L’austérité, c’est le nouveau nom de la guerre de classe


Par Tommy Sheridan – Le 22 octobre 2018 – Source Spoutnik

Les Torys, leurs bailleurs de fonds milliardaires et leurs courtisans dans les médias grands publics parlent rarement de la « lutte des classes » parce qu’ils sont trop occupés à la mener.

Le « criminel de guerre » Tony Blair avait l’habitude de répéter avec suffisance que parler de lutte de classe n’était plus pertinent au XXIe siècle car la société avait évolué et qu’il n’était plus possible d’utiliser des termes aussi antagonistes. « La lutte des classes est terminée » a déclaré le converti « Tory Blair » 1 en septembre 1999. Quelle foutaise ! Je me souviens m’être levé pour demander à l’un des acolytes enthousiastes de Blair au Parlement écossais, le Premier ministre Donald Dewar, s’il était d’accord avec la déclaration de Blair sur la fin de la lutte des classes et si oui, « qui l’avait gagnée » ? Dewar n’a pas su quoi dire et, comme d’habitude, il a évité la question tout en soutenant son Nouveau Messie Travailliste.

La guerre de classe est loin d’être terminée, et l’« austérité » décrétée par le gouvernement de coalition Tory/Libéral, élu en 2010 à la suite du krach bancaire de 2008, était évidemment la continuation sous un autre nom de la guerre de classe menée par les riches pour les riches. Des banquiers riches et avides, dans des marchés honteusement déréglementés par les nouveaux gouvernements travaillistes de Blair, étaient enfoncés jusqu’au cou dans des opérations et des transactions financières irresponsables et illégales qui ont finalement provoqué, en 2008, la faillite de Lehman Brothers qui a montré que les promesses de remboursement étaient de la fiction et entraîné un crash bancaire catastrophique.

La réponse de l’ancien « socialiste », le Premier ministre Gordon Brown et de son chancelier Alastair Darling, n’a pas été de dire au monde entier que ce crash révélait la fraude et la fragilité de l’économie dite de « libre marché » et qu’il fallait revenir sur les réductions fiscales pour les riches et la dérégulation des marchés financiers et du marché du travail. Non, ces adeptes de Blair ont décidé de soutenir loyalement les millionnaires, et eux seuls, en renflouant les riches banquiers fraudeurs pour un montant de plusieurs milliers de milliards de livres sterling des contribuables.

Pendant des années, on a répété en boucle aux travailleurs des industries du charbon, de l’acier, de la construction navale et de l’automobile que la loi du marché est une loi d’airain, et qu’il n’était pas envisageable de les « subventionner » ni de les « sauver » car seules les faillites pouvaient résoudre les gros problèmes de leurs industries. Des centaines de milliers de personnes qui travaillaient, en combinaison de travail et casques de protection, dans les hauts-fourneaux, les mines, les aciéries, les chantiers navals et les usines automobiles du Royaume-Uni ont été abandonnées à leur triste sort quand elles étaient confrontées à des problèmes économiques, mais ce ne fut pas le cas des escrocs et charlatans en costume trois-pièces de l’industrie bancaire. Des montants inouïs d’argent public ont été déversés dans les banques pour sauver les banquiers, leurs salaires scandaleux et de leurs primes indécentes. Près de 1200 milliards de livres sterling y ont été consacrés par un Nouveau Gouvernement Travailliste qui avait prêché la modération salariale à des infirmières, des soignants, des balayeurs de rues et autres fonctionnaires sous-payés pendant des années, et qui nous avait imposé la folie économique des initiatives de financement privé (PFI – Paying For Infinity 2) pour construire des écoles, des hôpitaux et des routes, car nous « ne pouvions nous permettre » des investissements publics traditionnels et beaucoup plus sains économiquement.

Comme des magiciens sur une scène, Brown et Darling ont fait apparaître 1 029 milliards de livres sterling en programmes de protection des actifs non monétaires, en garantie de crédit et en systèmes spéciaux de liquidité et 133 milliards de livres sterling en prêts monétaires pour des banques en faillite comme Royal Bank of Scotland, Lloyds, Northern Rock et autres. La vraie nature de cette politique, une politique au service d’une seule classe, se montrait au grand jour. Il n’y avait pas d’argent pour sauver les mines de charbon, les chantiers navals ou les aciéries. Il n’y avait pas d’argent pour construire des écoles, des hôpitaux et des routes. Il n’y avait pas d’argent pour augmenter les salaires de misère des employés des services publics ou des services indispensables comme les pompiers. Mais quand les banquiers ont fait faillite, on a trouvé des tonnes d’argent pour les renflouer. Un an plus tard, les parasites économiques du secteur de la finance faisaient un doigt d’honneur au peuple trop naïf, en se reversant sans vergogne des milliards de livres sterling en primes et en salaires, au point que même des journaux Tory ancestraux comme le Telegraph ont dû le reconnaître :

Il est difficile de ne pas conclure que les banquiers s’en sont tirés impunément. Sans vergogne, bien que beaucoup plus discrètement qu’au plus fort du boom, ils gagnent à nouveau des millions.

Ces banquiers auraient dû être poursuivis au pénal et emprisonnés, pas sauvés ni autorisés à reprendre leur vie luxueuse.

Pour financer le sauvetage des banques et des banquiers, le gouvernement de coalition Tory/Libéral a décidé en 2010 de s’en prendre à ceux qui n’étaient en rien responsables du crash. Les Torys bleus et jaunes 3 ont décidé que les pauvres, les gens qui bénéficient d’allocations, les employés municipaux mal payés, les brancardiers des hôpitaux et les soignants des maisons de retraite devraient payer pour les erreurs et l’avidité des banquiers et le sauvetage des banques par des réductions d’allocations, le gel des salaires et les réductions budgétaires des autorités locales, entraînant des milliers de pertes d’emplois et une diminution drastique des services locaux. Ils ont appelé ça « austérité » et ont fait dire en boucle à leurs marionnettes de la presse et des médias que c’était la « seule alternative » et que c’était le devoir patriotique de chacun de « se serrer la ceinture » et d’avaler la potion. Ils ont dissimulé leur guerre de classe derrière la « nécessité de s’unir » dans l’intérêt général.

Il en a résulté un transfert accru de richesses et de privilèges, des classes ouvrières vers les classes supérieures. Il ne faut pas se laisser tromper par les vocables et les éléments de langage créatifs. Le Thatchérisme des années 1980 était une guerre de classe pure et dure. Le Blairisme de la fin des années 1990 et du début du XXIe siècle était du Thatchérisme déguisé en agneau, et les gouvernements Cameron et May ont continué à s’attaquer au niveau de vie des gens ordinaires en utilisant le honteux stratagème du « tous ensemble » dans l’austérité. Vous vous souvenez des sermons sur la nécessité de réduire la dette publique ? C’est pourquoi l’austérité était nécessaire, nous a-t-on dit. Pourtant, la dette nette de 823,3 milliards de livres sterling de 2010 n’a pas été réduite mais portée à 1 781,9  milliards de livres sterling aujourd’hui. Le fardeau de la dette du Royaume-Uni est passé de 56 % du produit intérieur brut (PIB) en 2010 à 84 % du PIB aujourd’hui.

L’austérité n’a pas réduit la dette du Royaume-Uni, mais elle a fait ce qu’elle avait été conçue pour faire. Elle a transféré davantage de revenus et de richesses vers la minorité pleine aux as qui domine la société. Les chiffres de l’Office for National Statistics (ONS) montrent que les 10% les plus riches du Royaume-Uni détiennent aujourd’hui 44% de toute la richesse et que la part des revenus qui va aux 1% les plus riches a plus que doublé, passant de 6% à 14% au cours des trois dernières décennies.

Le constat que les riches ne cessent de s’enrichir n’est pas un fantasme d’envieux, c’est un fait économique qui se traduit par des inégalités de richesse indécentes et totalement improductives. Les riches ne dépensent pas leur argent en biens et services locaux comme le font les pauvres et la classe moyenne. Ils le thésaurisent et le planquent dans des paradis fiscaux, aggravant ainsi les effets corrosifs de l’inégalité.

J’ai découvert la Propension marginale à consommer quand j’étudiais l’économie et la politique à l’Université Stirling au début des années 1980. Cela semble compliqué, mais c’est très simple. Donnez à une famille à revenu faible ou moyen 25 £ de plus par semaine ou 100 £ par mois et ils dépenseront probablement tout car ils sont encore loin de pouvoir satisfaire tous leurs besoins. Mais donnez à un riche 100 £ de plus par mois et il ne les dépensera pas, car il a déjà tout ce qu’il lui faut. Il les économisera ou les amassera, et ces 100 livres sterling ne seront pas productives.

Les réductions d’impôts et les d’allégements fiscaux pour les riches sont moralement répréhensibles et économiquement nuisibles. Les barons milliardaires, propriétaires de la presse au Royaume-Uni, et leurs obligés parlementaires prétendent que les riches sont surtaxés. Quelle foutaise. Les données de l’ONS montrent clairement que pour les 20% des ménages les plus pauvres du Royaume-Uni, 29,7% des revenus passent en impôts indirects comme la TVA, et 12,9% en impôts directs comme l’impôt sur le revenu. Alors que les 20% les plus riches consacrent 14,6% de leurs revenus aux impôts directs et 23,2% aux impôts indirects. Ainsi, non seulement les riches reçoivent d’énormes salaires d’une indécence inouïe, mais leurs revenus sont également moins imposés que ceux des pauvres, en l’espèce 37,8%, contre 42,4% pour les plus pauvres.

Les revenus de la grande majorité des gens soit stagnent soit n’augmentent que marginalement. Une étude récente de la Resolution Foundation a révélé que le revenu moyen de tous les ménages en 2017-2018 n’a augmenté que de 0,9 %, soit la plus faible hausse depuis plus de quatre ans, ce qui constitue en fait une réduction de pouvoir d’achat à cause de la hausse des loyers, du carburant, des produits alimentaires et du transport.

En 2003, les ménages appartenant à la moitié inférieure des revenus au Royaume-Uni gagnaient 14 900 £, inflation et frais de logement déduits. En 2016/17, cette même moitié de la société avait un revenu de 14 800 livres sterling. Quelle autre preuve faut-il de l’ignominie des gouvernements successifs dont les politiques n’ont fait qu’accroître la pauvreté et les inégalités ?

Aujourd’hui, le directeur général moyen en Grande-Bretagne reçoit une rémunération de 4,5 millions, 160 fois le salaire moyen et 262 fois le Smic. N’est-ce pas honteux ?

L’austérité, la privatisation, le gel des salaires, les programmes PFI, les slogans comme « vivre selon ses moyens » dissimulent tous avec créativité la guerre de classe. On estime que l’évasion fiscale des sociétés multinationales et des millionnaires et milliardaires individuels a atteint presque 120 milliards de livres sterling par an, mais ces sociétés et les éventuels coupables sont inondés de subventions gouvernementales et de titres, au lieu d’être poursuivis pénalement. Imaginez-vous ce que nous, en tant que peuple, pourrions faire avec 120 milliards de livres sterling de revenus supplémentaires par an ?

Un agent de surface écossais sous payé est traqué comme un chien et emprisonné pour avoir essayé de frauder les services sociaux à hauteur de 25 000 £ pour s’occuper de sa vieille mère mourante, mais on prend des gants avec un marchand de biens millionnaire pris en flagrant délit de tentative de fraude fiscale à hauteur de 150 000 £ et on lui offre un règlement amiable sans même envisager une procédure pénale. C’est une guerre de classe.

Les banquiers détruisent l’économie avec des prêts irresponsables et illégaux, des manipulations de marché et des accords financiers pour améliorer leurs salaires et leurs primes, mais pas un seul banquier n’est poursuivi au pénal pour les dégâts qu’il a causés, sauf en Islande où les banquiers coupables ont dû rendre des comptes pour leurs crimes. Protéger les banquiers en Grande-Bretagne contre les poursuites pénales, cela fait partie de la guerre de classe.

La prochaine fois qu’un présentateur surpayé de la BBC tentera de vous convaincre que nous n’avons vraiment plus les moyens de financer les services de santé, ou que nous ne pouvons plus augmenter les infirmières, les pompiers, les soignants, les préposés au nettoyage, les agents de recouvrement ou les enseignants, je vous invite à vous rappeler ce que je viens de vous dire. Nous pouvons nous permettre tout cela et bien plus encore. On peut trouver autant d’argent que la classe dirigeante en a besoin. Que ce soit pour une de ses guerres ou pour renouveler son arsenal illégal d’armes nucléaires, on trouve toujours les fonds nécessaires.

Si nous avions suffisamment d’inspecteurs des impôts pour obliger les riches à payer leurs impôts, notre pays serait un endroit beaucoup plus agréable à vivre. Tout ce que le gouvernement de May fait est dans la continuité de cette guerre de classe. Ils essaient de le cacher, mais c’est exactement ce qu’ils font.

Traduction : Dominique Muselet

Notes

  1. En anglais : Born again Tory Blair. Jeu de mot voulant dire que le travailliste Tony Blair s’est converti au conservatisme, à la droite (Tory)
  2. Private finance initiative (PFI). C’est l’équivalent des partenariats publics-privés en France L’auteur réinterprète à sa manière le sigle PFI en Paying For Infinity (payer pour l’éternité)
  3. Bleu est la couleur traditionnelle des Torys, orange celle des Libéraux démocrates et jaune, celle des vendus
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