Par Caitlin Johnstone – Le 7 juillet 2021

La Haute Cour de Grande-Bretagne a accordé au gouvernement américain l’autorisation de faire appel du jugement de non-extradition du fondateur de WikiLeaks, Julian Assange, ce qui signifie que le célèbre journaliste continuera, pendant toute la procédure d’appel, de croupir en prison pour avoir dénoncé des crimes de guerre commis par les États-Unis.

Si les médias occidentaux étaient ce qu’ils prétendent être, chaque membre du public serait parfaitement conscient du fait qu’un journaliste est emprisonné par le gouvernement le plus puissant du monde pour avoir exposé des faits gênants au sujet de sa machine de guerre. Les médias occidentaux étant des institutions de propagande conçues pour protéger les puissants, ce fait est loin d’être au premier plan de l’attention du public. La plupart des gens sont plus conscients des calomnies selon lesquelles Assange serait un agent russe ou un violeur que de son statut de victime d’un assaut tyrannique contre les libertés de la presse.

Il y a un tout autre monde qui se passe juste sous la surface de l’attention du grand public. Le voile entretenu par le show-biz, le divertissement et les querelles partisanes obscurcit notre perception du monde, celle-ci n’étant qu’occasionnellement perturbée par de brèves explosions de conscience perçant ce brouillard.

Vous êtes en train de lire ce que Ronnie le Républicain a dit à Debbie la Démocrate, et cela vous semble si réel et normal, puis tout d’un coup, vous êtes frappé au visage par l’annonce que Jeffrey Epstein a été suicidé en prison, alors qu’il serait lié à des opérations de chantage sexuel menées par le gouvernement et utilisant des mineurs dans le but de contrôler des personnes influentes de la société. Puis la mémoire s’efface rapidement, le brouillard revient, et revoilà Ronnie et Debbie, une fois de plus.

Mais avant que le brouillard ne revienne, il y a toujours un court moment de “Quoi ?? Huh ??” alors que vous essayez de vous réorienter vers une nouvelle réalité à la lumière des informations que vous venez de recevoir. Ce que vous venez d’apprendre est totalement inconciliable avec votre vision actuelle du monde, celle dont vous avez été nourri morceau par morceau par l’école, les médias de masse et les algorithmes Internet. Le choc entre votre confortable vision du monde actuelle et la nouvelle information que vous venez de recevoir provoque une sorte d’inconfort psychologique connu sous le nom de dissonance cognitive, qui rend difficile de considérer les deux en même temps.

À partir de là, le cloisonnement psychologique prend le dessus. Le cloisonnement consiste à séparer mentalement l’information ou l’expérience de la compréhension que nous avons de nous-mêmes et du monde et à la balayer sous le tapis pour ne plus ressentir de dissonance cognitive. Nous ne l’effaçons pas ; l’information est toujours là, accessible si nous le voulons, mais elle est placée dans un fichier séparé et traitée comme si elle n’existait que dans une réalité parallèle.

Nous n'aimons pas parler du Yémen. Nous n'aimons pas penser au Yémen.

Le Yémen est un tabou mental.



Le Yémen, c'est l'œil au beurre noir d'un enfant dont tout le monde à l'église fait semblant de croire, pour éviter une confrontation inconfortable, qu'il a encore chuté dans les escaliers.

- Caitlin Johnstone ⏳ (@caitoz) 2 août 2020

Le cloisonnement psychologique entre parfois en jeu lorsqu’une femme découvre que son mari a abusé sexuellement de leur enfant ; elle classe l’information dans un dossier à part, car la façon dont cette information briserait son monde si elle s’y accrochait est trop effrayante et la dissonance cognitive indue par ces deux mondes en mêmes temps est trop inconfortable.

Le cloisonnement entre en jeu lorsque nous parcourons notre fil d’actualité et que nous voyons quelque chose sur les horreurs qui se déchaînent sur le Yémen avec l’aide de notre gouvernement ; cela ne correspond pas au modèle du monde que nous avons été formés à maintenir dans notre esprit, alors nous le dissocions de notre modèle.

Il entre en jeu lorsque nous nous rappelons qu’on nous a menti à propos de l’Irak. Il entre en jeu lorsque nous pensons à ce que la façon dont l’humanité vit sur cette planète fait à notre écosystème. Il entre en jeu lorsque nous pensons au fait que les armes nucléaires existent et que les tensions de la guerre froide s’intensifient. Il entre en jeu lorsqu’on nous rappelle que notre gouvernement emprisonne et torture un journaliste dont le seul crime a été d’essayer de faire sortir la vérité des dossiers secrets dans lesquels elle était cachée, afin que nous puissions l’intégrer à notre vision du monde.

Le coût pour sortir du cloisonnement et adopter une vision du monde intègre est la dissonance cognitive et l’inconfort de la construction d’un nouveau cadre conceptuel intégrant cette réalité. Mais la récompense est d’avoir une perspective basée sur la vérité plutôt que sur le mensonge.

Le cloisonnement est une des armes utilisées par les propagandistes. C’est une faille dans notre traitement cognitif qui permet qu’ils n’aient pas à travailler aussi dur pour nous faire vivre dans un tunnel de réalité basé sur le mensonge ; tout ce qu’ils ont à faire est de construire une perception de la réalité pour nous, et à partir de là, nos propres systèmes de défense psychologique feront le travail pour eux.

L’empire oligarchique qui dirige notre monde n’est pas vraiment caché ; nous en voyons les signes tout le temps, mais c’est juste trop inconfortable pour la plupart d’entre nous de le regarder. Le monstre n’est pas caché sous le lit, il nous regarde droit dans les yeux et nous regardons dans toute la pièce sauf là où il se tient, car croiser son regard anéantirait nos croyances sur le monde.

Mais nous devons pourtant les anéantir. Les visions du monde basées sur le mensonge sont ce qui maintient l’empire. Si les puissants dépensent tant d’énergie à nous maintenir dans la propagande c’est qu’ils en ont besoin pour conserver le pouvoir. Sans cela, nous pourrions nous rendre compte qu’ils répandent des maux immenses sur notre monde, et que nous sommes beaucoup plus nombreux qu’eux.

Et c’est ce que nous devons faire si nous voulons que notre espèce survive. Nous devons trouver un moyen de confronter cette dissonance cognitive pour passer d’un mode de vie basé sur le mensonge à un mode de vie basé sur la vérité, et devenir une espèce basée sur la vérité avec une relation basée sur la vérité, les uns avec les autres et avec notre écosystème. Si nous continuons à refuser de voir la réalité, nous allons rester coincés dans notre cloisonnement psychologique et disparaître.

Caitlin Johnstone

Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone

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