Par Tom Luongo – Le 25 juin 2023 – Source Gold Goats ‘N Guns
Après le tourbillon d’événements survenus ce week-end en Russie, nous avons beaucoup plus de questions que de réponses sur ce qui s’est passé lors de la rébellion avortée d’Evgueni Prigojine, du groupe Wagner, contre Moscou. Je ne suis pas là pour répondre définitivement à ces questions, car nous ne connaîtrons jamais vraiment la vérité.
Cela dit, si ce que je pense qu’il se soit passé est proche de la vérité, il s’agit peut-être de l’une des plus grandes victoires de l’histoire moderne qui n’ait pas eu lieu sur un champ de bataille.
Commençons par ce que nous savons. Depuis des mois, Prigojine dénonce le manque de soutien du ministère russe de la défense, alors que ses hommes ont fait le gros du travail à Bakhmout. Ses problèmes avec le ministre de la défense, Sergueï Shoïgu, sont bien connus. Il est également probable que Prigojine et le général Valeri Gerasimov ne s’entendent pas non plus.
Les concours de « à qui pissera le plus loin » entre commandants militaires ne sont pas rares, après tout.
On pourrait facilement avancer l’argument selon lequel Wagner a été nommé pour réparer les dégâts causés par Shoïgu, tandis que Gerasimov a entrepris la tâche plus importante de réorienter l’armée russe en abandonnant les groupes tactiques de bataillons (BTG) au profit d’une armée centrée sur l’infanterie, plus à même de prendre et de conserver un territoire.
En plus, il y a cette guerre imminente contre l’OTAN.
On pourrait aussi facilement avancer l’argument selon lequel ses succès ont permis à Prigojine d’exiger des changements et de commencer à prendre la grosse tête.
Maintenant, faisons intervenir le facteur externe, l’ennemi, l’OTAN. Mais en réalité, ce sont les néoconservateurs américains et britanniques qui ont passé chaque heure à frapper la Russie au visage avec des mesures d’escalade flagrantes pour essayer d’attirer la Russie et Poutine hors-jeu.
Nordstream 2, l’attentat à la bombe sur le pont du détroit de Kertch, la mise en scène du massacre de Bucha, l’explosion du barrage de Kakhovka, les attaques de Belgorod, la contrebande d’armes vers Odessa sous les auspices de l’« accord sur les céréales » … La liste est presque infinie.
Nous avons appris que le FSB russe avait déjoué une opération de contrebande de césium 137 vers l’Ukraine afin de simuler une attaque nucléaire. Pensez-en ce que vous voulez, mais dans le monde dans lequel j’ai appris à vivre, il n’y a presque rien, aucune ruse assez basse, que les Britanniques et leurs complices américains n’essaieraient pas, en désespoir de cause.
Dans ma vision du monde, le MI6 et le ministère britannique de la défense passent leurs journées à trouver un nouveau moyen de justifier un conflit plus large entre l’OTAN et la Russie. La destruction et la balkanisation de la Russie sont, après tout, leur raison d’être depuis plus de 300 ans.
Et, jusqu’à présent, cette heuristique s’est avérée quasi-parfaite pour prédire la suite des événements.
Alors, arrêtons les conneries, d’accord ?
Il ne s’agit en aucun cas d’une affaire spontanée. Cela fait des mois qu’elle se construit. Mais qu’est-ce qui a été construit ?
Un homme comme Prigojine pourrait facilement être extrêmement mécontent des dirigeants russes. Pourrait-il en venir à prendre les armes contre Poutine ? C’est en tout cas ce que beaucoup de gens ont voulu nous faire croire ce week-end.
Et je ne veux en aucun cas suggérer que ce n’est pas possible ou même probable. C’est l’histoire la plus probable.
Ajoutez à cela les histoires qui circulent selon lesquelles Prigojine aurait été soudoyé avec des milliards pour que Wagner organise son insurrection. Cela surprendrait-il quelqu’un si cela était découvert ?
Quoi ? La CIA avec des valises d’argent pour un étranger mécontent qui a la folie des grandeurs ?
C’est le comble !
Rappelez-vous les amis, puisque nous vivons dans un monde de désinformation, voire de mal-information, nous devons concocter des histoires qui correspondent aux quelques faits dont nous disposons, tout en évaluant des éléments aussi fondamentaux que le motif, les moyens et l’opportunité.
L’OTAN ou l’effondrement
De plus, les choses s’accélèrent à l’approche du sommet de l’OTAN des 11 et 12 juillet, où il est évident que les néoconservateurs font pression pour obtenir une déclaration ou un changement de politique qui sera l’ultime coup de poing dans les dents de Poutine.
Il ne pourra pas l’ignorer parce qu’il violera une ligne rouge majeure qu’il a définie avec une clarté stupéfiante.
Il s’agit de l’adhésion de l’Ukraine à l’UE ou à l’OTAN, l’une entraînant l’autre. Pour ceux qui pensent qu’il ne s’agit pas d’une seule et même chose, veuillez remettre votre carte de compétence en géopolitique à l’huissier près de la porte.
Mais c’est exactement ce à quoi poussent les membres les plus ouvertement hostiles de l’OTAN, à savoir le ministre britannique des affaires étrangères James Cleverly et la ministre allemande des affaires étrangères Annalena Baerbock. Dans le même temps, les Britanniques sont presque aussi furieux contre le président Joe Biden que contre Poutine lui-même.
Pourquoi ? Parce que c’est Joe Biden qui a empêché le ministre britannique de la Défense (et abruti au QI de 60), Ben Wallace, de remplacer Jens Stoltenberg au poste de secrétaire général de l’OTAN. Cela devait se faire le mois prochain. Le processus a été suspendu et Biden a exhorté Stoltenberg à rester en poste pour une année supplémentaire.
Les Britanniques poussent le monde à la guerre.
La nomination de Wallace à la tête de l’OTAN en serait la garantie.
La seule bonne nouvelle, c’est que les militaires français, tout comme les Américains, préféreraient être découverts morts dans des toilettes avec une prostituée mineure et un tas de poudre plutôt que de voir un Britannique diriger cette guerre.
Il est clair qu’ils ont promis à tout le monde une part du gâteau après la défaite de la Russie en Ukraine. Les Polonais récupèrent Lvov et une partie du Belarus. Les voyous ukrainiens du Secteur droit pourront éliminer les Russes dans le Donbass, la Hongrie obtiendra la Transcarphie (à son crédit, Viktor Orban ne veut pas de ces conditions), la Géorgie obtiendra le Caucase…., etc.
Ils sont encouragés par les Mangemorts en série Lindsey Graham et Richard Blumenthal, qui ont rédigé cette semaine une résolution bipartisane visant à élargir le champ d’application de l’article 5 de l’OTAN afin d’inclure non seulement l’utilisation par la Russie d’une arme nucléaire tactique, mais aussi toute radiation résultant d’un accident nucléaire.
Vraiment, Lindsey, comme si nous ne pouvions pas voir ce qui se passe à la centrale nucléaire de Zaporizhia ?
Les pots-de-vin ont volé partout. Et Wallace, en tant que chef de l’OTAN, veillerait à ce que la dernière itération de la stratégie britannique « diviser pour mieux régner » fonctionne. Mais Biden a refusé.
Et c’est la pièce du puzzle qui me fait dire que nous avons touché le crescendo de cette absurdité.
Peut-être, mais peut-être seulement, le Pentagone et même Davos sont-ils en train de quitter ce train.
Poutine – chanceux, intelligent ou les deux ?
Avec tout cela à l’esprit, regardons maintenant les événements de ce week-end.
Voici une liste rapide et grossière des événements marquants :
- Prigojine a peut-être été soudoyé par la CIA/MI6 avec de l’argent et le rêve de régner sur le Caucase. Les Britanniques rêvent depuis longtemps de priver la Russie du pétrole et du gaz de cette région.
- Le pétrole, le gaz et le charbon dont l’Ukraine et l’Europe ont désespérément besoin.
- Il sort une déclaration ridicule selon laquelle Poutine aurait menti sur les raisons de cette guerre.
- Il met également en cause le ministère russe de la Défense dans la dispersion de Wagner
- Il entame la marche vers Moscou.
- Des rapports non confirmés font état d’hélicoptères abattus. Des combats, etc.
- Les néoconservateurs s’enflamment et affirment que c’est la fin pour Poutine.
- Twitter devient illisible
- Le leader tchétchène Ramzan Kadyrov apporte son soutien total à Poutine.
- Il en va de même pour le ministère russe de la défense.
- Il n’y a pas de défection au sein de l’armée russe
- Il y a de petites querelles à St. Petersbourg et à Moscou.
- Poutine sort et fait son discours en dénonçant Prigojine comme un « traître » . Je ne l’ai jamais vu autant en colère.
- Le président de la Biélorussie, Alexandre Loukachenko, négocie avec Prigojine et, en moins d’une heure, tout est terminé.
Ce qui avait commencé comme « La chute de l’empire russe maléfique » s’est terminé par « Je suce quoi ? » en quelques heures.
Les néoconservateurs ont commencé par baver d’impatience avant de finir par verser des larmes dans leur latte en l’espace d’un quart d’heure.
Le résultat final est un véritable casse-tête si l’on croit un instant que Prigojine n’était pas la marionnette de quelqu’un – Poutine ou les agences de renseignement occidentales.
Les forces Wagner seront déplacées en Biélorussie. Toutes les accusations d’insurrection seraient abandonnées pour ceux qui ont défilé. Ceux qui se sont retirés et n’ont pas soutenu Prigojine se verront proposer des contrats avec l’armée russe directement.
Prigojine ne sera pas exécuté en tant que traître.
Vous croyez à tout cela ? Mais ce sont les faits annoncés. Tandis que les Néocons aimeraient vous faire croire que « ce n’est pas fini » . Poutine a été affaibli. La réalité est très, très différente.
Voici donc trois scénarios probables sur ce qui s’est réellement passé. Ils ne sont toutefois pas exhaustifs.
#1 Prigojine s’est vraiment rebellé
Avec le soutien de l’Occident, Prigojine s’est lancé à corps perdu dans l’aventure. Sentant que leurs tentatives de renverser le pouvoir de Poutine seraient couronnées de succès grâce à l’assurance que les partisans de la ligne dure en Russie le soutiennent, la CIA et le MI6 ont foncé. Prigojine est toujours dans un état hypercombatif, en colère et désemparé face à l’incompétence de Shoïgu et à la passivité de Poutine.
Les coups de poignard dans le dos n’étant pas rares dans l’oligarchie russe, il est convaincu du complot dont il fait l’objet. Il se peut même qu’il y ait de l’argent et des promesses de le voir régner à Rostov-on-Don dans le cadre de la balkanisation de la Russie, carotte qu’on lui fait miroiter.
Il espère un soulèvement plus large contre le pouvoir de Poutine, ne l’obtient pas et est rapidement réprimé.
Poutine était au courant de tout cela, tout comme l’Occident, et, à l’instar des mesures rapides qu’il a prises pour mettre fin à la tentative de Nasarbaev de revenir au pouvoir au Kakakhstan en janvier 2022 (avec le soutien évident de la CIA/MI6), il a donné à Prigojine toute la corde dont il avait besoin pour se pendre.
Si Prigojine disparaît dans les prochaines semaines, nous aurons la réponse.
#2 Prigojine a piégé tout le monde
Prigojine commence sa diatribe « anti-Ministre de la Défense » un jour ou deux après avoir obtenu Bakhmout et commence à jouer avec les rêves enfiévrés de l’Occident selon lesquels les partisans de la ligne dure sont prêts à se débarrasser de Poutine en raison de sa passivité. Ce n’est pas invraisemblable. Nombreux sont ceux qui, en Russie, en veulent à Poutine de ne pas avoir riposté.
Les attaques comme Nordstream et Kerch sont conçues pour faire perdre la « face » à Poutine. C’est comme si Nancy Piglosi se rendait à Taïwan pour la Chine. Faire perdre la face à Xi, mettre les Chinois en colère. Gagner.
La perte de la face est un enjeu majeur dans la politique intérieure de ces pays. Mais, dans le même temps, il faut savoir que Poutine a nettoyé la Russie de ses actifs occidentaux. La principale raison pour laquelle nous savons que « Poutine emprisonne des journalistes » est que les journalistes emprisonnés étaient des agents des services de renseignement étrangers, et non des journalistes.
Au fil des ans, après avoir survécu à de multiples tentatives d’assassinat et adopté des lois interdisant les ONG, Poutine a nettoyé les rues de Moscou. C’est la raison pour laquelle il faut supposer que notre stratégie de terrain est vraiment faible.
Il n’est pas difficile de croire que Prigojine pourrait contribuer à leur faire avaler toutes les conneries qu’ils veulent entendre. Nous parlons de personnes de plus en plus désespérées de voir cette guerre dépasser le point de non-retour que Poutine refuse de leur accorder.
Dans ce contexte, il est donc facile de croire que Prigojine prépare le terrain pendant quelques mois, allant même jusqu’à prendre quelques milliards d’« argent perdu » pour sceller l’accord.
Il met en scène le départ, prend la route et « négocie » un accord au moment précis où son convoi aurait de toute façon dû tourner à gauche pour se rendre au Belarus.
Scénario n° 3 – Une réaffectation stratégique
Au cours des dix dernières années, j’ai observé Poutine s’attaquer aux faux drapeaux et aux provocations de l’Occident et les transformer en victoires stratégiques en s’écartant du scénario du tableau blanc du GCHQ et de Langley.
Il préfère s’engager dans une « agression parallèle » , c’est-à-dire agir proportionnellement pour contrer un autre acte d’agression ouverte.
Avec cette idée d’agression parallèle en tête, voici le scénario :
Si vous savez que l’OTAN s’apprête à élargir le conflit le mois prochain et que les Britanniques fournissent à l’Ukraine des missiles Storm Shadow pour affaiblir la Crimée pendant que les Forces armées ukrainiennes (FAU) s’efforcent de progresser dans la mal nommée « contre-offensive » , ne voudriez-vous pas que vos troupes les plus efficaces et les plus aguerries soient stratégiquement placées pour réagir si les choses tournent mal ?
Regardez l’issue de la rébellion de Prigojine. Wagner est aujourd’hui au Belarus. Les troupes déloyales seront de la chair à canon pour absorber tout ce que la Pologne tentera de faire.
Les autres seront en mesure de s’attaquer à Kiev si quelqu’un a l’idée saugrenue de s’en prendre à la Crimée.
Les FAU qui attaquaient au sud étant mises hors d’état de nuire, leur situation est encore pire maintenant que Poutine dispose d’une armée qu’il peut utiliser en Biélorussie.
N’oubliez pas que, sur le plan juridique, il ne s’agit pas d’une guerre. Poutine n’a pas les coudées franches pour faire certaines choses sous les auspices d’une Opération militaire spéciale. C’est pourquoi Wagner a joué un rôle si important dans les événements qui se sont déroulés jusqu’à présent.
En fait, j’irais même jusqu’à dire qu’un grand nombre de personnes sortant de leurs contrats militaires russes pourraient être « réaffectées à Wagner » au cours des deux prochaines semaines pour renforcer leurs rangs.
À vous de jouer, l’OTAN.
Oh, et juste pour rappeler à tout le monde que la Biélorussie possède désormais des armes nucléaires tactiques que Poutine vient d’annoncer avoir déplacées dans le pays. A-t-il suffisamment confiance en Wagner pour lui donner ces armes nucléaires ? Je n’aborderai pas cette question délicate.
Et la vérité est qu’aucun de ces scénarios ne couvre entièrement ce qui se passe ou même ce qui s’est passé. Le sort de Sergueï Shoïgu n’a pas été résolu. Les partisans de la ligne dure pourraient obtenir ce qu’ils souhaitent avec un nouveau ministre de la défense d’un caractère plus proche de celui de Prigojine.
Vous pouvez prendre des morceaux de ces scénarios et les réassembler comme des Legos et vous obtiendrez quelque chose d’intéressant qui mérite d’être pris en considération.
Mais il est difficile de contester le résultat final. Une grande unité militaire ayant une réelle expérience du combat dans les conditions les plus difficiles est maintenant stationnée à moins de 150 miles de Kiev, potentiellement armée d’armes nucléaires tactiques, au moment où Poutine vient de flairer une nouvelle couche de 5e et 6e colonnes qui se sont dévoilées dans leur zèle à tuer des Russes avec de l’argent américain.
» Gentil ? Méchant ? Je suis le gars avec le pistolet ».
-Ash, L’Armée des ténèbres
Tom Luongo
Traduit par Zineb, relu par Wayan, pour le Saker Francophone