Par Stephen Gowans – Le 8 avril 2018 – Source what’s left
Beaucoup d’ambiguïté entoure la prétendue attaque chimique à Douma dont on dit qu’elle aurait eu lieu tard samedi, mais quelques points sont clairs.
Premièrement, les rapports sont « non vérifiés » selon The Wall Street Journal 1 et le ministère britannique des Affaires étrangères 2 et sont non confirmés selon le département d’État américain 3. En plus, The New York Times a noté qu’il « n’était pas possible de vérifier les rapports de manière indépendante » 4 tandis que The Associated Press ajoutait que « les rapports n’ont pu être vérifiés de manière indépendante ».5
Deuxièmement, selon The Wall Street Journal, « on ne sait pas clairement qui a mené l’attaque » 6 en supposant même qu’il y en ait eu une.
Troisièmement, les « photos et les vidéos non vérifiées »7 qui forment le corpus (non vérifié) de la preuve ont été produites par deux groupes qui ont un intérêt à inventer des atrocités pour attirer plus profondément les États-Unis dans le conflit syrien. Les deux groupes, les Casques blancs et la Syrian American Medical Society, sont financés par des gouvernements occidentaux8, qui cherchent ouvertement un changement de régime en Syrie et ont donc intérêt à fournir un prétexte humanitaire pour justifier l’intensification de leur intervention dans le pays. Les Casques blancs et la Syrian American Medical Society financés par les gouvernements occidentaux sont alliés aux djihadistes anti-gouvernement et ne sont actifs que « dans les zones contrôlées par l’opposition ».9 Eux aussi sont clairement des parties intéressées.
Quatrièmement, The New York Times a indirectement révélé un mobile possible pour les deux groupes de produire des histoires d’atrocités inventées. « Une nouvelle attaque chimique confirmée en Syrie, a noté le journal, poserait un dilemme pour le président Trump, qui […] a déclaré récemment qu’il voulait faire sortir les États-Unis de Syrie ». 10
Les récentes réflexions de Trump sur la fin de l’occupation militaire américaine de près d’un tiers du territoire syrien, dont les plus riches champs pétroliers du territoire, ont rapidement rencontré l’opposition du Pentagone, dirigé par le secrétaire à la Défense Jim Mattis. Le président américain a accepté avec réticence de poursuivre l’occupation, à condition qu’elle se termine en quelques mois plutôt qu’en quelques années.
Fabriquer une atrocité ferait pression sur Trump pour qu’il maintienne indéfiniment l’occupation américaine et permette peut-être l’intensification de l’intervention militaire en Syrie, pour le plus grand plaisir des insurgés islamistes, leurs alliés les Casques blancs et la Syrian American Medical Society, ainsi que les planificateurs de guerre américains.
Si telle est l’intention, la manœuvre semble avoir réussi. Trump a réagi sur Twitter au rapports non vérifiés (et invérifiables), en déshumanisant le président Bachar al-Assad, le traitant d’« animal », dont il a dit qu’il était responsable d’une « catastrophe humanitaire sans aucune raison ». Que le département d’État américain ait reconnu que les rapports n’étaient pas confirmés n’a pas suffi à retenir un Trump « tirant à l’aveuglette ».
Cinquièmement, une attaque chimique par le gouvernement syrien serait manifestement suicidaire et donc semblerait hautement improbable. L’Armée arabe syrienne est sur le point de remporter une victoire presque inévitable dans la Ghouta orientale. Pourquoi annulerait-il ses gains en donnant aux États-Unis un prétexte pour poursuivre leurs intervention militaire en Syrie, après que Trump a signalé son intention de retirer les troupes américaines ?
Sixièmement, il est difficile de concevoir un quelconque avantage militaire pour l’Armée arabe syrienne à déployer des armes chimiques. L’armée syrienne a des méthodes conventionnelles pour tuer plus meurtrières que les agents chimiques, dont les effets sont imprévisibles et généralement limités. Dans tous les incidents présumés d’attaques chimiques en Syrie, le nombre de victimes est toujours inférieur à celui qui pourrait facilement être obtenu avec des attaques aériennes et d’artillerie. Pourquoi, alors, le gouvernement syrien utiliserait-il des armes chimiques assez inefficaces, créant un prétexte pour la poursuite de l’intervention américaine, alors qu’il pourrait utiliser des armes conventionnelles plus meurtrières sans franchir la ligne rouge ?
Septièmement, une grande partie du discours sur les armes chimiques en Syrie suppose implicitement que le gouvernement syrien en possède, même si le pays coopère depuis des années avec l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques pour les éliminer.
Enfin, des allégations d’utilisation d’armes chimiques sont régulièrement portées contre le gouvernement syrien et même si, par la répétition, elles ont été transformées en vérités officielles, toutes se sont révélées non vérifiées. Jim Mattis l’a reconnu le 2 février dernier lors d’une conférence de presse.
Question : – Seulement pour être sûr que je vous ai bien entendu, vous dites que vous pensez qu’il est probable qu’ils les aient utilisées et que vous cherchez des preuves ? Est-ce cela que vous avez dit ?
Mattis : – […] Nous n’en avons pas la preuve … Nous cherchons la preuve…
– Donc la probabilité n’était pas ce que vous – vous ne la qualifiez pas de probabilité ? J’ai cru que j’ai utilisé – que vous aviez utilisé ce mot ; je suppose que je vous ai mal compris.
– Eh bien, il y a certainement des groupes qui disent qu’ils l’ont utilisé. Et ils pensent qu’il y a une probabilité, donc nous cherchons la preuve.
– Donc il y a une preuve crédible qu’il y a du sarin et de la chlorine –
– Non, je n’ai pas eu la preuve, pas spécifiquement. Je n’ai pas la preuve.
Ce que je dis c’est que d’autres – que des groupes sur le terrain, des ONG, des combattants sur le terrain ont dit que du sarin a été utilisé. Donc nous cherchons la preuve. Je n’ai pas de preuve, crédible ou non.11
L’absence de preuve n’est pas une preuve d’absence, mais ce n’est pas non plus une preuve de culpabilité. Le manque total de preuve, ainsi qu’un contexte politique qui favorise la production d’affirmations fallacieuses, suggère que les dernières allégations sur les armes chimiques sont – comme toutes les précédentes – au mieux douteuses.
Stephen Gowans
Traduit par Diane, vérifié par Wayan, relu par Diane pour le Saker francophone
- Raja Abdulrahim, “Dozens killed in alleged chemical-weapons attack in Syria”, The Wall Street Journal, 8 avril 2018. ↩
- Ben Hubbard, “Dozens suffocate in Syria as government is accused of chemical attack”, The New York Times, 8 avril 2018. ↩
- Ibid ↩
- Ibid ↩
- Zeina Karam and Philip Issa, “Syrian rescuers say at least 40 people killed in eastern Ghouta has attack”, The Associated Press, le 8 avril 2018. ↩
- Le 8 avril ↩
- Abdulrahim, le 8 avril. ↩
- Raja Abdulrahim, “Syria airstrikes hit hospitals in rebel territory”, The Wall Street Journal, le 5 février 2018; Louisa Loveluck et Erin Cunningham, “Dozens killed in apparent chemical weapons attack on civilians in Syria, rescue workers say”, The Washington Post, le 8 avril 2018. ↩
- Abdulrahim, le 8 avril; Abdulrahim, le 5 février. ↩
- Hubbard. ↩
- À la disposition des médias, par le secrétariat Mattis au Pentagone, Secrétaire à la Défense James N. Mattis, 2 février 2018, https://www.defense.gov/News/Transcripts/Transcript-View/Article/1431844/media-availability-by-secretary-mattis-at-the-pentagon/ ↩
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