La fin de l’enfance

Par James Howard Kunstler – Le 27 mai 2022 – Source kunstler.com

Loving the Broken Again and Again and Again (Loving Someone with Adverse Childhood Experiences) - Bravester

Le trope le plus bidon de la vie américaine est le suivant : Nous devons trouver la cause de X pour que cela ne se reproduise plus jamais. Bien sûr, cela se reproduira. Nous prétendons seulement que la cause est un mystère. Comptons les façons dont les massacres scolaires se produisent.

Les écoles américaines sont des endroits fantastiquement déprimants. Elles sont conçues pour ressembler à des prisons de sécurité moyenne et à des usines d’insecticide. Elles envoient le message suivant : Entrez ici et soyez psychologiquement brutalisés. Elles sont trop grandes, excessivement aliénantes, laides, dépourvues de tout symbole visible signalant la valeur de l’être humain. L’intérieur des écoles est conçu pour la commodité des concierges, des surfaces dures de carrelage et de linoléum qui peuvent être nettoyées facilement au jet d’eau comme les quartiers des animaux de zoo. Les enfants agissent en conséquence.

Les “installations”, comme nous les appelons, sont déployées dans le paysage illisible d’un derby de démolition, séparées de toutes les autres activités de la vie quotidienne, qui ont elles-mêmes atteint un état culminant d’insignifiance : des magasins à grande surface, des installations alimentaires franchisées de chaînes nationales, des centres commerciaux linéaires de magasins vides, des terrains vagues de stationnement, rien qui puisse exciter l’imagination d’un enfant avec des émotions autres que la confusion, l’anxiété et l’aversion.

L’“enseignement” qui est censé être dispensé dans les écoles est un vestige brisé de la préparation à une économie qui n’existe plus. Nous ne sommes plus une société de personnes qui font des choses, mais plutôt une société de personnes à qui on fait des choses, dont beaucoup sont nuisibles, humiliantes et arbitraires. Le corps enseignant américain, démoralisé, est tellement déséquilibré par sa propre anomie qu’il en vient à imposer des fantasmes sadiques aux enfants dont il a la charge.

D’où tous les programmes inappropriés autour des préoccupations sexuelles des adultes, comme le Drag Queen Story Hour, pour lequel des hommes souffrant de troubles mentaux sont invités à se faire passer pour des femmes-monstres auprès de jeunes gens qui ne sont pas en mesure de donner un sens à ce spectacle. (Je soupçonne que même les enfants de six ans, câblés pour fonctionner comme des animaux performants dans ce monde, le comprennent comme une sorte d’affront à la réalité). Sinon, les enseignants américains sont à court d’idées, et sont eux-mêmes endommagés par les mêmes forces culturelles qu’on leur demande maintenant de diriger.

L’Amérique est devenue un spectacle dysfonctionnel sans rôles dans lesquels les enfants peuvent se projeter de manière réaliste. Quel enfant de dix ans aspire à devenir le patron de la friteuse de Burger King, vêtu d’un tablier marron et d’une couronne en carton insipide ? On les incite plutôt à aspirer à devenir des stars du sport millionnaires, ce qui représente peut-être moins de 5 000 postes dans un pays de 340 millions d’habitants. À l’âge de douze ans, ils comprennent probablement l’improbabilité de ce résultat, ou celui de devenir le prochain Kardashian… ou Spiderman. (Les super-héros sont fournis par les cartels du divertissement pour occuper le domaine de l’imagination des enfants parce que la culture américaine est dépourvue de rôles basés sur la réalité auxquels il est possible d’aspirer).

Dans ce tumulte d’appauvrissement culturel, la grandiosité psychotique s’insinue. Soyez grand si vous ne pouvez pas être autre chose. Par conséquent, un rôle réalisable pour les jeunes dans la vie américaine est celui de meurtrier de masse. C’est une façon de devenir important, d’avoir un effet sur les autres et sur la société en général. Votre nom peut être oublié, mais l’acte lui-même perdurera dans la mémoire collective d’un peuple. Ce sera une sorte de marque dans l’histoire, dont on se souviendra peut-être encore mieux que celui qui a joué en troisième base pour les Atlanta Braves en 1994… ou que la femme qui a un jour déambulé sur le tapis rouge des Oscars dans une robe inspirée d’un cygne abattu.

Le chaos déclenché par une fusillade dans une école n’est que l’essence rectifiée des multiples dérèglements de notre vie nationale. Tout est déréglé, y compris notre perception de ce qui se passe et de ce que cela signifie. Il ne reste presque plus rien de l’enfance dans ce pays, de la manière dont les jeunes créatures non formées sont aidées par des adultes qui les aiment à construire un avenir digne de ce nom. Nous avons oublié comment être reconnaissants d’être venus au monde, nous laissant indignes d’être ici. La qualité de la vertu, qui signifie que certaines choses et certaines actions sont reconnues comme meilleures que d’autres, a été remplacée de manière trompeuse par l’équité qui permet à rien d’être meilleur que n’importe quoi d’autre. La vérité et la beauté sont devenues hors-la-loi. La mauvaise foi et la méchanceté règnent, dirigées par un parti du chaos. Alors, vraiment, à quoi vous attendez-vous ? Et qu’est-ce que vous méritez ?

James Howard Kunstler

Pour lui, les choses sont claires, le monde actuel se termine et un nouveau arrive. Il ne dépend que de nous de le construire ou de le subir mais il faut d’abord faire notre deuil de ces pensées magiques qui font monter les statistiques jusqu’au ciel.

Traduit par Hervé, relu par Wayan, pour le Saker Francophone

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