La paix par l’humiliation


Par Dmitry Orlov − Le 28 Février 2025 − Source Club Orlov

La période que nous traversons amène les habituels commentateurs à se plaindre sans cesse que les événements se déroulent trop vite pour qu’ils puissent suivre.

  • À un moment donné, la Syrie existe en tant que nation souveraine dirigée par un dictateur héréditaire soutenu par la Russie et l’Iran ; l’instant d’après, le dictateur est parti, le soutien russe et iranien est retiré et le territoire est envahi par des vestiges d’Al-Qaïda soutenus par la Turquie (qui promettent de bien se comporter cette fois-ci, mais ne le font pas) tandis que le territoire est divisé entre la Turquie et Israël.
  • Un moment, la Maison Blanche affirme que l’ancienne Ukraine est son amie pour toujours, qu’elle sera généreusement soutenue « aussi longtemps qu’il le faudra » ; l’instant d’après, c’est une dictature corrompue qui doit rendre, sous forme de ressources naturelles, tout l’argent qu’elle a reçu.
  • Un moment, la « solidarité transatlantique » est un mot à la mode ; l’instant d’après, les Européens sont antidémocratiques, s’opposent à la liberté d’expression et affichent des tendances totalitaires tout en ignorant les souhaits de leur électorat (qui souhaite la paix avec la Russie).
  • À un moment, la Russie est un État paria au bord de l’effondrement, « une station-service déguisée en pays » avec « son économie en lambeaux », perdant sa guerre contre la puissante Ukraine ; l’instant d’après, c’est une puissance mondiale certifiée avec des intérêts nationaux légitimes qui offre une longue liste d’exportations essentielles non disponibles ailleurs.

Ralentissons un peu les choses, afin de pouvoir voir au-delà de l’affichage kaléidoscopique du bruit médiatique. D’un point de vue stratégique américain (parce que, disons, nous voudrions rendre sa grandeur à l’Amérique, juste pour la forme), la Chine est très certainement un concurrent, ou l’est-elle vraiment ? Il suffit de regarder ce que les Chinois ont fait à la bulle de l’intelligence artificielle sur le marché boursier américain en lançant un LLM qui est non seulement meilleur que les produits américains fortement financiarisés, mais aussi gratuit (en open source, donc). Le marché de l’IA s’est effondré, car pourquoi quelqu’un paierait-il cher pour quelque chose qui est gratuit ? Pour être sûr, le truc du réseau neuronal n’est qu’un peu de maths avec beaucoup de matériel pour le faire fonctionner. Si le matériel est une marchandise et que les maths sont gratuites, voilà que disparaît toute cette agitation.

D’autres moyens de concurrencer la Chine sont tout aussi inefficaces. Les États-Unis voulaient arracher à Taïwan la fabrication de puces sophistiquées, mais… n’ont pas pu le faire car il n’y a pas assez d’ingénieurs taïwanais en Arizona pour y parvenir. Les États-Unis ont limité l’accès de la Chine aux puces sophistiquées et, en retour, les Chinois ont limité l’accès des États-Unis aux métaux des terres rares nécessaires à la fabrication de ces puces : donnant donnant. En arrière-plan, les États-Unis, et plus particulièrement l’industrie de la défense américaine, ne peuvent pas se passer des importations chinoises abondantes de presque tous les produits manufacturés. Les gestionnaires financiers américains, très efficaces, ont délocalisé la plupart de leurs activités de fabrication il y a longtemps et ne disposent plus des talents d’ingénieurs nécessaires pour les rapatrier, car l’ensemble de leur vivier de talents a été absorbé par la finance, les logiciels et les services. La conclusion inévitable est que les États-Unis et la Chine ne sont pas des concurrents, car les États-Unis ne peuvent pas se passer de la Chine et ne peuvent pas rivaliser avec elle.

La Russie est-elle un concurrent des États-Unis ?

Note du Saker Francophone

Depuis quelques temps, des gens indélicats retraduisent “mal” en anglais nos propres traductions sans l’autorisation de l’auteur qui vit de ses publications. Dmitry Orlov nous faisait l’amitié depuis toutes ses années de nous laisser publier les traductions françaises de ses articles, même ceux payant pour les anglophones. Dans ces nouvelles conditions, en accord avec l’auteur, on vous propose la 1ere partie de l’article ici. Vous pouvez lire la suite en français derrière ce lien en vous abonnant au site Boosty de Dmitry Orlov.

Dmitry Orlov

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Le livre de Dmitry Orlov est l’un des ouvrages fondateurs de cette nouvelle « discipline » que l’on nomme aujourd’hui : « collapsologie » c’est à-dire l’étude de l’effondrement des sociétés ou des civilisations.

Il vient d’être réédité aux éditions Cultures & Racines.

Il vient aussi de publier son dernier livre, The Arctic Fox Cometh.

Traduit par Hervé, relu par Wayan, pour le Saker Francophone

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