Deux tabous politiques qui empêchent la mobilisation


Par Alexandre Moumbaris – Le 11 janvier 2015 – Source BIP

Le premier tabou que je veux évoquer concerne les communistes : partis, organisations et camarades qui, dans le contexte de la guerre d’agression – et non pas civile – que subit la Syrie, traitent la Russie comme «seulement un autre impérialisme» à la poursuite de ses propres desseins, et de ce fait la mettent dos à dos avec d’autres belligérants. Ils nient avec obstination le rôle internationalement progressiste que la Russie joue dans ce pays.

Clairement la Russie d’aujourd’hui n’est pas l’Union soviétique d’hier, elle est capitaliste, même impérialiste, avec tout ce que caractérise ce système : le rôle des banques, des monopoles… où la quête du profit est omniprésente. Nous en sommes conscients. Bien que certaines attitudes du président Poutine et de son entourage soient sympathiques à l’égard du passé communiste, rien ne nous garantit que cela aille plus loin ou que cela durera.

Pendant la période Poutine, la Russie a su défendre son territoire des attaques impérialistes occidentales et respecter le droit international, notamment par rapport à l’incorporation de la Crimée et à l’assistance militaire répondant à la demande du gouvernement syrien.

Alors que les démembrements de la Yougoslavie et celui de la Serbie, avec la sécession forcée du Kosovo, ont été faits à coup de bombes et à l’aide de forces supplétives d’une coalition de pays membres de l’Otan, sous le prétexte fallacieux de protéger les musulmans, à l’inverse, la transition de la Crimée vers la Fédération de Russie a bien été plébiscitée par sa population et s’est déroulée paisiblement et légalement. Rappelons que la Crimée a été russe pendant plus de deux cents ans et que la grande majorité de la population est ethniquement russe. Elle n’a fait partie de l’Ukraine que par acte administratif pendant la période du renégat Khrouchtchev.

Il faut rappeler que les diverses organisations, particulièrement de gauche, qui avaient prêté main forte à la campagne de dénigrement du président Slobodan Milosevic, qui l’accusaient de nettoyage ethnique, agissent régulièrement, même immanquablement comme des alliés d’appoint des impérialistes. Ces pleureuses, apparaissent dans tous les média de masses pour s’indigner du fond de leurs innocentes âmes, et diaboliser les régimes des pays que les impérialistes ont décidé d’attaquer. Cela a été le cas avec la Yougoslavie, l’Irak, la Libye et maintenant pour la Syrie. Elles ne se sont jamais indignées, à propos du coup d’État sanglant en Roumanie, des conditions des minorités russes dans les pays baltes, elles n’ont pas exprimé leur désapprobation face à la dissolution illégale de l’Union soviétique, ni à la nazification de l’Ukraine, ni au sort de la Côte d’Ivoire, de la Libye ou de l’Irak… Mais quand l’urgence est passée, le désastre installé, il leur arrive de faire semblant d’essuyer une ou deux larmes de crocodile… en préparation du prochain coup.

Certainement que les bombardements russes sont efficaces, mais croire qu’il n’y aurait pas de victimes civiles, ni de dommages matériels de la population serait simplet. Toutefois nous voulons bien croire qu’ils font tout ce qu’ils peuvent pour l’éviter. Il n’est pas étonnant non plus que la population prise dans les conflits essaye de se réfugier là où elle le peut et comme elle le peut. Les zones de front, qu’elles avancent ou qu’elles reculent, laissent forcement derrière elles le désarroi et la destruction, il ne peut en être autrement. Mais là il faut se demander qui a commencé le conflit, qui a créé, facilité, financé, armé État islamique, Daech, al-Qaïda… Qui voulait et continue de vouloir imposer un changement de régime en Syrie… Ce n’est ni la Russie, ni la Chine, ni l’Iran ni le Hezbollah. Ces derniers, avec le gouvernement syrien, réagissent en se défendant. Ils n’ont pas d’autre choix, la guerre leur est imposée.

Pour ne pas passer pour des naïfs, il faut rappeler que la Syrie a fait partie de la coalition Tempête du Désert (Desert Storm) en 1991 avec 14 500 hommes contre l’Irak, il n’y eut guère de soutien de sa part pour les Irakiens lors de l’opération Choc et Effroi (Shock and Awe) en 2003, ni pour feu Mouammar Kadhafi et la Libye en 2011. Cependant cela ne doit, en aucun cas, à l’heure où nous sommes, se mettre entre nous et le soutien à sa souveraineté, la légitimité de son gouvernement et celle de son président Bachar al-Assad. C’est précisément en cela que nous différencions ceux que nous approuvons de ceux que nous dénonçons. Aussi, faut-il admettre à la décharge de la Syrie, qu’à l’époque elle avait de sérieuses circonstances atténuantes. Elle ne voulait pas subir le même sort que l’Irak, surtout pas tout de suite. Elle n’avait pas d’alliés puissants tels que la Russie de Poutine d’aujourd’hui sur lesquels elle pouvait s’appuyer. Lors de la première guerre du Golfe en 1991, le pouvoir soviétique était en cours de dissolution, il passait de Gorbatchev à Eltsine. Lors de la seconde guerre du Golfe, en 2003, le président était le tout nouveau et fragile Vladimir Poutine, avec comme Premier ministre Mikhaïl Kassianov – un des derniers de la clique eltsinienne − et lors de l’agression de la Libye, le président était Dmitry Medvedev et le Premier ministre Vladimir Poutine. Peut-être a-t-il fallu tout ce temps pour que la Russie se redresse de la dégénérescence politique, économique et militaire de la période Gorbatchev–Eltsine.

La défense de la souveraineté de la Syrie est l’exercice d’un droit qui concerne tous les pays, y compris le nôtre. C’est aussi une approche, une étape essentielle vers la voie socialiste. L’abandonner serait dévier de cette voie. Par conséquent, ceux qui rejettent la légitimité du combat du régime syrien et de ses alliés méprisent aussi le droit international. Ils sont soit pro-impérialistes, soit manipulés, soit refusent d’une certaine manière de prendre part à ce combat et dans tous les cas ont des attitudes démobilisatrices.

Du point de vue de la cohérence politique et aussi de son accessibilité, le soutien de la souveraineté d’un pays étranger ne peut se faire de manière abstraite. Peut-être que certains peuvent envisager aller se battre en Syrie, comme ceux qui sont partis ou partent pour l’Ukraine, mais la contribution la plus efficace et la plus naturelle à ce soutien est de lutter nationalement contre l’implication, de diverses manières agressives, de la France. C’est une lutte anti-impérialiste qui doit avoir lieu dans le cadre national tout en ayant la vision d’un objet internationaliste. Celle–ci exige toutefois comme gage d’honnêteté la condition préalable de la reconnaissance de la souveraineté de la Syrie, de la légitimité de son gouvernement ainsi que de son président Bachar al-Assad. Toute réserve, toute ambiguïté à ce sujet est à dénoncer, à condamner, à combattre.

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Le second tabou touche le combat pour rétablir la souveraineté nationale, une étape sans laquelle il n’est pas réaliste d’imaginer pouvoir avancer vers le socialisme, avec tout ce que cela implique, surtout dans une période de faiblesse du mouvement ouvrier et populaire.

Celle-ci nécessite avant tout la sortie de la France de l’Otan et des toutes les alliances prédatrices, le retour à la monnaie nationale, le retrait de l’Union européenne et du traité de Schengen. Ce sont des objectifs primordiaux et urgents, et dans cet ordre si possible.

Ceux sur qui nous pouvons nous appuyer sont déjà tous ceux qui ont voté «NON» au référendum de 2005, la majorité des Français, parmi lesquels il y en a de gauche, de droite et même d’extrême-droite. Il n’est pas admissible raisonnablement de se passer de leur contribution dans cette lutte.

Notre adversaire interne principal est la partie de la bourgeoisie en liaison avec l’impérialisme étranger et toutes les couches qui sont principalement attachées à cette forme d’exploitation de la nation et du peuple français, ainsi que les puissances économiques étrangères qui contrôlent des sections de l’économie ; c’est le colonialisme subi. L’autre volet est la bourgeoisie compradore au sens inversé, celle du colonialisme contre d’autres pays et d’autres peuples. Finalement il y a une similitude entre, peut-être pas la guerre, mais la lutte de libération nationale contre le colonialisme subi et la lutte de solidarité avec les pays colonisés ou agressés. Dans le processus de s’attaquer à la bourgeoisie compradore, libérer le pays de son joug ce n’est pas un tabou que d’avoir la collaboration de la bourgeoisie nationale. La lutte et l’affirmation de la souveraineté nationale répondent a cette nécessité primordiale. Ne pas l’utiliser, ne pas s’en servir, trahit la cause que nous prétendons servir.

La gauche, dont le Parti socialiste est la force principale, avec un PCF à sa traîne qui a cessé de lier patriotisme et internationalisme, s’est, avec le temps, engouffrée dans un projet droitier en écartant toute prétention idéologique au socialisme. L’assujettissement des intérêts de la France à ceux de l’Union européenne et des États-Unis… la crise mondiale, l’inflation camouflée et flagrante des prix des denrées de base ainsi que des services tels que la santé – la diminution des remboursements de la sécurité sociale, le coût des mutuelles − des transports, l’augmentation des tarifs postaux… la restriction des droits sociaux et la perte des libertés, la presse aux ordres du régime, donnent lieu pour la population à des conditions de vie qui avec le temps se détériorent de plus en plus.

Le pouvoir socialiste et ladite gauche parlementaire à sa suite, n’ayant plus de substance idéologique, étant totalement adaptés à la logique capitaliste, impérialiste, essaient avec des manèges politiciens de compenser la perte de l’électorat de gauche par des tentatives de séduction de l’électorat de droite et de l’extrême-droite par leur discours ambigu sur «la défense des intérêts de la nation». Le Parti socialiste utilise, avec un autre verbiage, les mêmes concepts racistes et chauvins ainsi que la psychose, prétextant une politique anti-terroriste. Celui-ci a toutefois beaucoup de mal à se démarquer de la politique du Front national dont il se déclare l’antithèse. Dans une tentative désespérée pour affirmer son identité, il a été réduit à se saborder au deuxième tour des élections régionales et à sacrifier un nombre très important de conseillers régionaux, en faveur de la droite classique, sans pour autant la moindre réciprocité. Une reconnaissance publique que le Parti socialiste et la gauche politicienne n’ont plus rien à proposer hormis prétendre être la négation du Front national.

Sous l’impulsion des attaques terroristes, le pouvoir socialiste a en hâte voulu inscrire l’état d’urgence dans la Constitution, ainsi que promulguer l’extension de la loi scélérate sur la déchéance de nationalité, et cela tout en maintenant, depuis des années, d’étroites amitiés avec les États qui soutiennent le terrorisme de masse, comme : la Turquie, l’Arabie saoudite, le Qatar– et bien entendu le pire de tous, les États-Unis.

Force est de constater que nous sommes gouvernés par une classe dirigeante tout ce qu’il y a de plus réactionnaire, qui exerce une offensive féroce contre les masses travailleuses, qui est engagée dans une guerre de conquête, promeut une politique chauvine, et se caractérise par une réaction acharnée, la pire ennemie de la classe ouvrière et de tous les travailleurs ! Cela correspond à la définition que Georgi Dimitrov donne du fascisme 1.

Ainsi comme nous le constatons à nos dépens, le fascisme ne provient pas nécessairement que de la droite.

Ces dernières élections régionales ont montré – hormis l’indifférence, le désaveu, le mépris ou la désillusion à l’égard du processus électoral par plus de la moitié de l’électorat − la somme des abstentions, blancs et nuls, qu’il n’y a eu à la base que deux formations d’électeurs : ceux qui ont voté pour tout sauf pour le Front national et ceux qui voté pour lui, alors que ce qui les sépare n’est plus comme nous l’avons vu qu’une sorte de tabou social-démocrate.

Quelque soixante-dix organisations ont lancé l’appel contre le projet de loi constitutionnelle :

Pour nous, c’est définitivement NON

Non au projet de déchéance de la nationalité, non à une démocratie sous état d’urgence, non à une réforme constitutionnelle imposée sans débat, en exploitant l’effroi légitime suscité par les attentats.

Nous n’acceptons pas la gouvernance de la peur, celle qui n’offre aucune sécurité mais qui assurément permet de violer nos principes les plus essentiels.

Notre rejet est absolu. Nous appelons tous ceux et celles qui partagent une autre idée de la France à le manifester. (Voir http://www.syndicat-magistrature.org/Appel-contre-le-projet-de-loi.html)

Quelques réflexions par rapport à la déchéance de la nationalité

Le retrait de la nationalité française concerne essentiellement deux types de binationaux, les naturalisés et bientôt ceux qui sont nés français de parents étrangers. C’est en totale contradiction avec l’article 1er de la Constitution qui précise que «…La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion….», une discrimination qui ouvre la voie à toutes les autres.

Même les cas de terrorisme, un crime définissable aisément et clairement, peut être étendu à association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste, même si cela concerne des actes commis à l’étranger qualifiés de terroristes, selon la discrétion du pouvoir politique et la prétentieuse et scélérate universalité de la loi française. Nous connaissons, entre autres, un cas concret, Erdoğan Çakir qui fait la grève de la faim depuis plus de 38 jours à la Maison d’arrêt de Villepinte après avoir été extradé de Grèce à la demande du gouvernement français qui l’accuse d’avoir organisé des concerts et la vente de publications dont le revenu aurait servi à financer un mouvement en Turquie, que les autorités françaises considèrent comme terroriste.

Notre intention n’est pas de défendre les fous de dieu du Bataclan… qui avec leur actes ont détruit tant de monde. Nous pensons tout simplement que pour ceux qui sont Français, les lois normales françaises suffisent, et toute exception est le début de dérives législatives malsaines.

Aussi le cas des «crimes ou délits constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation». Comment peut-on parler des «intérêts fondamentaux de la nation» et prêcher la grandeur de la France quand la volonté du peuple français de sortir de l’Union européenne a été bafouée, quand on n’a plus une monnaie nationale à soi et une Banque centrale qui permettrait de ne pas payer des dizaines de milliards d’euros d’intérêts aux sangsues bancaires… quand on ne peut pas réguler et ajuster l’économie nationale à l’aide d’une politique douanière, quand on agit comme un vassal des États-Unis dans leurs guerres d’agression contre des peuples qui n’ont jamais agressé la France ; quand on applique des sanctions à la Russie qui apportent la misère aux producteurs agricoles… Voilà ce que sont des «atteintes aux intérêts fondamentaux de la nation».

Je n’ose même pas penser à ce que signifient le cas et les dérives de «s’être livré au profit d’un État étranger à des actes incompatibles avec la qualité de Français et préjudiciables aux intérêts de la France».

Les terroristes avec qui la France a eu à faire dernièrement, les tueries dramatiques du Bataclan… sont clairement dirigées contre la population en France. Surtout que cette action a visé uniquement des gens ordinaires participant à des événements ordinaires. Les cibles n’étaient ni militaires, ni policières, ni économiques, ni diplomatiques… Ce n’étaient pas des actes qui pourraient être qualifiés d’attentats dans un contexte de guérilla urbaine. Cependant, compte tenu que la quasi-totalité du commando est morte et que ceux qui seraient arrêtés vivants dans l’avenir passeront de longues années en prison, la question de la déchéance de leur nationalité n’a guère de sens.

Ce qui est inquiétant pour les binationaux, ce sont les termes utilisés couramment par les hommes politiques : de s’attaquer à la France, de la haïr, de ne pas aimer la France, ce qui entraînerait par l’absurde l’exigence pénale «d’aimer la France», comme c’est le cas pour Israël (sic). Cette argumentation va de pair avec l’accusation faite à certains binationaux pour qui être français ne serait qu’une affaire de papiers et non pas d’amour, de fierté et de loyauté pour la grandeur de la France. J’imagine mal que la plupart des immigrés naturalisés l’ait fait par amour pour la France, et que l’on attend d’eux de devenir du jour au lendemain des chauvins à la française. La naturalisation est un processus d’intégration permanente dans la vie du pays. Devenir un citoyen comme les autres avec les mêmes droits et bien entendu les mêmes devoirs comme le prescrit la loi. Ce qui importe est l’exigence morale : agir dans l’intérêt de la population française, qu’on l’appelle civisme ou patriotisme, on ne peut le décréter.

Le grand problème que soulève la déchéance de la nationalité est qu’elle constitue une cassure, une discrimination entre citoyens dé-naturalisables et de souche, un terme susceptible de varier selon la fortune du moment et ouvre la porte au chauvinisme, au racisme, au fascisme… La souche sous-entend un nombre de générations ou d’ancêtres français et si on commence à faire la distinction entre la deuxième génération, la troisième et les précédentes, nous devrons dire adieu aux Corses, aux Bretons, aux Basques, aux Alsaciens, et jusqu’où cela ira-t-il ?

Prenons comme exemple les binationaux grecs nés en France. La condition de montrer que son arrière-x-fois grand père est ou était Grec suffit pour être reconnu comme Grec. Par conséquent, tous les Français qui ont eu un grand-père grec depuis x générations, comme les naturalisés, sont en sursis de déchéance de nationalité.

Dans le cas de la part de la population de religion juive, comme elle peut avoir immédiatement la nationalité israélienne, cela fait de tous les juifs des binationaux en sursis de déchéance de nationalité.

Nous n’allons pas parler des binationaux franco-italiens, franco- polonais, franco-algériens, franco-sénégalais… avec d’autres particularités.

Alexandre MOUMBARIS peut être joint à democrite@neuf.fr

  1.  Le fascisme est l’offensive la plus féroce du Capital contre les masses travailleuses.

    Le fascisme, c’est le chauvinisme effréné et la guerre de conquête.
    Le fascisme, c’est la réaction forcenée et la contre révolution.
    Le fascisme, c’est le pire ennemi de la classe ouvrière et de tous les travailleurs !.

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