Il semble que la Russie et la Chine soient arrivées à la conclusion que si un ordre mondial est orchestré par ceux qui pensent en quelque sorte « savoir mieux » que la moitié de leur propre électorat, elles préfèrent s’en passer.
Par Alastair Crooke – Le 20 février 2022 – Source Al Mayadeen
Yuri Ushakov, un haut conseiller du Kremlin, avait révélé avant la déclaration Poutine-Xi de Pékin que sa publication marquerait un point d’inflexion dans les relations internationales. Ce serait une nouvelle ère, avec la Russie et la Chine en phase « sur les problèmes mondiaux les plus importants – et avec un accent particulier sur les questions de sécurité. »
Le monde entier commence tout juste à comprendre à quel point cette déclaration représente un point d’inflexion. La déclaration elle-même était générale – une répétition de grands principes. Ce qui est encore plus clair aujourd’hui, c’est que Moscou et Pékin avaient déjà décidé de rompre avec l’Occident – de manière fondamentale.
Ce qui se prépare aujourd’hui est la manifestation de cette décision préalable. Il s’agit de la concrétisation de cette rupture avec l’Occident (jamais absolue, bien sûr) et de la séparation concomitante du globe en deux sphères distinctes : les États qui suivent la vision russo-chinoise suivent leurs propres processus civilisationnels et politiques. La Chine et la Russie se sont engagées en faveur d’un cœur asiatique intégré, cohérent (une sphère distincte) – s’étendant de l’Europe à l’Asie de l’Est (incluant également des parties de l’Arctique).
En termes moins diplomatiques, la Russie et la Chine ont conclu qu’il n’était plus possible de partager une société mondiale avec une Amérique déterminée à imposer un ordre mondial hégémonique conçu pour « ressembler à l’Arizona ».
Matt Taibbi a écrit : « Le problème, c’est que nous entrons dans la troisième décennie où les dirigeants occidentaux ont adopté la non-pensée comme concept fondamental de la sécurité nationale. C’est comme si ces gens étaient allés à l’école de l’anti-gouvernement. »
Taibbi pointe du doigt le point de départ de cette tendance à la « Doctrine Bernard Lewis« de 2004. L’argument était la simplicité même. Le bon professeur estimait qu’il était inutile de se demander « Pourquoi nous haïssent-ils ? », car la réponse était si manifestement ancrée dans un problème que nous ne pouvions pas résoudre : l’échec civilisationnel de l’Islam.
En un sens, ils nous haïssent depuis des siècles… On ne peut pas être riche, fort, avoir du succès et être aimé, en particulier par ceux qui ne sont pas riches, pas forts et pas prospères. Donc la haine est quelque chose de presque axiomatique. La question que nous devrions poser est la suivante : pourquoi ne nous craignent-ils pas et ne nous respectent-ils pas ?
(Taibbi encore) : Après que Karl Rove ait convoqué Lewis pour briefer la Maison Blanche de Bush, nos dirigeants ont commencé à parler de l’impossibilité de dialoguer avec le Moyen-Orient. Comme leur culture était un échec, et la nôtre une réussite, ils nous détesteraient pour toujours.
Par conséquent, il n’était pas nécessaire d’écouter les raisons pour lesquelles ils nous haïssent, puisque, d’un point de vue pratique, la seule façon de mettre fin à cette haine « axiomatique » était de faire en sorte que leurs sociétés soient moins marquées par l’échec, c’est-à-dire qu’elles nous ressemblent davantage. À partir de là, ils se sont lancés dans une stratégie consciente consistant à ne pas prendre en considération ce que les autres peuples ou pays pourraient penser, alors qu’ils lançaient leur plan ingénieux pour transformer la Mésopotamie en Arizona, par la force.
Eh bien, il semble que la Russie et la Chine soient arrivées à la conclusion que si un ordre mondial est orchestré par ceux qui pensent en quelque sorte « savoir mieux » que la moitié de leur propre électorat (c’est-à-dire le propre électorat des États-Unis), et ceux qui vivent dans des échecs civilisationnels, ils n’en voulaient pas.
Ils veulent la séparation. Si cela doit se faire par le dialogue (ce qui est peu probable, puisque le principe fondamental de la géopolitique d’aujourd’hui est défini par l’incompréhension délibérée de l’« altérité »), alors il faut y parvenir par une escalade de la douleur – jusqu’à ce qu’une partie, ou l’autre, cède. Bien sûr, Washington ne croit pas que Xi et Poutine puissent penser ce qu’ils disent – et ils pensent que, de toute façon, ils (l’Occident) possèdent un pouvoir prépondérant dans le domaine de l’escalade de la douleur.
Il est frappant de constater que la décision de rompre avec les États-Unis est en train de politiser la Chine. Et les ramifications de ce changement sont énormes. Prenez cet exemple : le Global Times, qui fait autorité en la matière, dans un éditorial intitulé C’est loin de la ligne de front de l’Ukraine que Washington est le plus avide de guerre, avertit que les États-Unis sont à l’origine de la guerre en Ukraine précisément dans le but de renforcer la discipline du bloc – pour ramener les États européens dans le giron des États-Unis.
La Chine considère que l’Ukraine est le pivot idéal pour faire évoluer l’Europe vers les besoins géostratégiques ultérieurs de l’Amérique : les États-Unis poussent l’Ukraine sur la ligne de front, mais ils se sont eux-mêmes écartés pour éviter d’être impliqués.
L’éditorial note :
De toute évidence, le champ de vision de Washington est trop étroit pour voir le véritable monde d’aujourd’hui. Les États-Unis ressemblent davantage à un « représentant de classe » de l’ancienne pensée, claironnant fièrement ses mensonges du siècle dernier. Ils se croient plus intelligents que tous les autres, mais ils s’accordent trop de crédit.
Cette polarisation occidentale entre des « élus » qui savent mieux que quiconque et une sous-classe méprisée de citoyens mal informés et fanatiques qui « occupent l’espace » (selon la formulation de Trudeau) dans la sphère domestique conduit à un dilemme parallèle au niveau mondial : « la séparation ou la purge » .
Il semble que la prétention à « mieux savoir » et le mépris de tout autre point de vue viennent de passer au niveau mondial. Et les conséquences seront profondes.
Dans la frénésie autour de l’Ukraine, on a largement négligé l’importance géopolitique de la Chine qui sort de sa neutralité. Pour la première fois (depuis les Mongols), la Chine intervient directement (en adoptant une position très claire et puissante) sur une question centrale concernant les affaires européennes. À plus long terme, cela suggère que la Chine adoptera une approche plus politique dans ses relations avec les pays européens et les autres pays.
En jeu, donc, des décisions clés qui définiront l’Europe future. Mais il en va de même pour l’avenir du Moyen-Orient. Il ne sera plus possible de se contenter d’une position hésitante face à cette nouvelle Chine émergente : êtes-vous du côté des « vieux penseurs », qui s’imaginent plus intelligents que quiconque sur la planète et qui soufflent « de vieux airs dans leur vieux clairon du siècle dernier » ? Ou êtes-vous du côté de la vision alternative d’un heartland asiatique intégré, fondé sur la souveraineté nationale et la spécificité politique ? Il est temps de se décider sur le plan géopolitique.
Alastair Crooke
Traduit par Zineb, relu par Wayan, pour le Saker Francophone
Ping : Endkampf : la lutte devient radicale et religieuse – avec une pointe eschatologique et manichéenne – ou seulement binaire (leurs machines nous auront simplifiés et lessivés le cerveau). Il y a un Camp (un khan ?) du Bien et un du mal (sermo
Ping : La séparation ou la purge géopolitique ? Au-delà du «vieux clairon » d’avant la guerre d’Ukraine – les 7 du quebec