Annonce d’une nouvelle ère. La Russie va migrer de la dissuasion nucléaire à la dissuasion conventionnelle
Par Andrei Akulov – Le 17 janvier 2017 – Source Strategic Culture
Le ministre russe de la Défense Sergueï Choïgu a déclaré le 12 janvier que la Russie pourrait utiliser ses armes de haute précision pour remplacer partiellement les armes nucléaires comme un moyen de dissuasion. Selon lui, « d’ici à 2021, les capacités de combat des forces stratégiques non nucléaires russes seront plus que quadruplées, ce qui permettra de résoudre la question de la dissuasion non nucléaire ». Le missile de croisière mer-sol représentera l’essentiel de la force de dissuasion classique guidée par la précision.
Le chef de la défense a souligné que Moscou n’a aucune intention d’être entraîné dans une course aux armements. Elle développera ses forces « générales » pour opérer en temps de paix et dans les conflits armés, y compris la lutte contre les terroristes.
M. Choïgu estime que ce changement de politique militaire contribuera à réduire les tensions internationales et à renforcer la paix dans le monde. Cette déclaration, quelque peu inattendue, a suscité un grand intérêt chez les experts. Un aperçu de la question montre que M. Choïgu avait de bonnes raisons de le dire. L’industrie de la défense russe est à la hauteur de la tâche et le conflit en Syrie a permis de voir comment cela fonctionne dans la pratique.
Beaucoup a déjà été dit au sujet des missiles à courte portée mobiles Iskander récemment déployés en Crimée et en Syrie. Les missiles Kalibr ont été testés au combat dans ce pays déchiré par la guerre. Ces armes efficaces à longue portée peuvent être basées sur diverses plates-formes, y compris des navires de taille corvette-frégate capables de se déplacer le long des rivières, et des sous-marins.
Il ne s’agit pas seulement des armes navales. Le missile air sol Kh-101, avec une portée allant jusqu’à 4 500 kilomètres, a également participé au combat en Syrie. Le missile peut être équipé d’une ogive explosive, pénétrante ou de grappe. L’ogive conventionnelle délivre 400 kg (880 livres) d’explosifs. Avec une portée maximale de 5 500 km (3418 miles), l’écart maximum du missile sur la cible est de 20 m. La précision pour les cibles mobiles est de 10 m. La précision la plus élevée est de 5 m.
Ce missile peut être lancé à partir des sous-marins de la classe Yasen (Projet 885) – des navires répertoriés par Defencyclopedia comme étant l’une des dix armes les plus puissantes de la Russie. Un sous-marin peut transporter 32 missiles Kh-101.
Le Kh-101 est une « arme stratégique conventionnelle », une munition capable de détruire des cibles primaires sans retombées nucléaires ni destruction d’infrastructures civiles comme dommages collatéraux.
Les cibles, telles que les sites de BMD [Défense antimissiles balistiques] de l’OTAN en Europe, pourraient être contrées par les nouveaux planeurs hypersoniques conventionnels ultra-maniables de la Russie. L’année dernière, la Russie a mené une série de tests de l’avion d’attaque hypersonique Yu-71. Le Yu-71 fait partie du programme de missiles secrets codé « Projet 4202 ». Le planeur aurait atteint des vitesses allant jusqu’à 7 000 miles à l’heure. En raison de sa maniabilité remarquable et à grande vitesse, le système peut surmonter n’importe quel bouclier de défense.
La Russie a également testé avec succès son planeur expérimental hypersonique Yu-74 . Le Yu-74 était porté par le missile balistique intercontinental RS-18A (nom de l’OTAN : SS-19 Stiletto). Le planeur a été lancé à partir de la base de missiles Dombarovsky dans la région d’Orenbourg et a frappé une cible située à Kura dans la région du Kamtchatka au nord de l’Extrême-Orient russe.
Armés d’ogives conventionnelles, ces véhicules deviendront des armes parfaites. Avec ces munitions en place, toute cible dans un rayon de 6 200 miles peut être atteinte en une heure.
La déclaration du ministre russe de la Défense reflète la réalité – la supériorité américaine de deux décennies dans les munitions guidées de précision à longue portée (PGM) est presque terminée. Ça change tout. La Russie et les États-Unis deviennent des rivaux dans un effort pour acquérir une capacité PGS [frappe planétaire rapide] opérationnelle.
L’effet de levier de la politique étrangère, que Washington avait jusqu’à présent, est remis en question. La capacité de la Russie à utiliser la force à distance lui donne un effet de levier important pour faire progresser ses intérêts et avoir un impact beaucoup plus grand sur le développement des événements dans des régions comme le Moyen-Orient.
Les systèmes conventionnels de haute précision créent un certain nombre de problèmes, ce qui complique considérablement les estimations de l’équilibre stratégique et les calculs de la quantité des forces de dissuasion. En théorie, cela peut compliquer les négociations sur le contrôle des armements et poser des questions concernant le nouveau START et le traité INF.
Jusqu’à présent, les États-Unis ont évité les négociations sur des mesures de limitation des armements qui pourraient réduire ou même simplement réglementer le potentiel conventionnel américain. Les capacités des États-Unis et de la Russie ne sont pas contrôlées. Il reste à voir si la position américaine variera en raison des changements susmentionnés. Au cours de la guerre froide, les parties ont conclu des accords pour contrôler les armes nucléaires. Ils peuvent certainement parvenir à un accord sur les PGM conventionnels.
Une fois que la parité approximative est sur le point d’être atteinte en ce qui concerne les PGM à longue portée, il pourrait être judicieux pour la Russie et les États-Unis d’examiner les implications des missiles de croisière conventionnels pour l’avenir de la maîtrise des armements. Ce ne sera pas facile. Le régime existant de contrôle des armements n’est pas conçu pour traiter ce type d’armes.
L’ordre du jour des pourparlers sur les forces armées conventionnelles en Europe n’a jamais inclus les PGM non nucléaires à longue distance par air et par mer ou les véhicules hypersoniques. Si le traité INF n’est plus efficace, les missiles terrestres conventionnels à portée intermédiaire seront également hors de tout contrôle. Les limites traditionnelles des forces conventionnelles ne sont pas pertinentes. Mais un nouvel ensemble d’outils de contrôle des armements pourrait aider à résoudre le problème. Peut-être le document de Vienne pourrait-il être élargi à d’autres domaines. Tout a un début. Il est important de commencer.
Andrei Akulov
Traduit par JJ pour le Saker Francophone
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