Le coup d’état « secret » de Victoria Nuland en Géorgie

Par Henry Kamens – Le 4 mars 2015 – Source NEO

Attention! Quelque fois elle mord…

L’ancien président de Géorgie Mikheil Saakachvili répète depuis six mois qu’il reviendra dans six mois! Aucune élection n’est prévue et il ne peut pas redevenir président. Maintenant, malheureusement, nous savons ce qu’il entendait par là.

Le 17 février, Victoria Nuland, la Secrétaire d’État adjointe états-unienne, s’est rendue à Tbilissi. Elle est surtout connue pour être une ardente partisane du coup d’État de Kiev d’il y a un an, qui a amené le renversement violent du président alors en exercice, Victor Ianoukovitch, et la poursuite des affrontements dans ce pays proche de la faillite. Elle est apparue à Tbilissi au moment où Saakachvili est devenu officiellement conseiller du nouveau président de l’Ukraine, Petro Porochenko.

La notoriété de Nuland comme fantassin sur le terrain la précède. Elle et son mari, Robert Kagan, sont des produits du régime néocon Bush-Cheney. Ils sont étroitement liés à sa mentalité très 1984 de guerre permanente, qui constituait la base de la stratégie de défense définie par le Département de la Défense de Cheney dans les tout derniers jours de l’administration Bush, le désormais fameux Projet pour un nouveau siècle américain.

Nuland et Kagan souscrivent tous les deux à la vieille doctrine de la destinée manifeste sur laquelle est basé ce document. Selon celui-ci, l’Amérique doit rester le leader incontesté du monde, parce que c’est la raison d’être de l’Amérique. En tant que diplomate, elle a été employée au service des intérêts de l’Amérique, mais, comme de nombreux fonctionnaires représentant les États-Unis, elle est partie du point de vue que les intérêts états-uniens sont les seuls, qu’il n’existe pas quelque chose comme un intérêt général ou même un intérêt plus large, ainsi qu’en atteste sa fameuse saillie de l’an dernier, «Fuck the EU!».

A la fin de février, le magazine allemand Der Spiegel l’a décrite comme la diplomate de la révolte de l’Amérique – un sobriquet qui peut signifier à la fois que Nuland agit de manière perturbatrice et qu’elle provoque les soulèvements actuels (comme sur le Maïdan en Ukraine). La rubrique Politique  [du Spiegel] a relevé que Nuland constitue une menace pour les alliés de l’Amérique (qui incluent la Géorgie et l’Azerbaïdjan, les pays à qui elle vient de rendre visite), et cela alors que son mandat actuel est de résoudre la crise en Ukraine et ses relations avec la Russie: «Dans la crise, Nuland elle-même est devenue le problème».

Alors pourquoi une telle personne se rend-elle en Géorgie et en Azerbaïdjan juste au moment où l’ancien favori des États-Unis Saakachvili prend ses nouvelles fonctions en Ukraine pour éviter d’être extradé afin de répondre à des inculpations de crimes en Géorgie? Comme toujours, il n’y a pas de coïncidence pour ces événements simultanés.

Trop de connexions

Victoria Nuland est bien consciente de l’histoire de la Géorgie comme de celle de l’Ukraine, et connaît les joueurs ou les pigeons qui y sont actuellement impliqués. En effet, elle était à Kiev pendant la révolution orange lorsqu’elle était ambassadeur de l’Otan, battant le tambour pour un changement de régime. La Géorgie avait déjà connu un changement de régime identiquement inspiré par les États-Unis, conduit par Saakachvili. Maintenant, un autre changement de régime violent a eu lieu, mais il ne s’est pas déroulé comme prévu, et Saakachvili est amené à conseiller ces nouveaux pigeons.

La position de Nuland sur l’Ukraine est claire. Der Spiegel a décrit une rencontre à huis clos qu’elle a tenue à la Conférence de Munich sur la sécurité une semaine auparavant, rassemblant «peut-être deux douzaines de diplomates et de sénateurs états-uniens». Elle leur a dit de «lutter contre les Européens» dans le but d’armer l’Ukraine pour combattre la Russie, a évoqué la rencontre entre les dirigeants d’Allemagne, de France et de Russie en parlant de la «came moscovite de Merkel» et des «conneries de Moscou», et a félicité un sénateur qui nommait la ministre allemande de la Défense Ursula von der Leyen le «ministre du Défaitisme».

Nuland ne veut pas d’un accord entre les parties belligérantes en Ukraine, ni prévenir de futures pertes en vies humaines. Plus l’Ukraine est en crise, plus les États-Unis, ou plutôt elle en tant que leur représentant, peuvent faire ce qu’ils veulent au nom de la régulation de cette crise. Apparemment, cela comprend la réhabilitation de Saakachvili en faisant de lui un conseiller, et par conséquent un homme d’État, plutôt que le criminel recherché qu’il est dans le pays dont il a été le président.

Il n’est donc guère surprenant que ce soutien ouvert à un homme forcé de quitter la Géorgie en raison de ses nombreux crimes ait suscité un vif sentiment d’inquiétude à Tbilissi durant la visite de Nuland. Lorsqu’on lui a demandé ce qu’il en était des crimes imputés à l’ancien président, elle aurait seulement répondu que l’Ukraine avait besoin d’expertise et recherchait les conseils de ceux qui avaient fait leurs preuves dans de telles situations. C’est exactement le genre de bilan qui l’a mis à la porte de Tbilissi, donc une telle déclaration ne peut pas être considérée amicalement.

Les département d’État états-unien a affirmé que sa visite était consacrée à discuter de «coopération et de de questions régionales» et «du chemin de la Géorgie vers l’intégration européenne et de ses efforts pour défendre son intégrité territoriale et sa souveraineté». En anglais, cela signifie s’assurer de la coopération de la Géorgie avec les États-Unis sur l’Ukraine en la menaçant d’interdiction d’entrée dans l’UE et de perdre l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud pour toujours si elle ne le fait pas. Le soutien patent à Saakachvili fait partie de la même menace.

Le diable est dans les détails

Après sa visite à Tbilissi, Nuland s’est rendue à Bakou, pour «renforcer les relations bilatérales en matière de commerce et d’investissement, de diversification énergétique, de sécurité et de contre-terrorisme, de démocratie et de société civile, et pour promouvoir un règlement juste et durable du conflit dans le Haut- Karabakh». Notez la similitude du langage. Les États-Unis veulent aider l’Azerbaïdjan et ignorent ses propres méfaits s’il les soutient pour l’Ukraine. Sinon, ils céderont le Karabakh à l’Arménie, sans consulter l’Azerbaïdjan.

Il a été rapporté que Nuland s’est réunie avec les ONG autorisées à agir dans les deux pays. La grande majorité d’entre elles sont financées par la Fondation Soros et le National Endowment for Democracy (NED), qui ont longtemps été des couvertures de la CIA pour renverser des régimes qui échouent à s’aligner sur la-politique-étrangère-américaine. Regardez où elles opèrent et où vont les fonds, l’image qui s’en dégage est irréfutable.

Pendant que tout cela se passait, Saakachvili avait des réunions avec ses soutiens par l’intermédiaire d’un grand écran à la librairie présidentielle de Tbilissi, la seule institution de ce type dans cette ville. Un certain nombre d’ONG destinées à la jeunesse assistent régulièrement à ces réunions, dont celles de la Fondation pour l’innovation et le développement, du Mouvement pour l’indépendance et l’intégration à l’Union européenne, de Free Zone et de la toute nouvellement créée Azat Zone (une initiative géorgienne-azerbaïdjanaise), et de la Ligue des jeunes diplomates. Toutes sont des porte-étendards pour la politique de Saakachvili.

Malheureusement, il existe dans le monde un certain nombre de gouvernements qui aimeraient tirer parti de l’expérience amassée par Saakachvili dans le fonctionnement des réseaux criminels qui ont volé, terrorisé, torturé et assassiné des Géorgiens depuis si longtemps. Saakachvili et plusieurs membres importants de son régime sont toutefois protégés par le dernier projet états-unien, et ils auront des places dans son gouvernement, même s’ils ne sont ni ukrainiens ni élus.

Il est aussi intéressant que les Etats-Unis disent que l’actuel gouvernement géorgien dévie de la ligne pro-occidentale du pays lorsqu’il tente de poursuivre judiciairement le gang de Saakachvili. C’est exactement de cela que les manifestants en Ukraine étaient supposés se plaindre, alors que c’était faux. On peut en déduire que Saakachvili représente mieux les aspirations du peuple que le nouveau gouvernement. Alors, devons-nous en conclure que c’est un gendarme mondial qui doit s’en occuper?

Trop de rumeurs

Tout est en place pour une autre tentative de changement de régime pro-occidental issu d’un soulèvement populaire, comme la révolution orange ratée et la chancelante Guerre du Chocolat [Porochenko, le président ukrainien a fait fortune dans le chocolat, NdT]. Toutes les nombreuses tentatives de Saakachvili pour organiser des manifestations en sa faveur depuis qu’il a quitté son poste ont montré que le peuple géorgien ne veut pas de lui. Mais si l’actuel gouvernement de Géorgie ne veut pas faire ce que les Américains veulent en Ukraine, c’est ce qu’il va obtenir.

En effet, il y a eu ces dernières semaines des rumeurs persistantes en Géorgie selon lesquelles un changement de régime serait en préparation. Elles ont été rapportées ouvertement dans les médias géorgiens, comme s’ils essayaient de préparer l’opinion publique à ce que d’autres disent bon pour elle. Autre signe révélateur habituel, l’augmentation subite du nombre de conseillers militaires étrangers entrant dans le pays, observée par des sources à l’aéroport de Tbilissi.
Les membres de l’ancien gouvernement géorgien ont maintenant de solides connexions en Ukraine avec le National Endowment for Democracy et les ONG financées par la Fondation Soros. Ce sont les gens que Nuland a rencontrés et a informés en Géorgie et en Azerbaïdjan. Elle aurait pu en rencontrer d’autres, comme des électeurs ou des médias indépendants, mais elle était intéressée par ces individus et leur réseau. Comme le Département d’État l’a reconnu involontairement, elle n’était pas là pour écouter, mais pour parler.

Jeffrey Silverman, le chef du bureau des anciens combattants à Tbilissi, a dit récemment, dans un entretien paru dans un journal en géorgien, Georgian and the World:

« Un représentant d’un service de renseignements étranger, qui représente aussi un pays membre de l’Otan, du moins je le soupçonne, a suggéré que Vakhtang Maisaia, un des anciens prisonniers politiques de Saakachvili et défenseur connu des droits humains, disparaisse pendant un moment, comme s’il avait des informations selon lesquelles il figure sur une sorte de liste, et qu’il fait partie de ceux qui seront tués dans le cadre d’un complot pour renverser le gouvernement actuel.

»Sur la base de ‹solides rumeurs› à ce propos, que l’expérience rend très crédibles, certains membres fanatiques de l’ancien Mouvement national unifié auparavant au pouvoir, et des membres importants de l’actuel gouvernement, ont planifié ensemble de monter un coup d’État. Il y aura quelques ‹belles cérémonies et réceptions privées› pour sélectionner les participants et, comme mon contact le voit, Vakhtang Maisaia sera l’un des derniers invités. Je suis désolé d’être si énigmatique, mais c’est bouillant et il est facile de se brûler. Je vous souhaite bonne chance et je vous demande gentiment de ne plus jamais mentionner ce sujet dans un courriel. Si vous trouvez des documents mais avez besoin d’éclaircissements, téléchargez le logiciel Jitsi à partir d’un ordinateur propre et nous pourrons alors communiquer par ce biais. Le monde a perdu la tête, une enquête est en cours en Géorgie. Je suis sûr que vous savez de quoi je parle, mais s’il-vous-plait n’ajoutez rien par e-mail – c’est crypté, mais pas à l’épreuve des balles. Si vous trouvez la bonne porte où frapper à Tbilissi, je pense que vous aurez toutes les preuves dont vous avez besoin. Si cette information peut être publiée ou non dépend des politiciens au pouvoir et de la mesure dans laquelle la presse géorgienne est intrépide », a-t-il conclu.

C’est ce que fait la démocratie du Guardian [quotidien britannique] lorsque ses amis élisent leur propre gouvernement. Le temps dira si ce gouvernement se soumet ou si un soulèvement populaire formé de 20 Géorgiens et de 50 diplomates en installe un qui se soumettra.

Henry Kamens, chroniqueur spécialiste de l’Asie centrale et du Caucase, exclusivement pour le magazine en ligne New Eastern Outlook.

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