Il faut tenir la France à bonne distance de la guerre syrienne


M.K. Bhadrakumar

M.K. Bhadrakumar

Par M K Bhadrakumar – Le 28 septembre 2015 – Source Indian Punchline

Il n’y a pas le moindre signe de malaise à Washington ni dans aucune capitale occidentale sur le fait que, dimanche dernier, la France ait lancé ses premières frappes aériennes en Syrie. Ce fut un moment poignant. N’oubliez pas que la France a créé, avec la Grande-Bretagne, la Syrie moderne.

Utiliser la violence contre sa progéniture n’est pas inhabituel pour la France – elle n’arrête pas de le faire en Afrique – néanmoins elle a manifesté, dans ce cas précis, une insensibilité particulièrement répugnante, compte tenu de la honte qui entoure encore le pacte Sykes-Picot. (Le centenaire de ce chapitre honteux de l’histoire coloniale de l’Europe tombe en mai prochain.)

Ce que la France vient de faire est répréhensible pour une autre raison. Elle est un membre permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies qui a le droit de veto, et elle a violé l’intégrité territoriale d’un pays membre de l’ONU sans même prendre la peine de le consulter. Les interventions françaises à l’étranger sont dénuées de principes et de moralité. La Libye est le dernier exemple d’un pays qu’elle a envahi et détruit, ainsi que son gouvernement établi, et elle s’est ensuite tout simplement lavé les mains du chaos qu’elle a laissé derrière elle.

Dans ce cas-ci aussi, la France sent qu’on s’approche de la recherche d’une solution politique au conflit syrien, et elle veut avoir son mot à dire. C’est dans l’ADN de la France, sauf que ce que nous voyons ici est une version légèrement plus crue du rôle sournois que la France a joué au cours des négociations sur l’accord nucléaire avec l’Iran, quand elle a pris l’argent de l’Arabie saoudite et s’est mise à créer autant d’obstacles que possible aux négociations du P5 + 1 et l’Iran, mais lorsque l’accord est devenu un fait accompli, la France a tout simplement changé de camp et est allée en Iran pour faire du business.

L’explication française est que, en Syrie, elle «protège notre territoire [celui de la France], en coupant court aux actions terroristes, et qu’elle agit donc en légitime défense». Voilà. Le président François Hollande dit que le nombre de frappes en Syrie «pourrait augmenter dans les prochaines semaines en cas de nécessité». En somme, la France a fait pipi sur le lampadaire syrien et elle revendique maintenant la propriété de son territoire. A-t-on jamais vu rien de plus cynique?[c’est le cas de le dire étymologie de cynique : κύων = chien, NdT]

Les pays chrétiens comme la France ont une histoire sanglante de bigoterie et de violence qu’ils ne peuvent dissimuler malgré tous leurs efforts pour se faire passer pour des pays civilisés. Le bilan de la France en Afrique est tout simplement abominable. Elle ne devrait pas être autorisée à s’approcher de la Syrie. Elle planait comme un vautour dans le ciel syrien et elle a probablement pensé que le moment était venu de fondre sur elle.

Le président Barack Obama doit rencontrer aujourd’hui [28 septembre 2015, NdT] le président russe Vladimir Poutine, à New York, pour parler du renforcement militaire de Moscou en Syrie (avec le plein accord de Damas). Les médias américains, qui sont sous la coupe du lobby juif lié à Israël, sont devenus berserk [fous furieux, NdT] à l’annonce que la Russie avait l’intention de soutenir le gouvernement syrien dans sa lutte contre État islamique. Par contre, ni Obama, ni aucun fonctionnaire de son administration, ni aucun commentateur juif américain n’a jugé utile d’exprimer la moindre critique sur l’attaque militaire unilatérale de la France en Syrie.

Au fond, en Syrie, la Russie exprime son objection aux interventions militaires unilatérales de l’Occident – et des États-Unis en particulier – dans des pays souverains, avec pour objectif de provoquer un changement de régime. A vrai dire, la Russie aurait dû fixer une ligne rouge, il y a 14 ans, lors du célèbre incident de la base aérienne de Bagram en Afghanistan, lorsque les États-Unis ont mis des bottes sur le terrain dans ce pays, sans même en informer le gouvernement de Kaboul. (De fait, le ministre afghan des Affaires étrangères, Abdullah Abdullah, a, protesté contre la décision unilatérale des États-Unis de mettre des troupes au sol – malheureusement, Washington avait aussi trompé l’Alliance du Nord en lui faisant croire qu’il n’y aurait pas d’occupation occidentale de l’Afghanistan.)

Moscou aurait dû insister pour garder ses avions sur le terrain à Bagram et pour avoir davantage son mot à dire dans la guerre contre les talibans. Il n’y a pas de doute que la guerre en Afghanistan aurait pris un cours tout à fait différent si les États-Unis n’avaient pas occupé le pays – et ils ne l’ont fait que lorsqu’il est devenu clair que les forces de l’Alliance du Nord qui se battaient sur le terrain avaient renversé le régime des talibans. L’invasion américaine a transformé ce qui était une guerre civile en un conflit régional et international complexe. L’occupation dure toujours et, d’après ce qu’on sait, Washington (et l’Otan) pourraient décider d’occuper ouvertement et indéfiniment l’Afghanistan.

Il faut le dire, Poutine faillirait à son devoir en tant que leader d’envergure internationale s’il ne signifiait pas à Obama, lors de sa rencontre avec lui tout à l’heure à New York, que les principes de base pour toute intervention dans un pays souverain – les principes de la Charte des Nations Unies – doivent être appliqués par tous de manière cohérente. Il devrait y avoir un strict respect du droit international et de la Charte des Nations Unies.

Ce sont les interventions occidentales qui sont à la racine de la crise au Moyen-Orient. L’Occident ne peut pas s’arroger le droit d’intervenir au Moyen-Orient musulman comme si les croisades n’étaient toujours pas finies.

Pour compléter cette lecture : Un président-poire s’en va-t-en-guerre, de Philippe Grasset

Traduction : Dominique Muselet

 

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