La lune de miel européenne de l’Otan est-elle au bord du gouffre ?


Par Robert Bridge – Le  

Des forces armées des pays de l'OTAN

Des forces armées des pays de l’Otan © Michael Dalder / Reuters

Sans précédent : la Pologne et l’Allemagne s’opposent à l’Otan. Seraient-ce les premières ruptures précédant un tournant stratégique majeur de l’Europe ? Robert Bridge, écrivain et journaliste américain, présente son analyse.


Parmi les mésaventures militaires des campagnes étrangères incessantes de l’Otan, responsable du déplacement de millions de personnes, les obligeant à se précipiter vers les côtes européennes, les Européens pourraient en fin de compte perdre patience face aux agissements téméraires de l’Alliance atlantique. Pour les 28 États membres qui constituent l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (Otan), l’année 2015 s’est soldée par une fin grinçante, riche en adrénaline.

Alors que l’Europe peine à accueillir un raz-de-marée de réfugiés fuyant le sang et la violence de ses anciennes terres coloniales, les partis de droite ravissent les cœurs et les esprits des Européens qui deviennent de plus en plus méfiants vis-à-vis de la multiculturalité, des réformes néo-libérales, des mesures d’austérité et, maintenant, de l’Otan elle-même, dirait-on.

Le mois dernier, la police militaire polonaise accompagnée par Antoni Macierewicz, le nouveau ministre de la défense du parti «Loi et Justice» fraîchement élu, a mené un raid dramatique en pleine nuit, à Varsovie, contre un centre de renseignement relié à l’Otan. Oui, vous avez bien lu, les autorités polonaises ont mené un raid dans un établissement lié à l’Otan sur leur propre territoire.

Selon la revue Gazeta Wyborcza, les autorités sont entrées dans le centre en utilisant un double de la clé et ont remplacé sans cérémonie son directeur, le colonel Krzysztof Dusza, absent au moment des faits, par le colonel Robert Bala. Des dizaines d’autres bureaucrates et autres gratte-papiers ont également été relevés de leur mission sur le champ.

En savoir plus : Pologne : la police militaire fait une descente dans un centre d’expertise de l’Otan

L’ancien ministre de la défense polonais, Tomasz Siemoniak, a déclaré aux journalistes : «Rien de tel n’est jamais arrivé dans l’histoire de l’Otan, qu’un État membre attaque un bâtiment de l’Otan».

Un fonctionnaire de l’Alliance a tenté de dédramatiser cette situation sans précédent, en qualifiant ce raid nocturne de «problème des autorités polonaises».

Mais il y a clairement beaucoup plus à dire sur cette histoire que ce qu’en sait le grand public.

Après tout, qu’est-ce qui a pu pousser un pays traditionnellement pro-occidental comme la Pologne à ignorer une procédure constitutionnelle régulière et à risquer ses relations avec Bruxelles, l’Otan, sans mentionner Washington, en opérant aux aurores un raid dans le style néo-nazi ? Parce que ceux qui ont été surpris par les rudes méthodes varsoviennes omettent de voir dans quelle direction soufflent les vents politiques, pas seulement en Pologne mais à travers toute l’UE.

Ces vents de changement qui balaient les rues de l’Europe peuvent, pour une grande partie, résulter de l’échec de la politique étrangère américaine et des répercussions de ce dernier sur le statu quo européen.

Pour une grande partie de l’Europe : pas d’espoir, pas de changement

Tout d’abord, la promesse d’espoir et de changement qui ne s’est pas matérialisée sous la présidence de Barack Obama a constitué une déception majeure, pas seulement pour des millions d’Américains, mais aussi pour d’innombrables européens. Le 5 avril 2009, 20 000 personnes s’étaient entassées devant le Château de Prague pour écouter le premier président noir des Etats-Unis séduire son auditoire avec des histoires de paix, de prospérité, de non-prolifération… Des promesses, des promesses, toujours plus de promesses.

En fait, l’Europe s’est tellement enthousiasmée avec l’arrivée de Barack Obama que le Comité Nobel norvégien lui a attribué le Prix Nobel de la paix neuf mois seulement après sa première élection à la présidence. Aujourd’hui, la réalité de cette farce est d’une évidence douloureuse : le camp de Guantánamo est toujours en activité, la Libye est dans une situation désespérée tandis que l’armée américaine opère en Syrie avec très peu ou pas d’effet du tout sur Daech, sa cible proclamée.

Clairement, ce qu’Obama a réalisé durant ses deux mandats diffère de manière frappante de la publicité qu’il en avait faite. Au lieu d’être libéré de la démence belliciste de l’ère Bush, le monde reste toujours empêtré jusqu’aux genoux dans des crises et dans des endroits nouveaux (la Libye, la Syrie et le Pakistan) durant les mandats de Barack Obama, ainsi qu’en Russie, où le Kremlin a rapidement ouvert les yeux sur le conte de fées plus connu sous le nom de redémarrage [reset] des relations. Le seul point positif de la politique étrangère américaine a été la conclusion par l’administration Obama de l’accord sur le programme nucléaire controversé de l’Iran mais, qui à en juger d’après les événements récents semble encore très fragile – la marine américaine accuse l’Iran d’avoir tiré des missiles à proximité du porte-avion USS Harry S. Truman dans le golfe Persique, des charges que Téhéran a qualifiées de «guerre psychologique».

Mais à présent, les crises qui s’abattent sur le monde ne se limitent pas à des crises militaires : depuis la crise financière de 2008, la plus grave depuis la Grande dépression [1929], l’Europe se débat avec une faible croissance économique et des taux de chômage élevés, aggravés par l’afflux insensé de millions de réfugiés qui ne fait qu’assombrir les perspectives économiques du Vieux Continent, sans parler de sa démographie.

Et afin de guérir leur insolvabilité, beaucoup de pays européens, autrefois fiers et suffisants – comme l’Espagne, le Portugal, l’Italie ou la Grèce, pour n’en nommer que quelque uns – ont été obligés de s’endetter à des conditions impossibles à rembourser, auprès de banques qui sont elles-mêmes à l’origine de la destruction de leur économie nationale. Seules les autorités politiques de l’Islande disposaient de l’indépendance nécessaire pour punir les banquiers et restructurer l’économie du pays sans décréter de mesures d’austérités suicidaires, ce qui prouve que l’Europe se trouve sous l’influence de puissances qui échappent aux procédures de contrôle démocratique.

Les Européens ont donc appris une vieille leçon : «Trompe-moi une fois, honte à toi ; trompe-moi deux fois, honte à moi». Depuis les attaques terroristes du 11 septembre 2001, Washington (et par extension l’Otan) n’a fait qu’apporter à l’Europe une série de débâcles militaires globales que le Vieux Continent ne peut plus se permettre car il doit obéir aux diktats du FMI et suivre les mesures de la Banque mondiale en ce qui concerne ses dettes.

Le Financial Times (FT), qui a de la sympathie pour les globalistes néo-libéraux, a résumé le scénario qui se joue lors des élections nationales dans les différents pays de l’UE : «Partout à travers le monde, la mondialisation fait face au défi de la remontée des forces nationalistes. L’un des plus grands défis politiques de l’année à venir sera de défendre les avantages de la mondialisation, tout en repoussant les arguments des nationalistes comme Marine Le Pen, Donald Trump aux États-Unis et son nouvel admirateur, le président russe Vladimir Poutine».

Le FT a omis de mentionner, bien sûr, que la mondialisation avait été jusqu’ici une aubaine pour les grandes entreprises multinationales et une véritable régression pour les habitants du village planétaire.

Personnellement, je ne peux pas imaginer que dans une situation où presque toute initiative américaine en matière de politique étrangère au cours des quinze dernières années a causé un chaos absolu et une catastrophe, les Européens (qui restent des gens dotés d’une très bonne instruction en dépit de la mordante austérité) ne pourront pas additionner correctement deux plus deux et en conclure que l’Otan, institution créée pour défendre leurs intérêts, leur nuit également dans des proportions dramatiques.

Policiers turcs

La Turquie dans l’Europe ? L’Allemagne ne fera pas de concessions sur les droits de l’homme

Le bloc militaire occidental continue d’agiter l’épouvantail de la Russie, jusqu’à se propulser aux frontières-même des ennemis jurés de l’Otan du temps de la Guerre froide, tout en incommodant dangereusement l’un des partenaires les plus fiables de l’Europe.

La Guerre froide, selon les livres d’histoire fiables, s’est terminée depuis près d’un quart de siècle; cependant, le bloc militaire occidental continue à provoquer la Russie avec des agissements clairement menaçants, dont le plus évident reste le déploiement d’un bouclier antimissile en Europe de l’Est qui va bouleverser l’équilibre stratégique et provoquer une nouvelle course aux armements comme la Russie l’a souligné.

Mais, à en juger par la frustration, et même la colère, de nombreux Européens, qui provoquent la montée des mouvements d’extrême droite offrant un cocktail dangereux de patriotisme national et de protectionnisme économique, il se pourrait vraiment que la lune de miel européenne de l’Otan arrive au bord du gouffre.

Il n’y a pas que l’affaire du raid nocturne polonais dans un bâtiment de l’Otan. Des hommes politiques allemands ont, pour leur part, critiqué le gouvernement d’Angela Merkel, ainsi que le commandement de l’Otan, après avoir découvert que des troupes allemandes seraient envoyées pour aider la Turquie, État membre de l’Otan, à défendre ses frontières sans en avoir informé les députés du Bundestag.

«Le gouvernement doit immédiatement informer le Parlement des détails de ce déploiement, en particulier quelles missions seront attribuées à ces avions et quelle sera l’utilisation des données qu’ils recueilleront», a déclaré Tobias Lindner, le chef du parti des Verts, chargé des questions de la défense au quotidien allemand Bild.

Cependant, Berlin qui se prononce de manière toute aussi arrogante et suffisante que Washington ces jours-ci, a déclaré qu’il n’avait aucune intention de consulter le Bundestag, la chambre basse du Parlement allemand, pour recueillir son approbation.

Le déploiement unilatéral et non démocratique de troupes allemandes (des avions AWACS chargés de collecter des renseignements) de la part de l’Otan et du gouvernement de Merkel s’ajoute aux tensions existantes depuis qu’Ankara a abattu un avion de combat russe qui avait violé l’espace aérien turc pendant 17 secondes.

Il se peut que ces deux événements, qui se sont produits dans deux pays importants de l’Union européenne, ne soient que des soubresauts sur l’écran radar des relations entre l’Otan et l’Europe. Mais ils pourraient aussi être des signes avant-coureurs d’un tremblement de terre lorsque l’empiétement constant de demandes politiques nationalistes commencera à entrer en conflit avec les objectifs globaux de l’Otan qui, à ce stade, ne semble pas du tout préoccupée ni par le véritable bien-être ni par la sécurité des Européens.

Robert Bridge est un écrivain et journaliste américain basé à Moscou, en Russie. Ses articles ont été publiés dans des revues, comme Russia in Global Affairs, le Moscow Times, Russia Insider et Infowars.com. Il est aussi l’auteur du livre sur le pouvoir de l’entreprise, Midnight in the American Empire, publié en 2013.

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