La descente en chute libre de l’Ukraine


Un témoignage sur la corruption et le désespoir qui étreignent Kiev


Par Kenneth Courtis – Le 2 juillet 2017 – Source The Globalist

Vue panoramique de Kiev

Kiev a vécu une semaine mouvementée. Mercredi, une cyberattaque mondiale, lancée depuis l’Ukraine, s’est répandue comme un incendie dans le monde entier. Pendant ce temps, le chef du service de contre-intelligence du régime de Kiev a été explosé avec sa voiture alors qu’il traversait un carrefour du centre ville.

L’opinion publique prétend que c’est un autre épisode de l’intrigue Kiev–Moscou–États-Unis. D’autres sur le terrain disent qu’il est plus probable que ce soit lié à la corruption associée aux ventes d’armes. Le saurons-nous un jour ?

Les derniers sondages montrent que le président, que tout le monde appelle ici « Porky », ne bénéficie d’un soutien public qu’à un seul chiffre. En comparaison, Trump à 38% se porte plutôt bien.

C’est discutable, je suppose, et nous ne le saurons jamais, mais beaucoup ici considèrent le régime actuel comme le plus corrompu qu’ait connu le pays.

Les dépenses militaires sont pleines de trous et plusieurs personnes m’ont dit qu’elles savaient très bien que l’« élite » récupère 7% à 10 % au passage… 7% à 10% d’un milliard par ci, un milliard par là, un autre milliard là-bas… Au bout d’un certain temps, cela commence à faire une sacrée somme !

On récolte ce que l’on sème

Ils disent que les peuples ont les politiciens qu’ils méritent. Si c’est vrai, on peut se demander ce que les Ukrainiens ont fait pour mériter ce qu’ils vivent depuis 27 ans, voire plus longtemps…

Il y a quelques semaines, je relisais La Garde blanche de Boulgakov. De 1917 à 1920, Kiev n’a eu pas moins de 18 gouvernements.

Aujourd’hui, on constate un vaste sentiment de désolation, de résignation, chez certains de nihilisme, chez d’autres le point de vue qu’il n’y a rien à y faire, aucun espoir pour quoi que ce soit, alors vivez maintenant, intensément ou partez.

Dans un musée d’art contemporain, une exposition exprime ces sentiments. Une vidéo joue non-stop avec le mot FUTURE inscrit en grosses lettres majuscules noires sur l’écran.

Deux des lettres de FUTURE sont renversées. Ce qui reste du mot veut dire feu. Cela résume bien comment les gens voient leur avenir.

Gaspillage, inutilité et trahison

Dans une autre salle, on y trouve une installation appelée le « Vétéran délaissé ». La pièce est entièrement blanche et vide, sauf quelques pièces d’équipement militaire, visiblement obsolètes, parsemées sur le sol, et un homme, seul, portant un uniforme de combat, fixant le coin de la salle, le regard vide.

Le sentiment de perte, d’inutilité, de trahison est écrasant.

Ensuite, il y a toute une salle dont le thème est Tchernobyl. Les photos et les textes sont du pur désespoir. La cyberattaque du début de la semaine, peut-être pas par hasard, a éteint tous les équipements de surveillance de Tchernobyl…

Quelques jours plus tôt, l’Union européenne a accordé le passage sans visa aux détenteurs de passeports ukrainiens. Attendez-vous à un exode massif des plus jeunes et des plus brillants. Et cela ne peut pas être bon pour le pays.

L’autoroute de l’héroïne

Pendant ce temps, les gangs règnent encore sur Odessa et ses ports, points de distribution vers l’Ouest de presque 90% de l’héroïne produite en Afghanistan.

Après que les États-Unis ont mené la guerre pendant une décennie et demie, cette année les champs de pavot sont les plus productifs de tous les temps, avec une récolte record jamais enregistrée. Odessa est également la plaque tournante du commerce international illégal d’armes…

Il faut plaindre ce peuple ukrainien : la guerre civile, la vaste corruption, les divisions profondes et toujours plus insurmontables du pays, la fuite des jeunes, le désespoir des armées de chômeurs, les dévaluations répétées, l’effritement du revenu réel, le détournement des dépôts bancaires, les prêts frauduleux, le vol des biens de l’État…

On estime que plus de mille milliards de dollars de biens de l’État ont été volés, et l’on n’a pas entendu le moindre gémissement de la part du FMI, de la BERD, ni des gouvernements d’Europe occidentale, des États-Unis ou du Canada.

Pas un ne moufte, posant, par exemple, comme condition de financement de la part du FMI de récupérer 20% des actifs volés.

On dit qu’un bon endroit pour commencer à chercher les propriétaires de certains de ces actifs serait le cabinet du gouvernement de Kiev et les bancs parlementaires d’où certains membres de la coterie d’oligarques richissimes dirigent de facto le pays.

Au-delà de toute compréhension

Le chaudron culturel, politique et social qu’est la Russie-Ukraine me dépasse largement. Ma visite au musée Boulgakov va le montrer.

Il y a une grande fierté nationale pour cet homme [Boulgakov] et son travail. Pourtant, il était russe, a écrit tous ses livres, pièces de théâtre, romans en russe, est né d’une famille ethnique russe et descendait d’un prêtre orthodoxe russe.

Mais rien de tout cela n’est mentionné, et cela n’apparaît que lorsque l’on bombarde le guide de questions…

D’une autre manière, passez un peu de temps, par exemple, dans un karaoké ou un café, et pratiquement toutes les chansons qui y sont jouées sont des chansons russes ou des chansons chantées par des Ukrainiens vivant en Russie. Complexe, complexe, complexe.

Cela pourrait être tellement différent

La destinée de l’Ukraine serait certainement très différente, s’il y avait une chaîne de montagnes entre la frontière franco-allemande et Moscou, et si la Crimée n’offrait pas le seul port maritime toute l’année hors glace à la marine russe.

D’un côté, la géopolitique est ce qu’elle est et souligne le besoin d’une politique pragmatique, semblable à celle que Kissinger a suggérée à plusieurs reprises et que Moscou serait probablement heureuse d’accepter.

De l’autre, il y a un peuple qui a tant souffert et qui continue d’être piétiné par sa propre caste oligarchique politico-économique, ainsi que par ses voisins.

Aujourd’hui,  dans une certaine mesure, par la Russie, hier par les occupations militaires totales de l’Allemagne, de la Suède, de la Pologne, de la France, de la Lituanie…

Mais il ne fait aucun doute que Kiev est une ville européenne, tout comme Varsovie et Riga. La ville continue d’avoir l’une des meilleures troupes de ballet au monde et une vie culturelle très active.

Kiev est une jolie ville, surtout sous le ciel sans nuage d’aujourd’hui, alors que les chaudes journées d’été arrivent.

Kenneth Courtis

Traduit par Wayan, relu par Catherine pour le Saker Francophone.

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