Le 737 Max est encore la source de problèmes pour Boeing


2015-05-21_11h17_05Par Moon of Alabama − Le 21 octobre 2091

Les marchés financiers ont enfin pris conscience du comportement criminel de Boeing pendant la certification du 737 MAX :

Les actions de Boeing ont chuté lundi après que les analystes d'au moins deux sociétés ont abaissé leurs notes et leurs objectifs de prix à la lumière des révélations récentes concernant l'avion de ligne 737 MAX, immobilisé au sol, du géant de l'aérospatiale de Chicago. Robert Spingarn, analyste au Crédit Suisse, a ramené la note de Boeing de neutre à sous performante et l’estimation du cours de ses action de 416 $ à 323 $, après la publication de messages envoyés par un ancien pilote technique de l'entreprise selon lesquels il avait "sans le savoir" induit en erreur les organismes de sécurité au sujet du système de contrôle du 737 MAX.

"Nous ne pouvons plus soutenir le cours des actions à la lumière des dernières découvertes, [qui] augmentent considérablement le risque des investisseurs", a déclaré M. Spingarn dans une note aux investisseurs. ...
Boeing a été le plus grand perdant du Dow Jones vendredi, en baisse de 6,8 % à 344 $, à la clôture.

À 13 h, Boeing ne valait plus que 330 $. Depuis le deuxième accident mortel du MAX, le cours de l’action de Boeing a baissé de plus de 18 %. Mercredi, Boeing dévoilera ses résultats trimestriels et pourrait bien annoncer des milliards de pertes supplémentaires.

Les mauvaises nouvelles pour Boeing continuent d’arriver.

Le défenseur des consommateurs Ralph Nader, dont la petite-nièce est décédée dans l’accident d’un des 737 Max, affirme que le PDG de Boeing, Muilenburg, et tout le conseil d’administration doivent démissionner. Nader dit que l’avion ne devrait plus jamais voler.

Certains signes indiquent que Boeing réduira, voire arrêtera complètement, la production du nouveau 737 MAX au moins jusqu’à ce que sa re-certification soit assurée. Actuellement, Boeing produit encore 42 MAX par mois sans en livrer aucun à ses clients.

Cette nouvelle chute de Boeing intervient après la révélation d’une discussion, tenue il y a trois ans, entre deux pilotes d’essai du projet MAX :

L'échange de messages, en 2016, entre les deux principaux pilotes d'essai du programme Boeing 737 MAX a été rendu public vendredi après que les régulateurs ont exprimé leur colère contre l'entreprise pour avoir divulgué tardivement l’information. Les messages révèlent que le système de commandes de vol, celui qui s'est détraqué deux ans plus tard lors des deux crashs, se comportait de façon agressive et étrange lors des séances de simulation de vol des pilotes.  ...
Le pilote technique en chef du 737, Mark Forkner, a écrit à Patrik Gustavsson, qui allait lui succéder en tant que pilote technique en chef : "Je me suis stabilisé à 4000 pieds, 230 nœuds, et l'avion réagit comme un fou. Du genre, mais quoi ?"

"C'est vrai, je suis nul pour voler, mais quand même, c'était énorme", ajoute Forkner. ... 
Dans cet échange de messages du 15 novembre 2016, Forkner dit à Gustavsson que le MCAS est en réalité actif à partir de Mach 0,2 - c'est-à-dire à basse vitesse, pas seulement dans les manœuvres à grande vitesse pour lequel il a été initialement conçu. Il ajoute qu'il sera maintenant nécessaire de mettre à jour la description du système, se référant vraisemblablement aux éléments que Boeing fournit à la FAA.

"J'ai donc menti aux régulateurs (sans le savoir)", dit-il dans un texto.

Un autre document publié par le comité DeFazio, vendredi, est un courriel envoyé par Forkner à un responsable de la FAA un peu plus de sept mois plus tôt, le 30 mars 2016, demandant que le MCAS soit omis des manuels des pilotes et non mentionné dans la formation des pilotes.

Forkner, qui travaille maintenant pour Southwest Airlines, utilise son droit au 5e amendement sur le sujet. Il ne le fait pas à cause de l’échange ci-dessus. Jusque-là, il mentait sans le savoir. Mais même après avoir fait l’expérience de la brutalité du MCAS, il s’est efforcé de ne pas en parler dans les manuels de pilotage :

Dans un courriel distinct adressé à un responsable de la FAA à la mi-janvier 2017 - deux mois après cet échange de texto où il avait noté le comportement "visiblement étrange" du MCAS - Forkner suggère deux changements à la "mise à niveau" que les pilotes devaient suivre afin de passer du modèle 737 précédent au MAX.

La première modification consistait à supprimer une référence au MCAS.

"Nous avons décidé que nous n'allions pas en parler" dans le manuel de vol et dans le cours de formation, a-t-il rappelé au responsable de la FAA.

Le Seattle Times a rapporté en mars que la FAA n'avait pas été pleinement informée d'un changement majeur dans la conception du système MCAS lorsque Boeing l'a changé pour couvrir certaines situations de vol à basse vitesse. Plus tard, le journal ajoutait que ce changement n'avait pas été mis à jour dans l'évaluation de sécurité du système que Boeing avait soumise à la FAA lors de la certification du MAX.

Le MCAS a été complètement omis des manuels de vol et du support de formation des pilotes. Le manuel de maintenance décrit le MCAS en quatre phrases courtes, mais ment en disant qu’il ne se déclenche qu’à des vitesses élevées.

Boeing prétend maintenant que ce comportement “visiblement étrange” n’était qu’un problème de simulateur et que la FAA a été pleinement informée de tous les problèmes du MCAS. Mais le Seattle Times estime que l’argument ne tient pas la route, car les deux pilotes parlent également de la nécessité de modifier le manuel de vol et d’y inclure une description du problème :

Cette interprétation selon laquelle c'est le programme du simulateur qui est en cause n'est certainement pas "évidente" d'après la transcription intégrale des messages. ...
L'affirmation de Boeing selon laquelle la FAA a été pleinement informée de ce changement de conception crucial contredit directement les conclusions d'un groupe international de régulateurs - le Joint Authorities Technical Review (JATR) - publiées ce mois-ci.

Ce groupe d'experts a constaté qu'à mesure que le MCAS évoluait à partir de mars 2016 "d'un système relativement bénin à un système beaucoup plus agressif", cela n’a pas été correctement évalué dans les documents de certification que Boeing avait soumis à la FAA.

Les pilotes techniques Mark Forkner et Patrik Gustavsson ne sont pas des pilotes d’essai. Des pilotes d’essai spécialement formés pilotent l’avion réel au-delà des limites de son domaine de vol. Ils acquièrent des données qui seront utilisées dans les simulateurs. Les pilotes techniques pilotent l’avion dans le simulateur de la cabine électronique, à l’intérieur de son enveloppe de vol, pour évaluer les sous-systèmes et recueillir les données nécessaires aux manuels de vol et aux certifications.

Dans le cas du MAX, les pilotes d’essai n’ont pas bien communiqué avec les pilotes techniques :

"Pourquoi on n'en entend parler que maintenant ?" demande Forkner.
Gustavsson répond : "Les pilotes d'essai nous ont tenus à l'écart." Il ajoute ensuite : "Il n’y a vraiment que Christine qui essaie de travailler avec nous, mais elle a été trop occupée". Cela semble être une référence à Christine Walsh, qui était pilote d'essai technique sur le programme MAX.

Forkner conclut sur les pilotes d'essai : "Ils sont tous tellement occupés, et ils subissent la pression du programme."

D’autres messages internes de Boeing seront certainement révélés dans la myriade de poursuites judiciaires auxquelles l’entreprise est actuellement confrontée. Jusqu’à présent, Boeing a joué les durs et n’a admis aucune culpabilité. Les analystes financiers ont finalement reconnu que cela rendait la position de Boeing encore plus difficile.

Après les deux accidents mortels, Boeing s’est comporté avec arrogance envers les organismes de réglementation, les pilotes et le public. Cette arrogance est tout aussi évidente dans les offres d’indemnisation à ses clients :

Les offres d'indemnisation initiales de Boeing aux compagnies aériennes et aux sociétés de leasing touchés par les problèmes du MAX sont plutôt faibles.

Pour les compagnies aériennes, la première proposition de Boeing est d'offrir des crédits pour les travaux de Boeing Global Services et des remises (décrites comme importantes) sur les commandes de 787 (prévu pour 2022.) Mais pas de rabais sur les commandes de 737 ou 777.

Les compagnies aériennes ne sont pas, c'est le moins qu'on puisse dire, très enthousiasmés par cette offre.

L'offre initiale de Boeing aux sociétés de leasing est de reprogrammer les livraisons de MAX à 2023-24 (les loueurs constataient déjà un déséquilibre entre l'offre et la demande avant même la mise au sol), mais les paiements avant livraison devront être effectués et des augmentations de prix devront être supportées.

Les sociétés de leasing sont encore moins enthousiastes que les compagnies aériennes face à cette offre.

Enfin, comme LNA le signalait il y a plusieurs mois, Boeing considère également que l'immobilisation au sol est un "retard excusable" qui protège Boeing contre les demandes d'indemnisation. Allez-y et poursuivez nous en justice si vous n'êtes pas d'accord.

Boeing est également d'avis qu'une fois que la FAA a re-certifié le MAX, il n’y a plus de contestation possible, car la FAA, et non pas l'EASA, la CAAC ou tout autre organisme, est l'organisme principal.

Les compagnies aériennes subissent des pertes réelles causées par les décisions criminelles prises par Boeing lors du développement du 737 MAX. Se faire offrir une compensation sous forme de rabais pour un type d’avion que l’on n’envisage même pas d’acheter est mal venu. Cela aura des conséquences à long terme pour Boeing. Airbus devrait sérieusement envisager l’ouverture d’une nouvelle ligne de production pour sa série A-320. Beaucoup de clients de Boeing aimeraient sûrement avoir la possibilité d’acheter ailleurs.

Dans notre dernier article sur les problèmes de Boeing, nous avons également discuté d’un problème de fatigue inattendu rencontré sur le prédécesseur du 737 MAX, le 737 NG :

Lors de la transformation d'un avion de ligne 737 NG en avion-cargo, Boeing a découvert de graves défauts sur une pièce de structure dont la durée de vie devait être supérieure à celle de l'avion.

On constate des fissures dans les “fourchettes à cornichons” d’environ 5% des avions les plus anciens :

Il faudra trois semaines pour réparer chaque avion. Mais l'approvisionnement en pièces de rechange pour le composant fissuré est limité et la production de nouvelles pièces peut prendre plus de temps.

Une source bien informée dit que la cause des fissures a été trouvée :

La cause réelle des fissures dans les fourchettes à cornichons est due au fait qu’il y aurait des trous inutiles perforés dans la pièce. Les trous sont grossièrement surdimensionnés et les boulons qui traversent la pièce et la sangle de sécurité ne soutiennent pas la pièce. Les boulons sont censés être bien ajustés de sorte que lorsqu'un avion atterrit les boulons et la pièce partagent la même contrainte et n'ont pas de problème de tension. Les boulons ne touchent pratiquement pas les côtés des trous, donc tout écart entre le boulon et la pièce contribue à ce que toute la tension soit appliquée sur la fourchette et la sangle de sécurité, qui a des trous où se trouvent les boulons.

Les résultats (pdf) de ces erreurs de production sont des fissures dans une partie structurelle importante. Les avions touchés ont été cloués au sol, car ces fissures ont tendance à s’agrandir et une défaillance de la structure se terminerait probablement de façon catastrophique.

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Lorsque les avions sont assemblés, les pièces qui doivent être fixées l’une à l’autre sont alignées sur un rail. Ensuite, les trous sont percés, ébavurés, alésés et même travaillés à froid pour éviter l’apparition d’éventuelles fissures autour d’eux. Après inspection, les rivets, les fixations ou les boulons sont enfoncés, serrés et inspectés à nouveau. Il y a environ 600 000 boulons et rivets qui maintiennent l’assemblage du 737 . Leur installation est peut-être une tâche répétitive et ennuyeuse. Mais il est important que ce soit fait correctement.

Depuis qu’elle se concentre sur la valeur de ses actions, Boeing a connu de nombreux problèmes de qualité dans ses chaînes de production. Des débris de corps étrangers ont été trouvés sur de nouveaux avions ravitailleurs livrés à l’armée de l’air. Qatar Airlines n’accepte pas les 787 produits dans l’usine non syndiquée de Boeing à Charleston, Caroline du Sud, en raison de problèmes de production fréquents dans cette usine. Le 737 NG était déjà connu pour avoir des pièces mal ajustées (vid). Nous apprenons maintenant que d’autres pièces ont été mal installées.

Quelque 7 000 737 NG ont été produits et la plupart d’entre eux sont toujours en vol. Comme environ 5 % d’entre eux, soit 350, doivent être reconditionnés pendant trois semaines chacun, la facture que Boeing devra payer pour régler ce problème sera également importante.

Mercredi, Boeing publiera ses résultats trimestriels. Le 29 octobre marque le premier anniversaire de l’accident du Lion Air 604. Le rapport complet de l’accident sera publié vers cette date. Le 30 octobre, le PDG, Muilenburg, sera interrogé lors d’auditions au Congrès.

Le nom de Boeing et le 737 MAX resteront dans l’actualité pendant un certain temps, et pas de manière positive. Bien que je ne sois pas analyste financier, l’évaluation des actions à 323 dollars par le Crédit Suisse me semble extrêmement optimiste. Même si le MAX est autorisé à revoler, peut-être d’ici l’été prochain, la confiance va être difficile à retrouver :

Près de la moitié des 2 000 sondés ont dit qu'ils paieraient plus cher pour éviter de voler en MAX.

Boeing doit changer. Si elle ne le fait pas, le cours de ses actions continuera de baisser.

Moon of Alabama

Traduit par Wayan, relu par Jj pour le Saker Francophone

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