces dernières semaines a été stupéfiante tant par sa méchanceté que par son caractère mensonger, rappelant les terribles attaques dont Jeremy Corbyn a fait l’objet.
Plus banal mais relevant du même phénomène, mon ami Randy Credico a vu son compte Twitter supprimé.
Être un dissident au Royaume-Uni, ou même en Occident, aujourd’hui, c’est voir, chaque jour, ses amis persécutés et les murs se refermer sur soi.
Une classe politique unifiée, contrôlée par des milliardaires, nous précipite vers le fascisme. Cela me semble désormais indéniable.
Craig Murray
Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.