La plus dingue des théories conspirationnistes


Le rapport du gouvernement britannique sur la mort d’Alexandre Litvinenko se lit comme un mauvais polar


 

Par Justin Raimondo – Le 22 janvier 2016 – Source Antiwar.

Pour tous ceux ayant connu les années de Guerre froide, c’est un retour en arrière : on trouve apparemment des complots russes pour subvertir l’Occident et empoisonner nos précieux fluides corporels partout. En parlant d’empoisonnement : la dernière conspiration russkof, et de loin la plus délirante, a été cet empoisonnement présumé d’Alexandre Litvinenko, un ex agent des services de renseignements russes qui avait fui à l’Ouest pour y devenir un propagandiste anti-russe professionnel et un conspirationniste doué d’un grand talent pour l’improbable. De son extraordinaire point de vue, les nombreuses attaques terroristes qui ont été perpétrées en Russie ont toutes été commises par… Vladimir Poutine.

En plus de soutenir les terroristes tchétchènes qui ont réellement commis ces attentats, le fonds de commerce de Litvinenko était une théorie de la conspiration dans laquelle il accusait régulièrement Poutine de faire exploser des bâtiments russes, d’assassiner des écoliers et de détourner l’attention de ses infâmes complots en accusant ces adorables Tchétchènes. Pas vraiment crédible, à moins d’être prédisposé à tout croire à partir du moment où cela jette le doute sur ces satanés Russes.

La thèse conspirationniste promue par le gouvernement britannique, et maintenant officialisée dans ce rapport, surpasse tout ce que le défunt fantaisiste aurait pu inventer. Selon les Anglais, Litvinenko a été empoisonné sur le sol anglais en sirotant une tasse de thé contaminée par une dose massive de polonium 210. Étant donné que la Russie est une productrice majeure de cette substance rare, et puisque les Russes étaient supposés en avoir après Litvinenko, le FSB, successeur du KGB, est donc désigné comme le coupable probable.

A la lecture du rapport, on remarque qu’ils ne font plus leur propagande comme avant. Les certitudes de, disons, un J.Edgar Hoover, ou d’un Robert Welch, ont fait place aux timides ambiguïtés de Lord Robert Owen, l’auteur du rapport, dont l’utilisation du mot probablement souligne la faiblesse de ce qu’il prétend être des preuves.

Pour commencer, si les Russes voulaient se débarrasser de Litvinenko, pourquoi l’aurait-ils empoisonné avec une substance laissant des traces radioactives traçables depuis l’Allemagne jusqu’à l’aéroport d’Heathrow et, du même coup, contaminant des dizaines de chambres d’hôtels, de bureaux, d’avions et de maisons? Pourquoi ne pas simplement lui tirer une balle dans le crâne ? Cela n’a aucun sens.

Mais les thèses conspirationnistes n’ont pas nécessairement besoin d’avoir du sens, elles n’ont qu’à regrouper certaines affirmations jusqu’à en faire une improbable conclusion. Si l’on part du préjugé que Poutine et les Russes sont une force satanique, capable de tout mais totalement incompétente, tout cela devient alors parfaitement logique, dans un monde bizarre.

L’idée que Litvinenko était un dangereux opposant du gouvernement russe et devait être tué car il devenait une véritable menace pour l’existence du régime est une idée risible. Pratiquement personne ne le connaissait en Russie. Quant à ses théories de lanceur d’alerte voulant que Poutine soit derrière chaque attentat perpétré sur le sol russe, prétendre qu’elles auraient un impact en dehors de la caisse de résonance médiatique occidentale n’est qu’une grosse plaisanterie. Il n’y avait donc aucun motif sérieux pour que le FSB l’assassine, pas plus que le FBI n’en aurait un pour s’en prendre à David Ray Griffin.

Le rapport britannique ne se donne pas la peine de présenter de preuves. A la place, il est fait un récit détaillé des vies des tueurs présumés, Dmitri Kovtun et Andrei Lugovoy, qui se lit comme un article du Daily Mail. Dans ce ramassis de calomnies et de potins est inclus le témoignage d’une ancienne femme de Kovtun, comme quoi celui-ci voulait devenir une star du porno. Que ce commérage puisse être inclus dans un rapport officiel de Grande-Bretagne est extraordinaire mais, je le crains, n’est pas inattendu. La grivoiserie tient une bonne place dans les romans contemporains, particulièrement dans le genre roman de gare, dont le rapport est un parfait exemple du genre.

Le reste du rapport est un compte rendu compliqué de chaque mouvement opéré par Kovtun, Lugovoy et Litvinenko dans les jours précédant l’empoisonnement de ce dernier. Ce passage ne compromet ni n’exonère les accusés. Il a été probablement inclus au rapport pour lui donner une apparence de consistance. Le corps du rapport, les vraies preuves, sont dissimulées derrière le voile du secret. L’enquête de Lord Owen est faite de nombreux interrogatoires secrets et non divulgués, de témoignages réalisés par des anonymes, et forment les pièces centrales des preuves supposées confondre Kovtun, Lugovoy et le gouvernement russe. Lord Owen l’explique ainsi :

«Pour résumer, les preuves confidentielles consistent en preuves pertinentes pour l’enquête mais elles ont été déclarées trop sensibles pour être mises dans le domaine public. L’assertion de la sensibilité de ces preuves et du fait qu’elles ne pourront pas être divulguées a été faite non par moi mais par le ministère de l’Intérieur qui a acté sa décision par une série de Notifications de Restriction suivant la procédure spécifiée dans la section 19 de l’Inquiries Act 2015. Les Notifications de Restriction elles mêmes, mais évidemment pas les documents sensibles, sont des documents publics. Elles ont été publiées sur le site internet du rapport ainsi qu’à l’appendice 7 du rapport écrit. »

En d’autres termes, ces preuves ne sont pas faites pour être vues par nous autres, pauvres mortels. Nous devons seulement prendre pour argent comptant les mots de sa Seigneurie qui dit que le gouvernement russe s’est lancé dans une improbable mission pour assassiner un personnage marginal, et qui peut se lire comme une livre que Fleming aurait écrit sous un pseudonyme.

D’accord, allez vous me dire: mais Litvinenko a bien été empoisonné. Alors par qui ?

Comme je l’ai souligné ici :

Litvinenko était un employé du milliardaire russe Boris Berezovsky dont l’empire bien mal acquis incluait un syndicat russe de revendeurs de voitures ayant des liens plus qu’occasionnels avec la mafia tchétchène, mais dont on avait petit à petit fermé le robinet financier. Boris au grand cœur, qui l’avait embauché comme propagandiste anti-Poutine, en eut assez de lui et le dissident au chômage se retrouva désespérément en recherche d’argent. Litvinenko eut plusieurs réunions d’affaire avec Lugovoi dans les mois précédent sa mort et, selon cet article, il monta une histoire de chantage ciblant plusieurs grosses fortunes et fonctionnaires russes.

En fait, Litvinenko avait dans les mois précédant sa mort ciblé quelques membres bien connus de la mafia russe avec son histoire de chantage. Qu’ils en aient pris ombrage ne me semble guère choquant.

En plus, quelques informations convergent vers le fait que Litvinenko faisait de la contrebande de matériaux nucléaires. Qu’il ait été contaminé par les matériaux qu’il trafiquait au marché noir me semble bien plus crédible que les histoires à dormir debout de complot russe organisé par le Kremlin. Apparemment, Lord Owen n’a jamais entendu parler du rasoir d’Occam.

Justin Raimondo

Article original paru sur Antiwar.

Traduit par Wayan, relu par Diane pour le Saker francophone

 

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