La Fed est l’allié secret de Trump dans la guerre commerciale


En abaissant les taux d’intérêt, la Fed amortit le choc des barrières douanières et convainc le président qu’elles fonctionnent.


Par Chris Miller – Le 10 Juin 2019 – Source Foreign Policy

The Federal Reserve building in Washington, D.C., on Jan. 22, 2008.

L’édifice de la Réserve fédérale à Washington, D.C., le 22 janvier 2008. CHIP SOMODEVILLA/IMAGES SOMODEVILLA/GETTY

Dans ses diverses guerres commerciales, le président américain Donald Trump semble avoir de moins en moins d’alliés. Au début de son mandat, il a imposé des droits de douane sur l’acier et l’aluminium à la plupart des pays du monde. Il a menacé l’Union européenne et le Japon de droits de douane sur les voitures. Il a forcé le Mexique et le Canada à signer un accord pour renommer l’Accord de libre-échange nord-américain, puis a menacé le Mexique d’une nouvelle série de sanctions, à moins que le pays n’en fasse davantage pour s’occuper de l’immigration vers les États-Unis. La Corée du Sud n’a évité de nouveaux droits de douane qu’en signant un nouvel accord commercial (largement dénué de sens).


Il est difficile de trouver un pays, ami ou ennemi, qui a échappé à la colère de Trump. Et même les Républicains du Sénat ont exprimé leur scepticisme à propos de sa dernière dispute sur les droits de douane avec le Mexique et de ses plans pour imposer des droits sur les voitures européennes.

Mais Trump a gardé un allié clé dans ses batailles commerciales : la Réserve fédérale américaine.

Les manuels d’économie enseignent que les barrières douanières appauvrissent les pays en faisant monter les prix, ce qui réduit la compétitivité des entreprises et le pouvoir d’achat des consommateurs. Le président et ses conseillers ne prennent pas cette idée au sérieux. Trump est, comme il l’a tweeté, un “Tariff Man.” Et bon nombre de ses collaborateurs, dont Peter Navarro et le représentant américain au commerce extérieur Robert Lighthizer, sont des partisans de longue date de l’idée que les barrières douanières devraient jouer un rôle majeur dans la politique commerciale.

La Fed a contribué à soutenir la croissance économique que M. Trump invoque comme preuve que ses barrières douanières fonctionnent.

Les économistes de la Fed, cependant, lisent des manuels d’économie. Et alors que Trump peut penser que “les guerres commerciales sont bonnes et faciles à gagner”, comme il l’a dit sur Twitter, la Fed croit le contraire, à savoir qu’elles vont ralentir la croissance économique. Cet écart de compréhension est une excellente nouvelle pour le président. Parce qu’elle estime qu’elle devrait maintenir les taux d’intérêt à un bas niveau pour stimuler la croissance lorsque l’économie ralentit (tant que l’inflation est sous contrôle), la Fed s’est abstenue d’augmenter les taux au cours des six derniers mois, en partie pour amortir les effets de la guerre commerciale. Ce faisant, elle a contribué à soutenir la croissance économique que M. Trump invoque comme preuve de l’efficacité de ses barrières douanières.

La Fed a deux mandats, établis par la loi : maintenir l’inflation et le chômage à un bas niveau. Il y a un an, tous les signes indiquaient la nécessité de relever les taux d’intérêt sur ces deux paramètres. L’économie était en expansion depuis dix ans. Le chômage atteignait des plus bas historiques. Et la réduction massive des impôts de 2017, financée par le déficit, avait stimulé l’économie à un moment où de nombreux modèles économiques suggéraient que les décideurs devraient réduire les mesures de stimulation pour prévenir l’inflation. En effet, en 2018, l’inflation a atteint son plus haut niveau en plus de cinq ans. Les experts et les investisseurs s’attendaient à ce que la Fed continue d’augmenter les taux d’intérêt pour ralentir l’économie et contenir l’inflation.

Un an et plusieurs hausses de barrières douanières plus tard, les choses se présentent plutôt différemment. Il est compréhensible que la Fed ait cru devoir agir. Les entreprises et les consommateurs américains sont très exposés au commerce. Les consommateurs achètent beaucoup de choses – des avocats, aux iPhones en passant par les voitures – qui sont partiellement ou totalement produites à l’étranger. Les entreprises produisent de nombreux biens en utilisant des intrants de l’étranger. Et elles vendent aussi à l’étranger, réalisant des profits qui aident à financer la consommation aux États-Unis. Toutes ces activités sont rendues plus difficiles par les barrières douanières.

La première mesure de barrière douanière de Trump, a été d’imposer des droits de 25 % sur l’acier et de 10 % sur l’aluminium en mars 2018, mais elle était relativement mineure. L’acier et l’aluminium ne représentent qu’une faible part des importations américaines, et le président George W. Bush avait fait de même en 2002. La guerre commerciale avec la Chine, les menaces qui pèsent sur l’Europe et le Japon pour imposer des droits de douane sur les véhicules automobiles et l’antagonisme constant du Mexique sont d’un ordre de grandeur plus perturbateur. Vendredi, Trump a accepté de ne pas imposer de barrières douanières au Mexique. Lundi, il tweetait sur la perspective de nouvelles barrières douanières. La Chine et le Mexique sont deux des principaux partenaires commerciaux des États-Unis. Taxer le commerce avec eux obligera les consommateurs à payer davantage et obligera les entreprises à retravailler des chaînes d’approvisionnement complexes. Rien de tout cela n’est bon pour l’économie à court terme.

Mais les réductions de taux – une forme de stimulation économique – peuvent ralentir l’hémorragie. Elles soutiennent également le marché boursier, qui a aussi peur des barrières douanières de Trump que la Fed. Pourtant, cette dynamique est dangereuse. Plus Trump menace de relever les barrières douanières avant de les imposer, plus la Fed réduit les taux. Et cela, à son tour, l’encourage à menacer encore plus.

Le virage de la Fed vers l’assouplissement monétaire n’est pas seulement d’ordre économique. Elle revêt également une importance politique cruciale. L’état de l’économie sera un facteur déterminant de l’élection présidentielle de 2020. Si l’économie se porte bien, Trump s’en attribuera le mérite. Si elle s’en sort mal, il sera blâmé. Chaque fois que la Fed annonce qu’elle agira pour soutenir l’économie, elle stimule également les perspectives de réélection de Trump.

La Fed fait simplement son travail. Si les politiques commerciales de Trump menacent d’augmenter le chômage ou l’inflation, la Fed est obligée de réagir. Mais les responsables de la politique monétaire américaine se trouvent néanmoins dans une impasse. Ils sont souvent décrits comme étant “indépendants” de la politique. C’est vrai, ils ne reçoivent pas d’ordres de la Maison-Blanche. Mais ils sont entraînés, en fait, par les tweets commerciaux du président. Personne ne veut que la Fed laisse l’économie ralentir inutilement, ce qui signifierait moins d’emplois et des salaires plus bas. Mais l’alternative de la Fed n’est guère plus satisfaisante : utiliser la politique monétaire pour atténuer les coûts des droits de douane et pour faire ronronner l’économie alors que Trump s’attribue le mérite de ses victoires économiques extraordinaires.

Chris Miller est professeur adjoint à la Fletcher School, directeur du département Eurasie au Foreign Policy Research Institute et auteur de Putinomics: Power and Money in Resurgent Russia.

Note du Saker Francophone

C'est un article d'un think-tank globaliste à prendre avec les pincettes d'usage. Il s'appuie notamment sur une lecture Système des données économiques. Mais il est intéressant de voir cet auteur analyser les ressorts des politiques de la Fed dans la perspectives des élections de 2020. On peut aussi le mettre en parallèle avec Brandon Smith qui a lui une vision beaucoup moins légaliste des influences entre élites.

Traduit par Hervé pour le Saker Francophone

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