Les carottes de la macédoine sont cuites
Par Stratediplo – Le 18 avril 2016 – Source salade macédoine
Dans la série des révolutions de couleur (coups d’État par manipulation de foules) fomentées par les États-Unis depuis une quinzaine d’années, selon le modèle de la bleue fomentée en France par la Grande-Bretagne en représailles à son soutien à l’indépendance des États-Unis, celle-ci est aussi multicolore que la fameuse salade. On y trouve évidemment des ingrédients rayés rouge et blanc avec coin bleu et étoiles blanches, comme chaque fois qu’apparaît une occasion de semer le chaos en Europe. On y trouve des ingrédients bleu marial avec des étoiles jaunes, puisque l’Union européenne veut faire sauter le nouveau verrou à l’invasion asiatique. On y trouve des étoiles blanches à quatre branches, puisque l’OTAN veut punir un pays qui a refusé de se joindre aux hostilités contre la Russie. On y trouve du vert plus ou moins bronzé, accumulé à la frontière sud, et du rouge avec aigle noir, dans le nord.
La Macédoine, pauvre petit pays de deux millions d’habitants, a déjà dû capituler une première fois il y a quinze ans, après six mois d’une guerre ingagnable seule. Pour mémoire, l’OTAN, qui occupait depuis deux ans la province de Kosovo et Métochie (sud de la Serbie), a lancé en janvier 2001 ses troupes supplétives albanaises, auxquelles le Haut représentant (gouverneur d’occupation) Bernard Kouchner avait accordé un salaire sur le budget de l’ONU, qui l’avait au contraire chargé de les désarmer et débander. Ces forces, arborant les insignes de l’Albanie (avec un sigle local) sur leurs treillis neufs allemands, lançaient des raids transfrontaliers contre les administrations et l’armée macédoniennes, puis se repliaient rapidement au Kosovo, où l’armée macédonienne ne pouvait pas exercer son droit de poursuite, puisqu’elle se serait heurtée aux forces de l’OTAN qui non seulement occupaient la province, mais aussi contrôlaient (en sens unique) la frontière. La région nord de la Macédoine fut donc conquise par les Albanais du Kosovo en quelques mois, grâce aussi à la collaboration spontanée ou forcée de la population de cette région, Albanais de Macédoine, et évidemment au nom de cette population. Le gouvernement dut se résoudre à entamer des négociations inéquitables, envoyant deux négociateurs représenter les 75% de population macédonienne face à deux négociateurs représentant les 25% de population albanaise, sous patronage de l’ONU, de l’OTAN et de l’Union européenne. Commencées à Tetovo dans le nord, les négociations se sont terminées à Ohrid dans le sud, car la guérilla albanaise conquit Tetovo après le cessez-le-feu.
Connues comme Accords d’Ohrid (l’ONU, l’OTAN et l’UE s’étant accordées pour les imposer à la Macédoine), les capitulations donnèrent à la minorité albanaise tout ce qu’elle aurait pu vouloir obtenir par les armes, sauf l’unification avec l’Albanie et la partie occupée de la Serbie, ce qui était effectivement le meilleur moyen de mettre fin aux combats. La langue macédonienne devint ainsi facultative pour les Albanais (et devint deuxième langue officielle), leur permettant de refuser légalement l’intégration nationale dans ce jeune État issu du dépeçage de la Yougoslavie et de préparer au contraire, dès l’école, l’unification culturelle et sentimentale avec les pays et régions albanophones voisins. Une partie des postes dans la police leurs furent réservés, en exception aux règles de recrutement (égalitaire et sur critères de compétences) nationales. Toutes les lois doivent désormais être écrites aussi en albanais, dispensant cette minorité d’apprendre la langue du pays. Des sièges parlementaires sont également réservés à des députés albanais, ainsi dispensés du processus électoral national, et de plus il leur est accordé un droit de veto sur toute décision parlementaire susceptible de les concerner, c’est-à-dire de facto toute loi macédonienne. Moyennant quoi, des troupes de l’OTAN purent entrer en Macédoine récupérer les armes amenées du Kosovo occupé par l’OTAN, puis restèrent pour contrôler la mise en œuvre de toutes les réformes promises par le gouvernement (et rentrèrent au Kosovo ensuite). Moyennant quoi la Macédoine a évité une campagne de bombardements par l’OTAN similaire à celle menée contre la Serbie deux ans plus tôt.
Un tel programme de renforcement du communautarisme et de dispense d’intégration ne pouvait mener qu’au renforcement de l’irrédentisme et à la désintégration. Au printemps 2015, dans la même région qu’en 2011, à savoir Koumanovo (frontière avec la partie occupée de la Serbie), plusieurs coups de main ont été lancés par des unités albanophones en uniformes de l’armée de libération du Kosovo, dotées d’armes de guerre et montées sur véhicules blindés. Le gouvernement macédonien, qui venait de refuser de participer aux hostilités de l’UE contre la Russie, soutient que ces unités sont venues du Kosovo occupé par l’OTAN; en tout cas elles ont de nouveau réussi, en quelques semaines, à susciter l’adhésion spontanée ou intimée de la population albanophone locale, faisant craindre que l’agression étrangère ne déclenche une guerre civile. Au deuxième semestre, la Macédoine est devenue la route de passage de l’intrusion illégale massive appelée de Berlin en août, et vit passer sur son territoire à peu près l’équivalent de sa population. Il est certain qu’une déstabilisation complète aurait alors gêné ce transit migratoire, et elle n’eut pas lieu, ce qu’on expliqua par l’intervention de l’Union européenne dans la vie politique macédonienne, imposant la promesse d’élections législatives sous un an, qui furent prévues pour le 5 juin 2016.
En préalable aux élections du 5 juin, le gouvernement a annoncé récemment une amnistie d’une cinquantaine d’hommes politiques impliqués dans l’énorme scandale d’écoutes téléphoniques illégales qui avait éclaté l’année dernière et sérieusement pollué la vie politique. Des manifestations de protestation ont alors éclaté dans la rue, dénonçant l’amnistie réciproque de politiciens entre eux. On remarquera là, entre parenthèses, que l’amnistie concerne des politiciens actuellement au pouvoir, mais aussi d’autres, actuellement dans l’opposition. On peut ajouter sans grand risque de se tromper que si la gauche était au pouvoir et la droite dans l’opposition, au lieu du contraire, la situation serait exactement la même, et si l’agitation n’avait pas été lancée à cette occasion, on lui aurait trouvé un autre prétexte. D’ailleurs dès le deuxième jour des manifestations, les œufs ont été remplacés par des pavés et des cocktails Molotov, et le bâtiment présidentiel a fait l’objet de plusieurs tentatives d’incendie, radicalisation rapide et surprenante pour une simple affaire de magouille politicienne dans un pays confronté à des problèmes bien plus sérieux, tant au nord qu’au sud.
Il se trouve qu’en février, un groupe de dix pays submergés par l’intrusion illégale massive s’est entendu sur la nécessité de restaurer l’application des accords de Schengen et de Dublin (suspendue en 2015 sur injonction des grandes puissances de l’UE), c’est-à-dire de rétablir un contrôle aux frontières à partir de début mars. La Macédoine ne pouvait logiquement plus laisser entrer des foules de clandestins si elles ne pouvaient pas ensuite passer dans les pays voisins. Des dizaines de milliers de migrants illégaux se sont donc retrouvés bloqués en Grèce, raison pour laquelle l’Union européenne a vite négocié et signé un accord avec la Turquie pour que celle-ci reprenne une partie du corps expéditionnaire migratoire qu’elle avait débarqué en Grèce, et que l’Union irait ensuite chercher en Turquie par avion. Mais les décideurs immigrationnistes n’avaient pas l’intention de laisser fermer la voie terrestre (et maritime), puisqu’ils venaient de décider, en raison de la fermeture des frontières de la Serbie et des pays voisins de l’Autriche et de la Hongrie, de réorienter les flux un peu vers l’ouest (bien que plus montagneux), les faisant passer par la partie occupée de la Serbie, en chargeant les forces d’occupation de l’OTAN au Kosovo de transférer les intéressés de la frontière macédonienne à la frontière albanaise puis d’assurer leur transport par bateaux d’Albanie en Italie. Mais la Macédoine restait une voie de passage incontournable. On avait compris, dès qu’elle a rétabli ses contrôles frontaliers avec la Grèce, qu’elle serait déstabilisée.
Les portes seront ré-ouvertes de l’intérieur, de gré ou de force, par le gouvernement actuel ou par le prochain. Donnant le ton, la Grèce, encore menacée de mise en faillite par le FMI la semaine dernière, objet d’incursions aériennes quotidiennes par l’aviation turque et soumise au chantage d’un accroissement de l’invasion de ses îles, a elle-même reproché au gouvernement macédonien l’usage d’outils de maintien de l’ordre (lacrymogènes et balles de caoutchouc…) pour repousser les tentatives d’enfoncement de sa frontière. Or, sachant que l’effectif de candidats à l’intrusion par effraction, en attente et échauffement dans le camp d’Idomeni (côté grec), est déjà officiellement supérieur à l’effectif total de l’armée macédonienne, sifflets et matraques ne pourront pas suffire à les contenir.
Comme si cette situation ne portait pas assez de risques de déstabilisation, l’Union européenne a intimé au gouvernement macédonien d’annuler les élections législatives qu’elle avait elle-même exigées. Le motif de cette intimation n’est pas seulement que l’opposition n’a aucune chance de l’emporter dans la situation de crise multiple actuelle, mais qu’on cherche désormais des thèmes politiques forts pour mobiliser et manipuler les foules de manœuvre qui constituent toujours, dans les scenarii bien préparés des révolutions de couleur, la couverture et le véhicule des petits commandos professionnalisés (par Otpor) banalisés, chargés des provocations d’escalade de la violence, des éliminations physiques ciblées, puis de l’escorte et la mise en place du futur pouvoir.
De leur côté, les populations européennes sont préparées à l’issue inéluctable par leurs médias qui, comme d’habitude, commencent par remplacer l’expression «gouvernement macédonien» par «régime Ivanov», puis l’accusent de la pire des infamies, celle d’être «soutenu par Poutine». Ce n’est d’ailleurs pas faux, puisque le gouvernement russe, toujours respectueux de la légalité internationale et de la souveraineté des pays tiers, s’interdit de soutenir les mouvements internes d’opposition violente, c’est-à-dire de déstabilisation armée, et continue son dialogue diplomatique avec le gouvernement légal de tous les pays du monde, y compris d’ailleurs ses ennemis (Géorgie ou Turquie par exemple). Pour leur part, les États-Unis ont aussi clamé que les élections sont inopportunes et la presse annonce que les pays de l’OTAN menacent la petite Macédoine de sanctions, langage essentiellement destiné à faire savoir au monde qu’un jugement a été rendu et que le pays est mis au ban des nations, bien qu’on ne compte pas prendre le temps de déterminer et appliquer la moindre sanction.
La déstabilisation est en cours et prévue pour être conclue rapidement. Trois pions sont en place, les foules de manœuvre Otpor au centre, les unités albanaises supplétives de l’OTAN au nord, et la division asiatique venue à pied (et en canots) de Turquie au sud. Les carottes de la macédoine sont cuites.
Stratediplo
Voir aussi : La Macédoine, un pion américain sur l’échiquier balkanique
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