Par Marcus Papadopoulos – Le 2 octobre 2017 – Source Off Guardian
Ce mois ci, des commémorations se dérouleront dans les villes et les bourgs de Russie pour marquer le centenaire de la Révolution bolchevique. Bien que l’État et le système qui ont donné naissance à l’Union des républiques socialistes soviétiques et au communisme soviétique n’existent plus aujourd’hui, l’héritage positif de cet événement décisif a perduré dans la Russie moderne. En effet, résultat du carnage politique, économique et social des années 1990 en Russie, qui a suivi directement l’effondrement du système soviétique et qui hante encore les Russes à ce jour, l’héritage de ce qui fut officiellement connu en URSS comme la Grande Révolution d’octobre continue de prendre de plus en plus d’importance dans tous les groupes d’âge dans le pays, y compris dans la jeunesse.
C’est aussi le cas pour des peuples hors de Russie, qui commémoreront également ce centenaire de la Révolution bolchevique, tant l’ampleur de l’événement et sa signification ont marqué concrètement les gens ordinaires dans le monde entier.
Donc qu’a provoqué la Révolution bolchevique ? Et pourquoi son héritage est-il si important pour les Russes et pour d’autres peuples ?
L’arrivée au pouvoir de Lénine et de son parti bolchevique le 7 octobre 1917 a inauguré le premier État socialiste de l’Histoire. Pour la première fois, l’homme et la femme ordinaires sont arrivés au sommet du pouvoir dans un pays. Leurs points de vue et leurs besoins seraient dorénavant au cœur des décisions en Russie.
Les Bolcheviques ont rapidement commencé à mettre en place des réformes qui inspireraient des gens dans le monde et constitueraient un précédent à reproduire pour d’autres pays.
L’Union soviétique, en 1920, a été le premier pays dans l’Histoire à introduire la gratuité de la santé pour ses citoyens. Pour la toute première fois, tous les Russes, indépendamment de leur situation, auraient droit à un traitement médical gratuit, y compris les médicaments et les opérations. C’était une réforme vraiment remarquable, qui a permis aux Bolcheviques d’affirmer, et c’était justifié, leur supériorité morale sur le monde capitaliste. En outre, des politiciens progressistes d’autres pays, comme ceux du Parti travailliste en Grande-Bretagne, ont été inspirés par le système de santé soviétique, ce qui a contribué significativement à leur campagne pour un National Health Service au Royaume-Uni, finalement entré en vigueur en 1948. À ce propos, des politiciens et des journalistes britanniques affirment aujourd’hui que le Royaume-Uni été le premier pays au monde à donner naissance à un système de santé national ; cet éloge va en réalité à l’Union soviétique.
Aujourd’hui, il est trop facile de prendre pour acquis un système de santé national. Et nous devrions toujours nous rappeler qu’en 2017, les États-Unis ne fournissent toujours pas de soins de santé gratuits à leur population ; en Amérique, l’idée de traiter gratuitement ses citoyens est considérée par les politiciens et, c’est triste, par de nombreux médecins, comme étant en contradiction avec le mode de vie américain, qui consiste, fondamentalement, à faire passer l’argent et les profits avant le bien-être des gens. Donc tandis que le peuple russe a joui de soins de santé gratuits pendant près de 100 ans, comme résultat de la Révolution bolchevique, le système américain continue, à ce jour, à refuser à son peuple ce droit humain le plus fondamental.
L’enseignement a été un autre domaine que les Bolcheviques ont complètement réformé et, ce faisant, ils ont donné un exemple éclatant au reste du monde. La scolarité obligatoire pour tous les enfants soviétiques a été introduite, tandis que l’enseignement supérieur, dans les collèges et les universités, a été rendu gratuit. Les Soviétiques ont constamment insisté sur l’importance de l’instruction et de la lecture pour les enfants et les jeunes gens, et le résultat final a été que l’Union soviétique a eu une des mains-d’œuvres les plus qualifiées au monde, en même temps qu’une population très instruite.
L’analphabétisme, qui avait sévi dans la vieille Russie et obéré ses initiatives économiques et industrielles, a été éliminé en Union soviétique en un temps relativement court par les Bolcheviques. En 1900, le taux d’alphabétisation dans la Russie impériale était de moins de 30% ; à la fin des années 1930, cependant, l’alphabétisation dans la Russie soviétique atteignait environ 75%, et à la fin des années 1950, ce chiffre avait grimpé à presque 100%. [Note de l’éditeur : à titre de comparaison, en 1950, le taux d’alphabétisation au Royaume-Uni était de 90%.]
Les Bolcheviques ont affirmé qu’une instruction gratuite et de qualité était un droit pour tous les enfants et les jeunes gens en Russie. En créant un système d’enseignement parmi les plus admirés dans le monde, les Soviétiques ont posé les fondations pour que l’URSS devienne finalement l’un des premiers pays dans les sciences, l’ingénierie, la médecine, l’industrie, la recherche spatiale et la santé.
La santé et l’enseignement ont été, indiscutablement, deux des plus grandes réalisations du communisme soviétique, et après 1945, ils ont été imités par les pays communistes d’Europe de l’Est, ce qui a produit des résultats extrêmement positifs pour leurs populations respectives. Le reste du monde était émerveillé par le système d’enseignement soviétique.
En Angleterre aujourd’hui, le système d’enseignement s’est largement transformé en un business. Les écoles maternelles et primaires se transforment rapidement en académies, ce qui correspond à de la privatisation par la porte de derrière, tandis que les universités font payer aux étudiants, pour les cours de premier cycle, £9,000 par an en moyenne – et cela ne comprend même pas les coûts d’hébergement. Le Royaume-Uni devrait avoir honte.
L’autre domaine dans lequel les Bolcheviques ont excellé a été l’émancipation des femmes. Combien de femmes, aujourd’hui, lorsqu’elles célèbrent la Journée internationale des droits des femmes, le 8 mars, savent que les origines de cette journée se trouvent dans la Russie soviétique ? Parce que Lénine a donné aux femmes les mêmes droits qu’aux hommes dans les domaines politiques et sociaux ; donc, par exemple, on a donné le droit de vote aux femmes et elles étaient libres d’entrer en politique, et un salaire minimum a été introduit dans lequel les deux sexes recevaient un salaire égal. Les Bolcheviques ont aussi introduit le congé maternité payé et ont légalisé l’avortement.
L’Union soviétique a été un phare pour les droits des femmes dans le monde et a donné une nouvelle signification à l’égalité entre les genres. Et le fait que la première femme dans l’espace – Valentina Terechkova – était une Soviétique en dit long sur la contribution des Bolcheviques à l’égalité des femmes.
L’importance primordiale de l’industrialisation n’a pas été omise par les Soviétiques, notamment Joseph Staline. Ce que les Soviétiques ont réalisé dans l’industrialisation de la Russie tient du miracle.
Alors qu’en 1914 la Russie impériale commençait à s’industrialiser, les tsars n’ont pas eu la prévoyance ni la volonté de développer une stratégie pour industrialiser le pays à l’échelle requise. Cependant, pendant un laps de temps très court, qui commence à la fin des années 1920 et qui dure pendant les années 1930, la Russie soviétique a été industrialisée à une échelle sans précédent dans l’Histoire, elle a vu le pays passer d’une économie arriérée basée sur la paysannerie à une économie industrielle moderne. Certes, il est vrai qu’une grande partie de cette industrialisation a été réalisée à un coût humain terrible, Staline n’attachant absolument aucune importance aux individus (il faut dire, toutefois, que les Russes ont historiquement favorisé le collectivisme par rapport à l’individualisme, et que le tsar Pierre le Grand a utilisé des méthodes semblables à celles de Staline pour fortifier la Russie, bien que pas à la même échelle – mais sa mentalité était néanmoins la même que celle du dirigeant soviétique). Malgré le coût humain, qui ne doit jamais être oublié, Staline a transformé l’URSS en un pays dont le secteur industriel égalait celui de l’Occident. Comme dit le dicton, Staline a trouvé la Russie avec la cuillère en bois et l’a laissée avec la bombe atomique.
L’industrialisation de l’URSS a bénéficié au peuple soviétique pendant des décennies, mais ce qui est encore plus important, elle a joué un rôle essentiel dans la victoire de l’Armée rouge sur la Wehrmacht et par conséquent a contribué à sauver le peuple de l’extermination par les Nazis. L’armée impériale russe s’est effondrée pendant la Grande Guerre parce qu’elle n’avait pas le secteur industriel apte à la soutenir sur le front. Mais l’Armée rouge avait le puissant moteur d’un secteur industriel qui lui a permis d’abord d’affaiblir les armées allemandes puis finalement de les détruire. La Russie qui existe aujourd’hui est en partie une conséquence de l’industrialisation du pays par les Soviétiques. C’est un héritage sacré de la Révolution d’octobre.
Il y a eu tant de réalisations issues de la Révolution bolchevique que je n’ai tout simplement pas assez de place dans cet article pour toutes les mentionner. De l’ingénierie à la science et de l’espace aux sports, de l’armée au transport et à la littérature – la liste est presque infinie. Mais j’aimerais aborder, quoique brièvement, les appréciations négatives de la Révolution bolchevique qui ont cours dans le monde aujourd’hui.
Tout d’abord il y a eu, indéniablement, des excès terribles au lendemain de la révolution, de nombreuses personnes innocentes ont été arrêtées et exécutées. Et les crimes commis par Staline, en particulier pendant les années 1930, restent, à juste titre, une tache sanglante sur l’ère soviétique. Mais les tsars aussi ont commis des crimes odieux contre leur propre peuple, tandis que des pays comme la Grande-Bretagne et l’Amérique ont connu des épisodes sombres et sanglants dans leurs histoires respectives. Des dizaines de millions d’Indiens sont mort à cause de la domination britannique en Inde tandis que des millions d’Amérindiens ont péri à cause des actes des Américains européens. Aucun pays ni aucun peuple ne sont des saints – ni l’Amérique, ni la Grande-Bretagne, ni la Russie. Les êtres humains peuvent être extraordinairement éclairés, mais ils peuvent aussi être extraordinairement brutaux. Et l’Histoire mondiale le prouve.
Deuxièmement, la campagne publique des Bolcheviques pour l’athéisme et la persécution de toutes les religions dans l’Union soviétique qui l’a suivie, en particulier contre le christianisme, exigent une discussion beaucoup plus impartiale et approfondie que ce qui se passe actuellement dans la Russie moderne.
Beaucoup de prêtres ont été tués et de nombreux monastères et églises ont été détruits sur l’ordre des autorités soviétiques, ce qui constitue un chapitre sombre dans l’Histoire soviétique. Alors que les actes des Bolcheviques ne pourront jamais être justifiés humainement et culturellement, ils peuvent être expliqués. L’Église orthodoxe russe, pendant les années tsaristes, était loin d’être innocente. L’Église a été le défenseur spirituel des monarques absolus et brutaux qui ont gouverné la Russie pendant des centaines d’années, et pour cette raison, l’Église était rémunérée, de notoriété publique dans la société russe, ce qui lui a permis d’accumuler une immense quantité de richesses et de terres. Tandis que le Russe ordinaire vivait dans une pauvreté abjecte et sans moyens de s’instruire et de se soigner, la direction de l’Église vivait dans le luxe et les privilèges, ce qui était en totale contradiction avec les enseignements de Jésus-Christ. Il était donc inévitable que la colère et le ressentiment dans la population russe à l’égard de l’Église soit répandus au tournant du XXe siècle. Et c’est cette colère et ce ressentiment qui expliquent pourquoi les autorités soviétiques, soutenues par un nombre important de Russes, ont lancé une campagne brutale contre l’Église. Action, réaction. Le comportement inacceptable de l’Église a reçu une réponse inacceptable des Bolcheviques.
Au cours de son Histoire, la Russie a réalisé de nombreuses avancées remarquables. Ce fut le cas tant sous les tsars que sous les communistes. L’Histoire russe est l’une des plus riches, les plus magnifiques, les plus captivantes et les plus mystérieuses parmi celles qui nous sont parvenues. Les Russes ont tout lieu d’être fiers en tant que peuple ; ils ont apporté des contributions inestimables à l’humanité.
La Grande Révolution socialiste d’octobre, telle qu’elle a vraiment été, est un autre épisode glorieux dans l’Histoire de la Russie et, sans aucun doute, l’un de ses plus grands. La révolution a donné naissance à un pays qui deviendrait finalement une superpuissance et l’État le plus puissant dans l’Histoire russe. Mais, encore plus important, la révolution a donné au peuple russe et, en effet, à tous les autres peuples qui sont passés du statut de citoyens de l’Empire russe à celui de citoyens de l’URSS, quelque chose qu’ils n’avaient jamais vécu auparavant : la sécurité et la stabilité, sous forme d’instruction, de santé, de travail, de logement, de sécurité sociale et de retraite.
La Révolution bolchevique, c’est le moment où les besoins de l’homme et de la femme ordinaires, pour la première fois dans l’Histoire humaine, sont passés au premier plan dans un pays et ont dicté la politique du gouvernement. C’est quelque chose dont il faut se réjouir, en particulier dans notre monde actuel où l’accent est mis sur l’argent et le matérialisme, peu d’attention étant accordée au fait de répondre aux besoins fondamentaux des gens ordinaires. Célébrons, avec fierté, le 7 octobre, le centenaire d’un événement historique extraordinaire.
Dr Marcus Papadopoulos est éditeur et rédacteur en chef du magazine basé à Londres, Politics First. C’est une publication non partisane éditée pour le gouvernement britannique et la communauté d’affaires du Royaume-Uni. Il est également invité comme commentateur à la télévision et à la radio, il est spécialiste de la Russie et des autres membres de l’Union soviétique, de l’ex-Yougoslavie, la Syrie et la politique britannique. Il est titulaire d’un doctorat en histoire russe/soviétique de l’Université Royal Holloway de Londres.
Traduit par Diane, vérifié par Wayan, relu par Cat pour le Saker francophone
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