Par Dmitry Orlov – Le 29 mars 2018 – Source Club Orlov
Vous avez peut-être entendu parler de l’événement tragique que je vais décrire, ou peut-être pas. Si vous en avez entendu parler en anglais, il y a de fortes chances que ce que vous avez entendu fasse partie d’un travail de sape programmé anti-russe. Normalement, je serais réticent à écrire à ce sujet ; il est généralement préférable de rendre les célébrations publiques et de garder les tragédies privées. Mais dans ce cas, un grand nombre de personnes, à différents niveaux, ont tenté de tirer profit de cette tragédie et d’en tirer des bénéfices, générant un gigantesque nuage de fumée noire bien plus important que celui généré par l’événement lui-même.
Cette tragédie vraiment effroyable s’est déroulée dimanche dernier, 25 mars, à Kemerovo (l’accent est mis sur la première syllabe) région de Kouzbass, Sibérie. Un incendie au centre commercial et de loisirs Winter Cherry a coûté la vie à 64 personnes, dont 41 enfants. Seuls 27 corps ont été identifiés ; d’autres attendent une analyse génétique. Le nombre de blessés est de 79, dont 12 restent hospitalisés ; 67 ont pu sortir et seront traités en ambulatoire. Les familles des victimes et chacun des blessés ont reçu 1 million de roubles du gouvernement régional (17 350 USD). En outre, le principal propriétaire du centre, l’entrepreneur Denis Chtengelov, a promis de verser 3 millions de roubles pour chaque défunt. Toutes les victimes seront également suivies par un médecin et un psychologue pour les aider jusqu’à leur guérison.
Les Russes sont habitués à la tragédie. Le climat rigoureux et les longs hivers, accompagnés de routes verglacées et enneigées, de fréquentes conditions de voile blanc et autres, provoquent de nombreux accidents dans les transports. Les attaques terroristes ont aussi réclamé leur part de victimes. Mais cet incident a vraiment ébranlé les gens et l’effusion de chagrin a touché tout le pays ; d’abord, parce que sa cause n’était pas la nature ou la guerre − c’était un désastre causé par l’homme − et deuxièmement, parce que tant de victimes étaient des enfants qui s’étaient présentés là ce dimanche simplement pour une journée de plaisir. Des monuments commémoratifs spontanés ont été érigés dans tout le pays, de Vladivostok à l’Est (5400 km de Kemerovo) à Saint-Pétersbourg à l’Ouest (4100 km) et à travers le monde. Avec l’effusion de chagrin et de soutien, le respect a été rendu aux héros de cette tragédie, morts et vivants. Tatiana Darsalia, une enseignante d’anglais, a conduit sa propre fille hors du bâtiment en flammes, puis elle est revenue en courant pour sauver d’autres enfants ; elle n’a pas survécu. Dmitry Poloukhine, un cadet du ministère des Situations d’urgence, a réussi à s’emparer de trois enfants à la fois, un garçon et deux filles ; il a survécu.
C’est donc le cœur de la tragédie, tout cela parfaitement humain et compréhensible. Après beaucoup de chagrin, et beaucoup de soutien de l’extérieur, Kemerovo finira par guérir. Mais autour de cette tragédie, dès qu’elle s’est produite, s’est mis en orbite un véritable nuage d’astéroïde de laideur humaine : l’humanité prédatrice sans âme et bestiale qui tente de tirer un modeste bénéfice personnel ou collectif de la mort de ces enfants. L’anglais manque de bons mots pour décrire de telles personnes ; tout ce qu’il a, c’est des vulgaires jurons anglo-saxons et des imitations farfelues de latin, langue morte depuis longtemps. Étiqueter simplement de telles personnes ne fonctionnera pas ; au lieu de cela, je lancerais bien en orbite ces déchets humains enflammés sur des cercles de laideur. Je les appellerai ainsi, comme Dante Alighieri a voué les pécheurs aux cercles de l’Enfer. Et peut-être même leur accorderai-je quelques tourments éternels convenablement médiévaux.
Au centre même de cet ensemble de cercles de la laideur peut se trouver un trou noir : le feu pourrait avoir été d’origine criminelle. (Cela peut aussi être dû à un court-circuit accidentel, l’enquête n’est pas terminée.) Mais si c’était un incendie criminel, la principale théorie est que cela a commencé dans une salle de jeux pour enfants. Il y avait une fosse remplie de blocs de polystyrène et quelqu’un (pas encore de suspect) a peut-être mis le feu à l’un d’entre eux. Le feu s’est alors propagé rapidement à toute la fosse, les cordes synthétiques qui pendaient dessus ont pris feu et il s’est étendu aux murs et au reste de l’espace, et de là à toute la structure.
Mais il aurait pu s’agir d’un petit pyromane stupide jouant avec un briquet qu’il a ramassé quelque part (probablement un garçon). Beaucoup de jeunes garçons sont des pyromanes ; ils finissent généralement par surmonter ce travers si on leur confie la tache de brûler les déchets de taille du jardin. Quand j’avais environ six ans, je faisais la vaisselle et mon attention a été attirée par une grille de ventilation au-dessus de l’évier de la cuisine. J’ai donc placé une chaise sur le comptoir de la cuisine, grimpé dessus, sorti la grille et regardé à l’intérieur. Il faisait sombre à l’intérieur du puits de ventilation, alors j’ai trouvé une boîte d’allumettes. Puis, quand la poussière qui tapissait ce conduit de ventilation s’est mise à flamber, j’ai pu observer un magnifique brasier orange monter tout le long de la tour tout en réfléchissant que la bonne vie pouvait s’être terminée avant même qu’elle ne commence. Et puis le feu s’est éteint. Mais si l’incendie de ce week-end s’avère avoir été un acte prémédité d’incendie criminel, alors son auteur ne mérite pas moins que d’être coincé dans un trou noir pour toute l’éternité.
Le premier cercle de laideur que nous rencontrons est peuplé de tous ceux qui sont responsables de l’état déplorable de la sécurité incendie du complexe Winter Cherry. Le système d’alarme incendie automatique était désactivé et ce depuis plusieurs jours. Il a été arrêté à cause de fausses alarmes, et aucune tentative n’a été faite pour le réparer. Lorsque, après le début de l’incendie, une tentative d’activation manuelle a été tentée, rien d’utile ne s’est produit. Le système de ventilation n’a pas été arrêté et il a fait circuler de la fumée toxique dans tout le bâtiment. Les issues de secours étaient verrouillées ; les couloirs d’évacuation étaient revêtus de matériaux inflammables. Les cages d’escaliers n’étaient pas étanches à l’entrée de fumées et n’étaient pas suffisantes pour pouvoir évacuer le bâtiment sans utiliser les ascenseurs et les escaliers mécaniques, eux-mêmes en panne lorsque l’électricité a été coupée. Selon certains rapports, le personnel de sécurité a été soit moins qu’utile et même contre-productif.
Qui est exactement coupable de cela, et quelle conséquence cela aura-t-il ? Ce sera le résultat de l’une des enquêtes criminelles les plus approfondies de l’histoire russe. Beaucoup de gens sont déjà sûrs d’écoper d’une peine de prison ; les règlements sur les incendies seront reformulés ; non seulement à Kemerovo, mais dans tout le pays, les règlements sur les incendies et les procédures d’inspection seront renforcés. De nombreux fonctionnaires au niveau municipal (l’une des poches de corruption restantes les plus importantes en Russie) vont soit recevoir une peine d’emprisonnement, soit être virés, soit se mettre à trembler à la seule idée de toucher un pot-de-vin au lieu de mener à bien leur inspection officielle. L’enquête prendra au moins cinq mois pour se terminer ; les procès prendront encore plus de temps. Mais nous pouvons être sûrs que ce sera minutieux, exhaustif et exemplaire parce que la personne qui l’a ordonné et qui va le superviser est Poutine lui-même. Lors de l’une des émissions télévisées, il a fait référence au rapport d’inspection de sécurité incendie pour le bâtiment incendié, qui a été approuvé « sans commentaires ». Outré, il s’est tourné vers le chef du comité d’enquête et a dit: « Découvrez qui a signé ceci, et rapportez-moi son nom ». − « Oui, monsieur ! »
Ceux qui peuplent ce cercle de la laideur ne méritent pas de tourments éternels : tout le poids de la loi administrative et criminelle, exercé sur eux par un Poutine raisonnablement irrité et courroucé, suffira amplement, j’en suis sûr ! Et ici, si je peux me le permettre, existe un peu d’une lueur d’espoir dans ce nuage noir : il y a une bonne chance que ces 41 enfants ne soient pas morts pour rien. Leur perte donnera l’impulsion d’une refonte complète de la sécurité publique et de la gouvernance municipale, rendant beaucoup moins probable la répétition d’un tel incident.
Le cercle de la laideur suivant est occupé par une planète gazeuse géante − une sorte d’Uranus de la laideur − avec un grand nombre de satellites semblables à des étrons. Cette boule puante géante de gaz des marais est un Ukrainien du nom de Yevgeny Volnov (de son vrai nom Nikita Kuvikov). Il est très probablement employé par le ministère ukrainien de la Police de l’information. Peu de temps après l’annonce de l’incendie, Volnov a commencé à passer des appels à la morgue de Kemerovo. Usant de l’identité d’un officier du ministère russe des Situations d’urgence, il a commencé à demander aux responsables de la morgue combien de cadavres ils pouvaient accepter et leur a ordonné de se préparer à en accepter un grand nombre − des centaines. Bien sûr, la fake news que des centaines de cadavres pouvaient être en chemin a rapidement fuité hors des morgues. En quelques heures, les gens dans la rue interrogeaient les fonctionnaires et affirmaient qu’ils leur mentaient sur le nombre de personnes tuées. Les fonctionnaires ont réagi en formant des groupes de citoyens bénévoles et en les envoyant directement aux morgues pour effectuer une vérification. Les chiffres correspondaient aux rapports officiels et cette tentative ukrainienne de fomenter de l’agitation publique en profitant d’une tragédie a été contenue.
Mais cela n’a pas mis fin à l’affaire, car maintenant les activistes des médias sociaux ont pris le relais. Diverses célébrités, dont certaines ont des milliers d’adeptes, se sont tournées vers Facebook, Twitter et d’autres plate-formes de médias sociaux et ont répandu ces mensonges bien au-delà des limites de la région. Un grand nombre de ces personnes ont fait cela plus ou moins sans réfléchir ; alors que d’autres cherchaient simplement à accroître leur popularité sur les médias sociaux au détriment des victimes de cette tragédie ; d’autres encore, qui se considèrent comme des membres de l’opposition, ont tenté de l’exploiter pour saper la confiance du public dans les autorités. Mais alors que la vérité peut vous libérer, le mensonge peut facilement devenir une prison auto-fabriquée et ceux qui répandent ces mensonges, involontairement ou avec l’intention de nuire, se retrouveront bientôt au milieu d’un fiasco en terme de relations publiques. Il a ensuite été souligné que certains d’entre eux, des célébrités en particulier, avaient un si grand nombre d’adeptes sur les médias sociaux qu’elles pourraient être considérées comme des organisations médiatiques, responsables de la vérification des faits et responsables de la diffusion de fausses informations, spécialement dans une période de crise où cela peut provoquer une panique ou des troubles sociaux. Il faut noter que ce n’est qu’après avoir pris conscience des conséquences que beaucoup d’entre elles ont choisi d’émettre des rétractations publiques et de s’excuser.
J’ai un véritable désir de tourment médiéval éternel pour le méchant Volnov et pour tous ceux qui ont fait écho à ses fausses nouvelles : je les livre à l’éternité de l’Ukraine.
En remarque, cette expérience démontre quelque chose de particulier sur les médias sociaux. Considérons ces nouvelles plates-formes d’accueil telles que AirBNB, ou les différents systèmes de partage de voitures, ou même des sites de négociation tels que Ebay. Elles reposent toutes sur le principe que la confiance publique repose sur la réputation. Détruisez le voile de l’anonymat, rendez la réputation de tout le monde publique, faites en sorte que tout le monde soit facile à localiser et à identifier instantanément et soudainement le risque disparaît et la coopération devient la stratégie la moins coûteuse. Plus personne ne devra plus jamais héler en taxi. On n’en entendra plus jamais parler ; maintenant, vous pouvez utiliser une application pour smartphone qui vous indique qui est le chauffeur, au chauffeur qui vous êtes et le service de transport négocié entre vous, de votre emplacement et de votre destination. Cela incite automatiquement tout le monde à avoir un meilleur comportement.
Les médias sociaux sont exactement le contraire. Il n’y a pas de critère pour établir une réputation sauf la notoriété et toute méthode pour augmenter cette notoriété (qui ne va pas à l’encontre de quelques directives rudimentaires contre le « discours de haine ou l’incitation à la violence ») est tout à fait appropriée. De plus, il n’y a aucune raison de penser que les plate-formes des médias sociaux sont réellement intéressées par la construction d’un capital social ou quoi que ce soit de ce genre ; tout ce qui les intéresse c’est de vendre vos données (et peut-être quelques annonces). Et certains, comme Facebook, méritent un Cercle de la laideur qui leur est propre. Que devrions-nous faire avec ? En cela, je fais écho à Voltaire: « Écrasez l’infâme ! ».
Le dernier cercle de la laideur est peuplé par les porte-parole des médias occidentaux tels que Leonid Berchidsky qui a saisi cette occasion pour claquer un papier particulièrement vil pour Bloomberg. Apparemment, leur devise est « faire du foin pendant que le soleil brille » et c’est une journée ensoleillée pour eux chaque fois qu’il y a beaucoup d’enfants russes morts. Sa logique est irréprochable : voyez, les enfants russes morts ; donc, Poutine est un vil dictateur. Quel tourment éternel suggérez-vous aux gens qui utilisent une tragédie impliquant des enfants morts pour remplir vos yeux et vos oreilles d’ordures et votre tête d’idées fausses − le tout pour avoir une chance de lécher la main de leur maître ? Je suis sûr que vous pouvez imaginer quelque chose de parfaitement médiéval si vous vous concentrez un peu. Allez-y et essayez-le alors ! Ou nous pouvons simplement les condamner tous pour vivre pour l’éternité en Ukraine. Votre choix.
Le livre de Dmitry Orlov est l’un des ouvrages fondateur de cette nouvelle « discipline » que l’on nomme aujourd’hui : « collapsologie » c’est à-dire l’étude de l’effondrement des sociétés ou des civilisations.
Traduit par Hervé, vérifié par Wayan, relu par Cat pour le Saker Francophone
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