Par Moon of Alabama – Le 16 mars 2021
Il y a moins d’un mois, le gouvernement britannique exhortait l’Iran à se conformer de nouveau à l’accord sur le nucléaire :
"Je ne pense pas que nous devrions envoyer le signal que nous allons négliger cette non-conformité ou la balayer sous le tapis", a déclaré James Cleverly, le chargé d’affaires pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord au ministère britannique des Affaires étrangères, à la BBC. "La balle est entre les mains de l'Iran, c'est lui qui enfreint les conditions du JCPOA, c'est lui qui peut faire quelque chose et c'est à lui de se reconformer", a-t-il déclaré.
En fait, ce sont les États-Unis et leurs mandataires européens, dont la Grande-Bretagne, qui ne respectent pas le JCPOA. L’Iran a dépassé certaines limites techniques de l’accord nucléaire. Mais il est autorisé à le faire en vertu des articles 26 et 37 de l’accord, car les autres parties ne respectent pas leurs obligations au titre de l’accord.
C’est également la Grande-Bretagne qui menace aujourd’hui de rompre un autre accord sur le nucléaire :
La Grande-Bretagne augmente de plus de 40 % le plafond du nombre d'ogives nucléaires Trident qu'elle peut stocker, annoncera Boris Johnson mardi, mettant fin à 30 ans de désarmement progressif depuis l'effondrement de l'Union soviétique. L'augmentation de la limite, de 180 à 260 ogives, est contenue dans une copie divulguée de la révision intégrée de la politique de défense et de la politique étrangère, vue par le Guardian. Elle ouvre la voie à un réarmement controversé de 10 milliards de livres sterling en réponse aux menaces perçues venant de Russie et de Chine.
Le Royaume-Uni a signé le traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP) en tant qu’État doté de l’arme nucléaire. En augmentant son stock d’armes nucléaires, le Royaume-Uni enfreint désormais l’article VI du traité :
Article VI Chacune des Parties au Traité s'engage à poursuivre de bonne foi des négociations sur des mesures efficaces relatives à la cessation de la course aux armements nucléaires à une date rapprochée et au désarmement nucléaire, et sur un traité de désarmement général et complet sous un contrôle international strict et efficace.
Dans ses précédentes communications aux autres États parties du TNP, la Grande-Bretagne a explicitement lié le nombre d’ogives nucléaires dont elle dispose à son obligation au titre de l’article VI. Dans un discours prononcé lors de la Conférence d’examen du TNP de 2015, la baronne Anelay, ministre d’État au ministère britannique des Affaires étrangères et du Commonwealth, déclarait :
Madame la Présidente, le Royaume-Uni reste fermement engagé en faveur d'un désarmement progressif, et de nos obligations au titre de l'article six. Nous avons annoncé en janvier que nous avons réduit le nombre d'ogives sur chacun de nos sous-marins lanceurs de missiles balistiques déployés de 48 à 40, et le nombre de missiles opérationnels sur chacun de ces sous-marins à huit au maximum. Cela porte le nombre total d'ogives disponibles sur le plan opérationnel à 120 au maximum. Et cela nous permettra de réduire notre stock global d'ogives nucléaires à 180 au maximum d'ici le milieu des années 2020.
Le Royaume-Uni a fait valoir qu’il était en conformité avec ses obligations au titre de l’article VI parce qu’il réduisait le nombre d’ogives nucléaires. Il ne peut donc pas prétendre être en conformité avec le traité lorsqu’il augmente ce nombre.
La Revue intégrée de la sécurité, de la défense, du développement et de la politique étrangère qui vient d’être publiée et qui introduit le changement de politique britannique soutient à la page 76 que l’augmentation du nombre d’ogives est nécessaire :
La dissuasion nucléaire indépendante du Royaume-Uni existe depuis plus de 60 ans pour dissuader les menaces les plus extrêmes à notre sécurité nationale et notre mode de vie, contribuant à garantir notre sécurité et celle de nos alliés. ... Certains États augmentent et diversifient aujourd'hui considérablement leurs arsenaux nucléaires. Ils investissent dans de nouvelles technologies nucléaires et développent de nouveaux systèmes nucléaires "de combat" qu'ils intègrent dans leurs stratégies et doctrines militaires et dans leur rhétorique politique pour tenter de contraindre les autres. L'augmentation de la concurrence mondiale, les défis à l'ordre international et la prolifération de technologies potentiellement perturbatrices constituent tous une menace pour la stabilité stratégique. ... En 2010, le gouvernement a déclaré son intention de réduire le plafond global de notre stock d'ogives nucléaires de 225 à 180 au maximum d'ici le milieu des années 2020. Toutefois, compte tenu de l'évolution de l'environnement de sécurité, y compris l'éventail croissant des menaces technologiques et doctrinales, cela n'est plus possible et le Royaume-Uni passera à un stock global d'armes nucléaires ne dépassant pas 260 ogives.
Les menaces technologiques contre les armes nucléaires britanniques sont possibles, mais que veulent dire les “menaces doctrinales” ?
Le Royaume-Uni a toujours un sous-marin nucléaire équipé de missiles nucléaires en mer. Il s’agit de son seul élément de dissuasion nucléaire qui pourrait être mis en danger par de nouvelles menaces technologiques, par exemple des essaims de drones sous-marins armés. Mais le fait de placer davantage d’ogives nucléaires sur ce seul sous-marin en mer ne le rendra pas plus sûr et ne modifiera pas le niveau des menaces technologiques. C’est la mauvaise solution à un futur problème.
Cette “ambiguïté” est également mauvaise :
Alors que notre détermination et notre capacité à le faire si nécessaire ne font aucun doute, nous resterons délibérément ambigus quant au moment précis, à la manière et à l'échelle auxquels nous envisagerions d'utiliser des armes nucléaires. Compte tenu de l'évolution de l'environnement sécuritaire et technologique, nous continuerons cette ancienne politique d'ambiguïté délibérée et ne rendrons plus publics les chiffres relatifs à notre stock opérationnel, aux ogives déployées ou aux missiles déployés.
La dissimulation de tels chiffres peut entraîner des erreurs de calcul chez l’adversaire et constitue à ce titre un élément déstabilisant. Elle ne renforce pas la sécurité nationale mais la met potentiellement en danger.
Le Royaume-Uni enfreint intentionnellement le traité de non-prolifération et augmente son stock nucléaire. C’est également le Royaume-Uni qui soutient les sanctions américaines illégales contre l’Iran, malgré leur incompatibilité avec le JCPOA.
Pourquoi donc l’Iran, ou tout autre pays, devrait-il alors rester dans le cadre négocié du TNP et du JCPOA ?
Moon of Alabama
Traduit par Wayan, relu par Hervé pour le Saker Francophone
Ping : L’augmentation des capacités nucléaires de la Grande-Bretagne enfreint ses obligations au Traité de non Prolification Nucléaire – Saint Avold / The Sentinel