La Pologne est un véritable casse-tête pour l’Union européenne, mais aussi pour la Russie
Par Finian Cunningham – Le 22 janvier 2015 – Source : Strategic Culture
Le gouvernement ultra-nationaliste polonais est en train de rendre les problèmes internes de l’Union européenne encore plus aigus. Au moment où les dirigeants de l’Union tirent la sonnette d’alarme sur le risque que les tensions internes ne fassent s’effondrer l’édifice, les Polonais, de plus en plus eurosceptiques, poussent les contradictions du système jusqu’à ses limites. Pour tenter de calmer les tensions, on a appelé l’Otan à la rescousse pour amollir ce gouvernement polonais anti-Union. Eh bien, la conséquence de cette tentative d’atténuer le problème polonais… va être une attitude encore plus agressive de l’Otan envers la Russie.
Quand le nouveau président polonais Andrzej Duda s’est rendu à Bruxelles cette semaine [le 17 janvier, NdT], les tensions étaient palpables avec les autres 27 membres de l’Union. Celle-ci a annoncé qu’elle allait poursuivre son enquête officielle sur les récentes lois votées par le parti au pouvoir Droit et Justice (PiS), et entrées en vigueur au début du mois. Ce parti est arrivé au pouvoir après les élections en octobre, sur un programme de rhétorique anti-Union et des politiques sociales et économiques conservatrices, soutenu par un électorat polonais majoritairement catholique.
Les nouvelles lois en question permettent au gouvernement de M. Duda de virer ou de nommer les dirigeants des médias publics et également d’affaiblir la Cour constitutionnelle. On suspecte cette dernière de donner plus de pouvoir au parti qui gouverne, pour imposer sa marque sur les politiques conservatrices. L’enquête de l’Union sur ces nouvelles lois polonaises déterminera si elles contreviennent à ses standards démocratiques. Et le ton entre Bruxelles et Varsovie va continuer à monter.
Comme le commente la Deutsche Welle : «Beaucoup d’États de l’Union voient les changements en cours en Pologne comme des indices d’un retour au sentiment nationaliste, anti-Union, dans le groupe des nouveaux membres européens de l’Est.»
Le parti Droit et Justice de M. Duda est résolument contre l’entrée dans l’euro ; et il veut plus d’autonomie pour Varsovie, afin de mettre en place sa propre politique économique, comme augmenter la taxation sur les actifs bancaires. La Pologne abandonne la position pro-Union européenne qui était la marque des gouvernements précédents depuis que le pays a rejoint l’UE en 2004. Ce qui inquiète fortement Bruxelles.
Le nouveau gouvernement polonais est aussi hostile à l’arrivée massive d’immigrants extra-européens. Jaroslaw Kaczinski, le dirigeant du parti Droit et Justice, a hérissé les sensibilités libérales à Bruxelles par ses déclarations provocantes anti-immigrants. Selon Reuters, il a déclaré que les réfugiés musulmans ne seraient pas les bienvenus parce qu’ils «menacent le mode de vie catholique des Polonais».
Le gouvernement d’Angela Merkel n’a pas digéré cette position anti-immigrants. Berlin était auparavant proche de Varsovie, en tant que partenaire européen. Mais la ligne polonaise, plus dure, sur l’accueil des réfugiés a provoqué la consternation à Berlin, en partie parce que cela signifie que le fardeau de l’ancienne politique de la porte ouverte va se faire plus lourd pour l’Allemagne.
Pire encore, la politique anti-immigrants de la Pologne, affirmée bien haut, renforce les autres États d’Europe centrale et orientale dans leur réticence à accueillir des réfugiés. L’Autriche, la Hongrie, la Slovaquie, la République tchèque et la Slovénie n’apprécient guère de devoir supporter seuls l’essentiel des problèmes liés à l’arrivée de plus d’un million de réfugiés entrés dans l’Union l’an passé, venant en grande partie des zones de conflit en Syrie, Afghanistan et Irak. Représentant un des plus importants pays de l’Union européenne, le gouvernement Droit et Justice donne plus de poids politique aux rangs des anti-immigrants.
Mais les problèmes de l’Union soulevés par Varsovie sont plus importants que la simple question des immigrants. En défiant la politique économique et les lois centralisées de Bruxelles en faveur d’intérêts plus nationaux, Varsovie s’appuie sur une pression grandissante des eurosceptiques pour s’opposer à l’ensemble du projet européen. Qu’ils soient de droite ou de gauche, les partis eurosceptiques sont en train de monter en flèche partout en Europe, de la Grande-Bretagne à la Belgique, en France, en Espagne, en Italie, aux pays-Bas, au Danemark et en Suède, à des niveaux supérieurs à ceux des États mécontents de l’Europe orientale.
La Pologne et les autres États d’Europe orientale représentent une sérieuse menace à l’establishment de Bruxelles et aux gouvernements de Paris et Berlin qui sont alignés sur lui. Parce que ces États dissidents mettent plus de conviction à soutenir leurs intérêts nationaux – et en particulier sur la question des immigrants extra-européens. Tant le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker que le Président du Conseil européen Donald Tusk ont dit publiquement la semaine dernière leur inquiétude que la libre circulation des personnes soit entravée par les États frontaliers, mettant du coup l’ensemble de la structure de l’Union en danger d’effondrement.
En plus de cet affrontement, le gouvernement polonais Droit et Justice fait fi maintenant des principes juridiques de l’Union avec sa nouvelle législation sur les médias et l’organisation judiciaire. Cette dissidence ouverte à l’égard de Bruxelles va certainement donner des ailes aux autres partis du même bord pour affirmer leurs intérêts nationaux face aux décisions centralisées édictées par la Commission Européenne.
Vu de Russie, on pourrait penser que l’instabilité, les incertitudes et l’incohérence qui apparaissent au sein de l’Union européenne sont des avantages pour Moscou.
D’un côté, une telle instabilité sape l’adhésion unanime de l’Union européenne aux sanctions décidées par les États-Unis contre la Russie à propos de la crise en Ukraine. De nombreux pays de l’Union ont déjà exprimé leur inquiétude au sujet des sanctions, à cause des dommages causés à leur économie du fait de la rupture des liens commerciaux avec la Russie. Plus l’Union devient hargneuse sur les problèmes internes, moins elle garde sa cohésion au sujet de la mise en place des sanctions anti-russes.
Par conséquent, vue de Russie, la montée des partis eurosceptiques est une bonne nouvelle.
D’un autre côté, la Pologne pose un double problème. Parce que l’arrivée au pouvoir du parti Droit et Justice signifiera une attitude plus agressive de l’Otan en Europe de l’Est vis-à-vis de la Russie.
La Pologne s’est toujours montrée pro-Otan, avec conviction, depuis la fin de la Guerre froide. Et les sentiments anti-soviétiques font évidemment partie de la mentalité polonaise, et ce, bien avant le nouveau gouvernement ultra-nationaliste.
Mais le parti Droit et Justice a poussé les démonstrations d’affection pour l’Otan à de nouveaux sommets, tout comme le leitmotiv d’une agression supposée de la Russie contre l’Europe.
Tandis que le Président Duda était à Bruxelles cette semaine, il est important de noter qu’il a été aussi reçu au quartier général de l’Otan, accueilli par le secrétaire général de l’alliance militaire, Jens Stoltenberg.
Duda a fait clairement appel à l’Otan pour que davantage de troupes, d’armes et d’infrastructures soient basées en permanence sur le sol polonais.
Le président polonais a déclaré lors d’une conférence de presse conjointe : «Aujourd’hui, toutes les constatations montrent le besoin d’avoir une présence importante à la fois d’infrastructures et d’unités militaires dans les pays d’Europe centrale, tandis qu’une coopération bien pensée pour ces unités et la défense devrait être prête en cas d’agression russe… Cela signifie une présence accrue en Europe centrale et orientale, à la fois en termes d’infrastructures et en termes de troupes de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord… J’aimerais que cette présence soit permanente, et au plus haut niveau possible.»
Stoltenberg s’est montré très réceptif à ce qui pourrait constituer une escalade sérieuse des capacités militaires de l’Otan pointées sur la Russie.
«L’Otan entretient aujourd’hui une présence militaire permanente dans la région, dont fait partie la Pologne. Et je suis certain qu’après le sommet de Varsovie [qui doit avoir lieu en juillet] nous verrons plus de troupes Otan en Pologne que jamais auparavant», a ajouté M. Stoltenberg.
Revenant sur les troubles européens internes de la Pologne, le Financial Times de cette semaine les évoque en quelques mots, très significatifs, : «Les nouvelles mesures sur les médias et la justice ont provoqué un tollé des dirigeants des pays européens et ont suscité des appels pour que l’administration Obama intervienne.»
Nous supposons donc : l’establishment de Bruxelles et son principal allié à Berlin s’inquiètent profondément du gouvernement anti-européen en place en Pologne, et des occasions de conflits qu’il peut alimenter au sein de l’Union. Varsovie ajoute une pression insupportable sur une Union européenne déjà en état de stress aigu. Mais ce gouvernement polonais est aussi un fanatique pro-Otan et anti-russe. Et là se trouve une soupape de sûreté pour Bruxelles.
Ce que révèle l’extrait du Financial Times cité ci-dessus est que l’establishment de l’Union en appelle à l’administration Obama pour raisonner son vassal turbulent à Varsovie. Ce qui veut dire, inévitablement, que la demande du président Duda pour stationner de façon permanente en Pologne et dans les autres pays pro-Otan – pays baltes, Roumanie et Bulgarie – plus de troupes, plus de chars, plus de missiles et plus d’avions de l’Otan sera prise en compte par les Américains. Cette escalade implique une posture dramatiquement plus agressive envers la Russie sur le flanc oriental de l’Otan.
En échange, Bruxelles semble parier que l’Otan l’aidera à calmer les ardeurs anti-européennes de Varsovie.
En d’autres termes, le problème de l’Union européenne avec une Pologne arrogante est résolu en satisfaisant par l’Otan les demandes de Varsovie. Mais en tentant de résoudre ses problèmes internes, comme on le voit en Pologne, l’Union européenne les reporte sur ses relations externes avec la Russie.
Finian Cunningham
Traduit par Ludovic, vérifié par jj, relu par Diane pour le Saker francophone
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