“Israël” est à la fois contre et pour un accord et ne peut pas admettre que les États-Unis sont à la dérive


Vous comprenez ? C’est clair comme de l’eau de roche ? “Israël” est habituellement “contre” , mais son “non” est bidirectionnel. Il peut aller dans une direction, ou au contraire dans la direction opposée.


Par Alastair Crooke – Le 19 juin 2022 – Source Al Mayadeen

Après plus d’un an et huit cycles de négociations sur le retour des États-Unis dans l’accord sur le nucléaire iranien, il semblait que les États-Unis s’éloignaient tranquillement et sans faire de drame d’un accord JCPOA, et concédaient qu’un accord est irréalisable. “Nous n’avons pas d’accord … et les perspectives d’en conclure un sont, au mieux, ténues” , déclarait Rob Malley, l’envoyé spécial de Biden pour l’Iran, devant la commission des affaires étrangères du Sénat, le mois dernier.

Cela semblait suggérer que les États-Unis, faute de mieux, étaient prêts à accepter l’Iran comme un “État proche du seuil nucléaire” . Une perspective qui n’est pas considérée comme urgente au point de justifier la dépense de capitaux américains ou le détournement de la “bande passante” limitée de la Maison Blanche, alors que toute l’attention est concentrée sur l’Ukraine et le pivot vers l’Asie.

Mais un mois, c’est long en politique et les choses changent. Le conseil d’administration de l’AIEA vient de censurer l’Iran pour n’avoir pas fourni d’explications sur de vieilles déclarations affirmant la présence de particules enrichies errantes, (apparemment) trouvées sur des sites en Iran, bien que ce dernier ait fourni des détails écrits supplémentaires expliquant les violations (qui remontent à l’époque où l’Iran a obtenu la technologie des centrifugeuses du Pakistan dans les années 1970).

L’AIEA a fait part de son mécontentement et a formellement blâmé l’Iran. À la suite de cette résolution, l’Iran a déconnecté 27 caméras de surveillance de l’AIEA, en en laissant “une quarantaine” toujours actives et in situ. L’AIEA affirme maintenant que l’Iran prévoit d’installer deux nouvelles séries de centrifugeuses IR-6, ce qui, selon son directeur général Grossi, pourrait porter un “coup fatal” à l’accord du JCPOA.

Alors, que se passe-t-il ? Ces “violations possibles non résolues” sont vraiment des futilités, mais ce que cette censure de l’AIEA indique, c’est qu’“Israël” fait pression pour que l’Occident mette l’Iran au pied du mur. La question est d’autant plus pertinente qu’“Israël” n’a jamais eu de politique cohérente en matière d’accord nucléaire.

Sous l’ère Obama, “Israël” était opposé à un “accord” , car il affirmait qu’il s’agissait d’un mauvais accord. “Israël” a déclaré qu’il devait y en avoir un “meilleur” , mais a refusé pour autant d’en préciser la nature. Pourtant, “Israël” était également contre une absence d’accord considérée comme aussi mauvaise qu’un mauvais accord, peut-être pire.

“Israël” a également déclaré qu’il était contre le retrait des États-Unis du JCPOA à l’ère Trump, même s’il a poussé les États-Unis à se retirer précisément de cet accord à propos duquel il a déclaré être “contre” . Maintenant, “Israël” est contre un nouvel accord, mais il est aussi contre le fait de ne pas avoir d’accord.

Vous avez compris ? C’est clair comme de l’eau de roche ? “Israël” est habituellement “contre” , mais son “non” est bidirectionnel. Il peut aller dans une direction, ou au contraire dans la direction opposée. Alors pourquoi “Israël” est-il maintenant soudainement “contre” et cherche-t-il à pousser le conflit à son paroxysme ?

Ce n’est pas la pile croissante d’uranium enrichi à 60 % de l’Iran. Non. L’Iran, même s’il voulait se doter d’une arme (ce qui, selon les services de renseignement américains, n’est pas le cas), est considéré comme étant à 1,5-2 ans d’une ogive ou d’un système de livraison. Et personne ne prétend sérieusement que l’Iran se dirige vers l’un ou l’autre. Il se trouve manifestement au seuil du nucléaire, mais pas de l’armement.

Trois choses ont changé, et donc “Israël” , à son tour, redéfinit son “contre” sur un mode beaucoup plus belliqueux.

Tout d’abord, le gouvernement Bennett pourrait tomber, et les sondages nationaux indiquent provisoirement que lors de nouvelles élections nationales, la coalition actuelle pourrait être évincée voire remplacée par un bloc du Likoud comprenant, et éventuellement dirigé par, Netanyahou (car il semble que l’inculpation de l’ancien Premier ministre pourrait échouer).

Que faire dans une telle situation ? Eh bien, Bennett et ses alliés savent que la politique israélienne sur l’Iran a été le jouet personnel de Netanyahou “depuis toujours” . Et “cela” peut se retourner contre Bennett. La seule défense possible est donc pour l’équipe Bennett de “surpasser” Netanyahou. Bennet est donc devenu un faucon. Sa ligne de conduite est qu’“Israël” (avec l’Amérique à ses côtés) doit attaquer l’Iran.

Deuxièmement, l’Iran, le Hezbollah, le Hash’d a-Shaabi et les Palestiniens voient clairement la désintégration et la déstabilisation qui sont sur le point de submerger “Israël” . Ils voient que tous les échafaudages structurels destinés à contenir les tensions qui ont été mis en place depuis les années 1990 ont cessé d’être adaptés. Ces mécanismes ne contiennent plus les conflits latents. En revanche, ils nous précipitent vers eux. Par conséquent, tous les acteurs régionaux se préparent à la possibilité d’une guerre cette année.

Troisièmement, et c’est peut-être moins sûr, l’Ukraine passe à la vitesse de l’éclair d’un atout politique à un handicap pour l’équipe Biden. Elle menace de devenir potentiellement une débâcle au même titre que l’Afghanistan, pour les Démocrates. En désespoir de cause, une “guerre” qui menace “Israël” pourrait-elle devenir la “distraction salvatrice” d’une aggravation des difficultés intérieures d’un parti assiégé ?

La guerre en Ukraine est incertaine parce que les querelles sont nombreuses au sein de l’establishment américain. Les querelles intestines ont commencé. Certaines factions de l’élite ne veulent pas renoncer à neutraliser la Russie (pratiquement, mais pas tout à fait, à n’importe quel prix). Pour cela, elles veulent que l’Europe soit fermement sous le contrôle de l’OTAN, alors qu’une guerre au Moyen-Orient serait source de division. Le Pentagone ne serait pas non plus favorable à une telle diversion, car il s’efforce de canaliser toutes les ressources vers la “menace chinoise” .

Le Pentagone a déjà déployé des ressources à l’OTAN en Europe de l’Est en réponse à l’Ukraine, et ces ressources ne sont pas sur le point d’être retirées. Il répugnerait à accroître ses engagements à l’étranger maintenant.

Même au sein du Washington de Biden, il y aura des doutes. Le “virage” de Bennett laisse donc potentiellement “Israël” seul face à l’Iran. Il n’y a pas de véritable “coalition sunnite-israélienne” , et parler d’un front israélo-saoudo-émirati pour faire face à l’Iran relève plus de la fiction stratégique que de la réalité pratique. Biden veut-il encourager cette “imposture” à un moment où personne dans le monde n’a l’énergie nécessaire pour faire face à une confrontation au Moyen-Orient ?

Lorsque vous avez convaincu le monde (comme l’ont fait Bennett et Netanyahou) qu’un Iran nucléaire est un grave danger, et lorsque les Israéliens promettent de “s’occuper de ce problème” (c’est-à-dire de s’occuper eux-mêmes du programme nucléaire iranien), il y a forcément un profond scepticisme à Washington. Bennett reprend le flambeau de Netanyahou, sans fard : Netanyahou s’est vanté d’opérations secrètes qui ont permis de parvenir à une “dissuasion sans précédent” , et de la capacité d’“Israël” à agir seul. Il en va de même pour Bennett aujourd’hui. Bien qu’il ait plus de 20 ans de moins, il n’y a rien de nouveau ou de changé dans la politique d’Israël vis-à-vis de l’Iran.

Pourtant, quelque chose a radicalement changé non pas en “Israël” mais en Iran. Aujourd’hui, l’Iran peut “faire prendre la pilule rouge” à “Israël”, s’il est attaqué stratégiquement par “Israël” ou les États-Unis. Vous ne le croyez pas ? Vous devriez. C’est une réalité désagréable que les États-Unis préfèrent ignorer.

“Nous sommes à la dérive” , a déclaré l’ancien envoyé Aaron David Miller, “en espérant que l’Iran ne pousse pas l’enveloppe nucléaire, qu'” Israël” ne fasse pas quelque chose de vraiment énorme, et que l’Iran et ses mandataires ne tuent pas beaucoup d’Américains, en Irak ou ailleurs” .

“Ce n’est pas une stratégie” .

Alastair Crooke 

Traduit par Zineb, relu par Wayan, pour le Saker Francophone

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