Toutes ces déclarations retentissantes émanant de Washington peuvent être bien accueillies dans le pays, et servir à étouffer les critiques des faucons sur la « faiblesse » de Biden, mais elles sont essentiellement creuses.
Par Alastair Crooke – Le 5 juillet 2021 – Source Al Mayadeen
Lorsque Biden a chaleureusement accueilli son ami, le président israélien sortant, dans le bureau ovale lundi dernier, il a parlé pour la première fois du fait qu’il avait ordonné les frappes aériennes américaines de dimanche soir contre les « milices soutenues par l’Iran » à la frontière entre la Syrie et l’Irak. Biden a déclaré à Reuven Rivlin avec emphase : « Ce que je peux vous dire, c’est que l’Iran ne se dotera jamais d’une arme nucléaire sous ma direction », qualifiant les frappes militaires (les deuxièmes de sa présidence) de « message clair » à l’Iran.
Note du Saker Francophone Nous publions ce jour et les suivants, avec quelques semaines de retard, une série d'articles de l'auteur sur un site Arabe. Ils n'ont rien perdu de leur éclairage.
Mais quel est exactement la teneur de ce message, étant donné que les commentaires de Biden coïncidaient avec les médias américains dominants proclamant que les négociations nucléaires de Vienne étaient à un « point de rupture » ? Par ailleurs, au cours des derniers mois, des cibles très sensibles en Irak et en Syrie – comme les hangars spécifiques où la CIA et les forces spéciales américaines basent leurs drones d’attaque Reaper en Irak et dans les environs – ont été attaquées à plusieurs reprises, sans qu’aucune victime américaine ne soit à déplorer. Ces raids très précis indiquent que de nouveaux drones plus sophistiqués contre lesquels les États-Unis n’ont pas de défense efficace (les drones volent bas, se mêlant aux oiseaux) entrent dans le jeu stratégique. C’est un gros problème. Cela pourrait mettre en péril l’ensemble de la présence américaine en Irak. Le Congrès américain commence à s’agiter devant ce bouleversement de l’équilibre des forces.
Les agressions américaines contre deux mouvements de résistance bien connus étaient-elles simplement destinées à dire à l’Iran : « reculez » ? Ou bien étaient-elles destinées – comme une démonstration de force typiquement américaine – à faire pression sur l’Iran pour qu’il fasse des concessions dans les négociations nucléaires de Vienne ? Ce n’est pas clair ; les deux peut-être ?
Quoi qu’il en soit, cela n’a pas vraiment d’importance, car le fait de tuer des membres de la résistance irakienne ne fait qu’attiser la volonté des Unités de mobilisation populaire de chasser les États-Unis d’Irak, et l’administration américaine ne fait rien pour arrêter ces attaques de drones sophistiquées. Et si les frappes de représailles de Biden ont été conçues pour faire pression sur l’Iran à Vienne, cela ne fonctionnera pas non plus. Les États-Unis sont dans un guêpier qu’ils ont eux-mêmes créé. Ils ne peuvent pas s’en sortir de cette façon.
L’équipe Biden veut que la question sensible du nucléaire iranien soit reconsidérée pour être « encadrée » par la surveillance du JCPOA, avec l’imposition de restrictions onéreuses, afin que Washington puisse achever le pivotement vers la Chine auquel il aspire depuis longtemps. Mais pour y parvenir, l’Amérique devrait renoncer à toutes les sanctions qui empêchent l’Iran de commercer avec le reste du monde.
Si Biden se lance dans l’aventure, la situation est inextricable, il ne disposera d’aucun levier coercitif lui permettant de contraindre l’Iran – contre son gré – à négocier des restrictions sur son arsenal de missiles balistiques et ses alliances régionales. Il est clair que Biden ne peut pas faire les deux à la fois. Contraindre l’Iran à faire ce que le président élu Raïssi refuse catégoriquement. Cela signifie imposer une douleur suffisante pour induire un changement de comportement. Et cela ferait échouer les négociations de Vienne. C’est la position des États-Unis, une logique clairement confuse et peu convaincante.
Alors, que devons-nous penser de la promesse faite par Biden à « Israël » de « ne jamais permettre à l’Iran de se doter d’une arme nucléaire sous [sa] direction » ?
Eh bien, on touche au cœur du problème. Les États-Unis ne semblent pas avoir assimilé la mesure dans laquelle l’équilibre stratégique au Moyen-Orient a changé. « Israël » et les États-Unis ont perdu l’avantage militaire au profit de missiles de croisière intelligents et de drones sophistiqués qui « essaiment » véritablement. Ceux-ci encerclent les bases militaires régionales des États-Unis – et entourent « Israël » également.
Ainsi, toutes ces déclarations retentissantes émanant de Washington sont peut-être bien accueillies chez nous et permettent d’étouffer les critiques des faucons sur la « faiblesse » de Biden, mais elles sont essentiellement creuses. L’Iran et ses alliés ont mis en place une dissuasion qui est – à sa manière – plus puissante que les armes nucléaires dont l’utilisation potentielle dans la région est très limitée. Les missiles de croisière ne sont pas aussi contraignants : leur utilisation peut être niée, soigneusement calibrée et très efficace.
Comment les États-Unis se sont-ils retrouvés dans une telle impasse ? En croyant à leur propre propagande. Après le sommet de Poutine, Biden a répondu à une question sur l’ingérence de la Russie dans les élections, en disant : « Soyons clairs : que se passerait-il si les États-Unis étaient considérés par le reste du monde comme interférant dans les élections des autres, et que tout le monde le savait ? Que se passerait-il si nous nous engagions dans les activités auxquelles il [Poutine] se livre ? Cela affaiblirait la position d’un pays qui essaie désespérément de conserver sa position de puissance mondiale ».
Quelle incroyable Chutzpah !
Alastair Crooke
Traduit par Zineb, relu par Wayan, pour le Saker Francophone