La Russie vend des produits pétroliers transformés à Israël et y facilite les exportations de pétrole du Kazakhstan


Par Andrew Korybko − Le 11 octobre 2024 − Source korybko.substack.com

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Il est important que le public soit mieux informé de ces éléments, qui contribuent à expliquer les politiques suivies par la Russie et par Israël envers l’une et l’autre, dans le contexte du conflit en Ukraine et de la guerre régionale de résistance contre Israël.

La Turquie a subi des pressions de la rue pour faire arrêter les exportations de pétrole en provenance d’Azerbaïdjan à Israël au travers de l’oléoduc Bakou-Tbilisi-Ceyhan depuis l’éclatement de ce qui peut désormais être décrit comme une guerre régionale de résistance contre Israël, il y a un an. Les activistes croient que ce flux commercial approvisionne la machine de guerre d’Israël, et qu’il rend par conséquent toutes ses parties indirectement complices de ses crimes de guerre supposés. Nonobstant l’opinion de chacun à ce sujet, le point intéressant est que la Russie ne subit à cet égard aucune pression.

Le Guardian a cité un rapport de Data Desk, une société de consultance basée au Royaume-Uni qui enquête sur l’industriel fossile pétrolière, pour affirmer au mois de mars 2024 ce qui suit :

  • Les données suggèrent également qu’au moins 600kt de pétrole brut kazakh/russe ont été envoyées en Israël au travers du Caspian Pipeline Consortium (CPC) depuis le mois d’octobre 2023. Le pétrole du CPC est un mélange en provenance des champs pétrolifères majeurs offshore de la Mer Caspienne, ainsi que de plus petits champs pétroliers terrestres situés dans le Sud de la Russie.
  • Chevron entretient les intérêts les plus conséquents parmi les grandes sociétés pétrolières internationales au sein du CPC, suivie par ExxonMobil et par Shell. Ces entreprises de pétrole fossile ont également des parts dans les champs pétrolifères qui approvisionnent l’oléoduc. La plus grande partie du pétrole approvisionnant le CPC est produite au Kazakhstan et n’a pas subi de sanctions, contrairement au pétrole brut russe.
  • La Russie semble également avoir poursuivi des livraisons régulières de résidus légers sous vide, une essence pétrolière de basse qualité le plus souvent retraitée pour alimenter les moteurs d’avion et le diesel par le procédé de l’hydrocracking. Les résidus légers sous vide russes sont expédiés depuis des ports situés en Mer Noire.
  • Les données suggèrent également que quatre livraisons, totalisant plus de 120kt de résidus légers sous vides sont partis de Russie à destination d’Israël après que la Cour de Justice Internationale a ordonné à Israël d’adopter toutes les mesures possibles pour empêcher un génocide. L’afflux de résidus légers sous vide russes a été fortement impacté par une interdiction prononcée par l’Union européenne et ayant pris effet en février 2023.

Ils sont ensuite revenus sur le sujet au mois d’août en citant un rapport issu de l’ONG Oil Change International, qui a été partagé en exclusivité avec le Guardian, avec les deux graphiques suivants :

On constate nettement que la Russie vend des produits pétroliers transformés à Israël et facilite les exportations de pétrole kazakh vers ce pays au travers du Caspian Pipeline Consortium, mais que rares ont été les observateurs à prêter attention aux rapports émis par le Guardian. La raison est que les Médias de Grand Chemin considèrent Israël comme le Bien absolu, et la Russie comme le Mal absolu, cependant que la communauté des Médias Alternatifs a adopté la considération opposée. Aucun des deux camps ne veut par conséquent trop s’attarder sur les liens énergétiques continus entre les deux pays, car ceux-ci sont contraires à leurs narratifs respectifs.

Mais il est important que le public soit mieux informé à ce sujet, car cela contribue à expliquer les politiques adoptées par la Russie et par Israël à l’égard l’une de l’autre, que les deux camps médiatiques présentent souvent de manière trompeuse. Israël n’a pas appliqué de sanctions à la Russie pour son opération spéciale, ni n’a envoyé d’armes à l’Ukraine, et la Russie n’a pas sanctionné Israël pour ses campagnes à Gaza, et à présent au Liban, ni n’a même désigné symboliquement Israël comme « pays inamical ». Ces politiques agacent respectivement les Médias de Grand Chemin et la communauté des Médias Alternatifs.

On peut expliquer la ligne politique adoptée par Israël en considérant sa réticence à mettre en colère la Russie, ce qui provoquerait des difficultés pour son armée de l’air en Syrie qui, depuis des années, est autorisée à y bombarder des cibles de la Résistance sans intervention, directe ou indirecte, de la part de la Russie (avec un brouillage électronique ou en laissant la Syrie utiliser les S-300). De la même manière, on peut expliquer la ligne politique russe en considérant la réticence de la Russie à mettre en colère Israël et à prendre le risque de voir ce pays transmettre des équipements militaires de haute technologie (y compris des systèmes défensifs) à l’Ukraine, chose qu’Israël n’a pas fait jusqu’ici.

Ces points étant clarifiés, on ne peut plus nier que les intérêts énergétiques mutuels des deux pays jouent également un rôle dans leurs calculs, surtout au vu de l’importance actuelle de cette coopération pour chacun d’entre eux. Israël a besoin d’importations fiables de produits pétroliers transformés et de brut à cause du blocus pratiqué par les Houthis en Mer Rouge, et la Russie a besoin de revenus fiables en échange de ses ressources à cause des sanctions occidentales. Ni le partenaire étasunien d’Israël, ni les partenaires de la Résistance de la Russie n’ont pu les empêcher de coopérer ainsi.

En outre, même à supposer qu’Israël déciderait de sanctionner la Russie et d’armer l’Ukraine, il serait très peu probable que la Russie cesserait d’approvisionner Israël en produits pétroliers transformés et du brut en provenance du Kazakhstan. À ce jour, la Russie continue d’approvisionner l’UE en énergie malgré les sanctions prononcées par le bloc contre elle, et malgré le fait qu’elle arme l’Ukraine, car elle tient à se présenter comme un partenaire fiable aux yeux du monde, et également parce qu’elle a besoin des revenus qui en découlent. Le précédent existe donc d’une poursuite de ce commerce avec Israël suivant un scénario semblable.

La Russie pense que le commerce énergétique ne devrait jamais faire l’objet d’une politisation, et s’est prononcée contre les pressions occidentales exercées contre la Chine et l’Inde en raison de leurs achats à grande échelle de son pétrole depuis 2022. L’Occident affirme que ces deux pays approvisionnent financièrement la machine de guerre russe, et qu’ils se rendent donc indirectement complices de ses supposés crimes de guerre, chose semblable à ce que les activistes affirment au sujet de l’Azerbaïdjan, de la Géorgie et de la Turquie, accusés d’approvisionner la machine de guerre d’Israël et de se rendre ainsi indirectement complices de ses supposés crimes de guerre.

Par conséquent, au vu de la manière dont la Russie rejette les affirmations occidentales selon lesquelles la Chine et l’Inde se rendraient indirectement complices de ses crimes de guerre supposés (dont elle a toujours nié l’existence) simplement du fait qu’elles achètent son pétrole, elle rejetterait également les affirmations semblables avancées par les activistes au sujet de la complicité de la Russie en approvisionnant la machine de guerre d’Israël. Il s’ensuit que la Russie va rester imperméable à ces pressions, visant à priver Israël de ses produits pétroliers transformés et du brut issu du Kazakhstan, que cela vienne des activistes, de l’Occident, ou de la Résistance.

Andrew Korybko est un analyste politique étasunien, établi à Moscou, spécialisé dans les relations entre la stratégie étasunienne en Afrique et en Eurasie, les nouvelles Routes de la soie chinoises, et la Guerre hybride.

Traduit par José Martí, relu par Wayan, pour le Saker Francophone

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