La critique américaine du Congo souligne l’hypocrisie du vote électronique et les menaces de guerre hybride


Par Andrew Korybko – Le 28 mars 2018 – Source Oriental Review

Congo DR voting systemMalgré l’utilisation de machines à voter électroniques (EVM) lors de leurs propres élections, les États-Unis affirment que le Congo abandonnera cette technologie dans les années à venir en raison de sa nature aléatoire, comme Washington le prétend hypocritement. IL fait même pression sur les donateurs étrangers pour qu’ils retiennent leur aide jusqu’à ce que Kinshasa capitule à cette demande parce que les USA croient que les bulletins en papier rendraient le vote de décembre plus facile à frauder et faciliteraient par conséquent le changement de régime anti-chinois qui a inspiré la guerre hybride naissante du pays.

EVMs : Bon pour l’Amérique, mauvais pour le Congo

L’ambassadrice américaine à l’ONU, Nikki Haley, a révélé que son pays était un féroce opposant aux machines à voter électroniques (EVM) au Congo lorsqu’elle s’est adressée au Conseil de sécurité au début du mois dernier. Reuters a déclaré qu’elle a averti contre l’utilisation d’« une technologie inconnue pour la première fois au cours d’une élection cruciale. C’est un énorme risque» . Elle rappelle que « ces élections doivent être tenues AVEC des bulletins de vote en papier, de sorte que le peuple congolais ne remette pas en question les résultats. Les États-Unis n’ont pas envie de soutenir un système de vote électronique ».

Bien qu’il ne soit pas surprenant que les États-Unis « exceptionnalistes » se considèrent selon un standard différent des autres, les remarques de Haley sur « l’énorme risque » des EVM et la prétendue préférence de son pays pour les « bulletins de vote » garantissant qu’il n’y aurait « aucune question (…) sur les résultats » quelle que soit l’élection, contredisent la supposée raison pour laquelle cette technologie a gagné du terrain en Amérique. Honnêtement, il y a des risques très sérieux inhérents à l’utilisation de ces systèmes, mais les pays du « Sud Global » comme le Congo sont stéréotypés − à tort ou à raison − pour être une zone de « bourrage des urnes ». IL est déroutant de se demander pourquoi vouloir faciliter cela en forçant ce pays à continuer à utiliser des bulletins en papier.

S’en tenir à la souveraineté

À son crédit patriotique, le gouvernement congolais a repoussé cette demande ridicule et défend sa souveraineté en évitant une soi-disant « conférence d’aide »  qu’il soupçonne d’être un simple chantage organisé pour lier toute aide humanitaire à venir à l’abandon des EVM lors des scrutins de décembre. Reuters a également rapporté comment le porte-parole du gouvernement, Lambert Mende, a puissamment décrié ce stratagème en déclarant qu’« aucun pays au monde n’accepte une ingérence étrangère dans un processus qui est un exercice de souveraineté ». Cette nouvelle attitude vient après que le Congo a réformé ses lois minières et mandaté que les sociétés d’extraction internationales paient des impôts plus élevés.

Double standard démocratique

Il y a eu des spéculations que le président Kabila pourrait essayer de modifier la Constitution pour un troisième mandat, mais il a toujours nié cela et a récemment annoncé qu’il désignerait un successeur préféré en juillet, ce qui implique néanmoins qu’il pourrait essayer de rester une force puissante derrière la présidence et l’« éminence grise » de facto du Congo. Même ainsi, cela ne serait pas inhabituel, car un tel arrangement a déjà eu lieu dans l’UE, notamment en Pologne où actuellement le leader du parti au pouvoir, Jaroslaw Kaczynski, est considéré comme le véritable leader national, même s’il ne siège pas au gouvernement dans une position élective.

La raison pour laquelle les États-Unis appliquent des doubles standards dans le cas du Congo est qu’ils considèrent Kabila comme une menace pour leurs intérêts et ceux de leurs alliés occidentaux, notamment en raison du partenariat stratégique de son pays avec la Chine et de sa volonté de contester la domination actuelle des sociétés minières étrangères qui était jusqu’à présent non négociable. C’est principalement pour des raisons géostratégiques interconnectées liées aux relations sino-congolaises et à l’importance mondiale de l’industrie du cobalt que les États-Unis ont encouragé une guerre hybride naissante dans le Heartland africain sous le prétexte infondé que Kabila est une « menace à la démocratie » en spéculant qu’il pourrait vouloir concourir pour un troisième mandat.

Les crimes de guerre des « rebelles » et l’effondrement possible du Congo

Semblable à la façon dont les États-Unis soutiennent une équipe hétéroclite d’extrémistes religieux et de terroristes purs et simples en Syrie, ils font de même au Congo, bien que de manière plus passive, en leur conférant une « légitimité » politique et normative grâce au contrôle des médias mainstream par les Américains qui les présentent comme leur « couverture démocratique ». Par exemple, tout comme les « rebelles » syriens sont connus pour être des mangeurs d’organes humains, leurs homologues congolais se distinguent tout aussi tristement en ayant filmé le viol forcé d’une femme par son beau-fils, décapitant publiquement les deux, puis buvant leur sang, tout cela parce que ces « combattants de la liberté » étaient furieux que le propriétaire du restaurant ait rompu leur sort de sorcellerie d’« invincibilité » après leur avoir servi du poisson avec leur commande de haricots.

Les États-Unis s’appuient sur ces personnages peu recommandables pour mener à bien leur sale travail de déstabilisation du Congo à tel point que ce pays s’effondre à nouveau comme à la fin des années 1990, avec « l’espoir » que le chaos résultant puisse être exploité par Trump (« L’agent du chaos, alias le Kraken ») afin de lutter contre les importants investissements de la Chine dans le cobalt pour les mettre « en sécurité » entre les mains des Occidentaux, même si 5 millions de personnes supplémentaires doivent mourir comme la dernière fois que le pays s’est effondré. Le « scénario idéal » cependant, serait qu’un gouvernement post-Kabila nationalise les actifs de la Chine et « fasse défection » au profit du bloc occidental dans cette nouvelle guerre froide, épargnant ainsi aux États-Unis la difficulté d’avoir à faire face aux conséquences inattendues d’un autre effondrement du Congo tout en se garantissant le résultat stratégique qu’ils souhaitent depuis toujours.

Manipuler les masses par la gestion des perceptions

Le « raccourci » mentionné ci-dessus explique pourquoi les États-Unis sont si intéressés à contraindre le Congo à s’en tenir aux bulletins de vote parce que les USA pensent qu’ils pourraient plus facilement frauder le vote de cette manière pour empêcher Kabila ou son successeur préféré de gagner. Même au cas où il remporterait une victoire, les États-Unis pourraient orchestrer un scandale post-électoral lié d’une manière ou d’une autre à ces bulletins de vote afin de susciter suffisamment de « préoccupations » sur la « légitimité » de ce vote (ex. Vidéo de « preuves » que ce soit des provocations organisées ou une preuve de fraude réelle ou de « bourrage des urnes ») afin de constituer une « coalition de volontaires » comme celle issue des évènements de Salisbury pour « isoler » le gouvernement congolais par des sanctions et d’autres mesures asymétriques de pression en prévision d’un changement de régime.

Les EVM pourraient aussi facilement être piratées, mais il y aurait moins de preuves « convaincantes » que l’on puisse obtenir pour garantir une réponse de l’opinion publique sur laquelle les États-Unis comptent pour organiser un front multinational contre Kinshasa si l’« homme de Washington au Congo » (qui que ce soit finalement) ne gagne pas, d’où la raison pour laquelle Haley insiste tellement pour que le pays se contente de bulletins en papier. Après tout, les masses occidentales sont beaucoup plus facilement ébranlées par des images de ce qu’on leur fait croire (avec précision ou non) et une foule de noirs pro-gouvernementale fourrant d’innombrables bulletins de vote dans une boîte plutôt qu’un rapport assez classique lu par un animateur de télévision blanc alléguant un piratage contre les EVM d’un pays dont la personne moyenne ne sait rien.

Democratic Republic of Congo's mineral resources

Ressources minérales de la République Démocratique du Congo

Pensées finales

La forte pression exercée par les États-Unis sur le Congo pour revenir sur sa décision d’employer des EVM et de continuer à dépendre des bulletins de vote pour ses prochaines élections peut être interprétée comme le dernier avertissement de Washington à Kinshasa avant que ses agences de renseignement n’exacerbent la guerre hybride dans le pays.

L’establishment de sécurité des États-Unis « c’est-à-dire, l’État profond » craint de « perdre le Congo » et ses réserves de cobalt importantes au profit de la Chine et le seul moyen d’inverser cette tendance est de virer Kabila du pouvoir et d’empêcher la prochaine annonce de son successeur qui pourrait lui succéder. À cette fin Washington veut que le pays utilise des bulletins en papier beaucoup plus facilement manipulables au lieu des bulletins électroniques pour le vote. Au cas où les gens n’appuieraient pas ce que pourrait être « l’homme du Congo » des États-Unis (qui à toutes fins utiles n’est autre que Kabila et son successeur préféré) alors les médias internationaux sous contrôle américains passeront immédiatement à la vitesse supérieure en alléguant des « fraudes » et en diffusant potentiellement des images décontextualisées ou mises en scène de ce qu’ils décriront comme des « bourrages d’urnes » pro-gouvernementaux durant un vote qui, selon eux, minerait la légitimité du vainqueur.

À ce moment-là, la guerre hybride en constante augmentation dans le pays passerait à une phase semi-conventionnelle alors que le nouveau gouvernement favorable à l’Occident en Angola et/ou les anciens alliés des Grands Lacs, l’Ouganda et le Rwanda augmenteraient le soutien matériel et même militaire aux « rebelles » dans une répétition structurelle des Première et Deuxième « guerres civiles » congolaises.

Le Congo est donc sur le fil du rasoir d’être renvoyé dans un cycle de violence à grande échelle continentale qui pourrait annoncer ce qui pourrait éventuellement devenir la « Seconde Guerre mondiale de l’Afrique » largement motivée par l’exploitation depuis l’extérieur des conflits d’identité préexistants dans le pays qui sont finalement conçus pour atténuer l’influence chinoise là-bas et permettre aux entreprises occidentales de prendre le contrôle des mines de cobalt des mains de Pékin. Cependant, la seule chose sur laquelle les États-Unis ne comptent pas, c’est que la Chine réagisse à l’effondrement total du Congo par une contre-révolution en soutenant comme au judo l’indépendance de la région riche en minéraux du sud-est du Katanga, qui recoit la majorite des investissements chinois et est connecté au marché asiatique par le projet de la Route de la Soie TAZARA, datant de la période de la guerre froide. Le président Xi pourrait suivre son homologue russe en organisant une « Crimée africaine » en renversant les plans de déstabilisation de l’Occident contre lui.

Andrew Korybko est le commentateur politique américain qui travaille actuellement pour l’agence Sputnik. Il est en troisième cycle de l’Université MGIMO et auteur de la monographie « Guerres hybrides : l’approche adaptative indirecte pour un changement de régime » (2015). Ce texte sera inclus dans son prochain livre sur la théorie de la guerre hybride. Le livre est disponible en PDF gratuitement et à télécharger ici.

Traduit par Hervé pour le Saker Francophone

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