Par William Blum – Le 8 janvier 2016 – Source CounterPunch
Il y a un site russe [inosmi = médias de masse étrangers] qui traduit en russe des articles de propagande anti-russe des médias occidentaux et les publie pour que les Russes puissent constater par eux-mêmes les mensonges quotidiens que les médias occidentaux répandent sur eux. Il y a eu récemment plusieurs articles qui faisaient état de sondages indiquant que le sentiment anti-occidental augmentait en Russie, et qui accusaient la propagande de Poutine d’en être responsable.
C’est une accusation assez bizarre, car pourquoi Poutine aurait-il besoin de faire de la propagande alors que les Russes peuvent lire les médias occidentaux et constater tout seuls tous les mensonges les concernant ainsi que la diabolisation de Poutine ? Il y a plusieurs shows politiques à la télévision russe, où des journalistes ou politiciens occidentaux sont invités ; sur l’un d’eux, il y a souvent un journaliste américain vraiment drôle, Michael Bohm, qui ne fait que régurgiter la propagande occidentale dans le débat avec ses homologues russes. C’est assez surréaliste de le voir incarner sans complexe les pires travers communément attribués aux Américains : l’arrogance, la naïveté et l’ignorance. Très content de lui, il admoneste des hommes politiques russes de haut rang et leur explique la vraie politique étrangère russe et les intentions réelles qu’il y a derrière. C’est rare d’atteindre un tel niveau d’inconscience par rapport à l’ironie d’une situation. Quand on le regarde, on ne sait pas s’il faut rire, pleurer ou avoir peur.
Tout ce qui est écrit ci-dessus l’a été avec l’aide d’une femme élevée en Union soviétique qui vit maintenant à Washington. Elle et moi, nous parlons souvent de la politique étrangère étasunienne. Nous sommes presque entièrement d’accord sur sa puissance dévastatrice et son absurdité.
Tout comme pendant la première Guerre froide, l’un des principaux problèmes est que les Exceptionnels Américains ont beaucoup de mal à croire que les Russes puissent avoir de bonnes intentions. Cela me rappelle une anecdote qu’on raconte sur George Kennan :
Alors qu’il traversait la Pologne avec la première mission diplomatique américaine se rendant en Union soviétique à l’hiver 1933, un jeune diplomate américain nommé George Kennan a été quelque peu étonné d’entendre Maxime Litvinov, le ministre soviétique des Affaires étrangères qui l’escortait, évoquer des souvenirs de son enfance passée dans un village voisin et parler des livres qu’il lisait alors et de son rêve de devenir bibliothécaire.
«Nous avons soudain réalisé, ou du moins ça a été mon cas, que ces gens avec qui nous traitions étaient des êtres humains comme nous, a écrit Kennan, qu’ils étaient nés quelque part, qu’ils avaient eu des rêves d’enfance comme nous. Pendant un bref moment, il a semblé que nous pourrions changer d’attitude et embrasser ces gens.»
Cela n’a pas encore eu lieu.
La soudaine prise de conscience de Kennan fait penser à ces paroles de George Orwell : «Nous sommes maintenant tombés si bas qu’énoncer des évidences est devenu le premier devoir des hommes intelligents.»
Traduction Dominique Muselet
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