Hébron : « Nous vivons dans une prison »


 

Harcelés par des restrictions et des abus toujours plus nombreux, les Palestiniens luttent pour garder leurs maisons dans la vieille ville historique d’Hébron.


 

« Ils nous entourent de plus en plus afin que nous quittions la zone », dit un résident d’Hébron – Photo Mersiha Gadzo / Al Jazeera

Par Mersiha Gadzo – Le 19 août 2017 – Source Chronique de Palestine

Hébron, en Cisjordanie occupée – Cela fait des semaines que les membres de la famille Abu Rajab sont confinés dans leur maison située au cœur de la vieille ville historique d’Hébron.
 
Ils n’osent pas sortir de peur que les colons n’occupent leur maison. Lorsque cela devient absolument nécessaire, un membre de la famille va acheter au plus près de la nourriture ou d’autres denrées de première nécessité, avant de se dépêcher de rentrer.

Hazem ABu Rajab dit que sa famille ne peut pas quitter leur maison, de peur que les colons ne l’occupent (Mersiha Gadzo / Al Jazeera)

 
« Nous faisons toujours très attention quand nous sortons et nous rentrons, et nous ne laissons jamais la maison toute seule », a déclaré à Al Jazeera Hazem Abu Rajab, 28 ans, assis sur le pas de sa maison.
Le 25 juillet, un groupe de 15 familles de colons a fait irruption dans des locaux attenant à la maison familiale ancestrale d’Abou Rajab et qui lui appartenaient, et s’y est installé. Le même soir, les colons ont agressé physiquement des membres de la famille Abu Rajab pour envahir leur résidence principale. Et lorsque les autorités israéliennes sont arrivées sur les lieux, elles ont voulu arrêter les Abu Rajab.
Pendant six jours, la famille Abu Rajab n’a pas pu quitter du tout son domicile, en raison d’un ordre militaire qui interdisait à quiconque de sortir ou d’entrer, a déclaré Abu Rajab. Le quatrième jour, l’administration civile palestinienne a tenté de leur apporter de la nourriture mais on l’a renvoyée.
La propriété que les colons ont investie par la force demeure l’objet d’un litige judiciaire. Les mêmes colons avaient déjà occupé la maison auparavant, en 2012, en affirmant qu’ils avaient légalement acheté la propriété – une allégation que la famille Abu Rajab nie catégoriquement. L’administration civile d’Israël a statué que les colons ne pouvaient pas apporter de preuve de leur achat et la Haute Cour israélienne leur a ordonné de partir. La propriété a depuis été déclarée zone militaire fermée.
Les colons ont fait appel de la décision et, le mois dernier, l’administration civile a accepté d’entendre leur appel. En attendant, les colons continuent d’occuper illégalement la maison.
Lassés d’être harcelés par les mesures de sécurité d’Israël qui incluent des restrictions de mouvement pour les Palestiniens, et d’être persécutés par les colons, de nombreux Palestiniens ont fini par quitter la zone H2 de Hébron contrôlée par Israël.
Selon un rapport de 2007 de l’organisation israélienne des droits de l’homme B’Tselem, 42% des Palestiniens vivant dans la zone H2 – plus de 1 000 familles – ont quitté leurs foyers depuis 1994.
En 1997, le Protocole d’Hébron a divisé la ville en deux zones : H1 contrôlée par l’Autorité palestinienne, et H2 contrôlée par Israël, qui comprend la vieille ville historique. Quelques 600 colons vivent illégalement dans la zone H2, sous la protection de milliers de soldats.
« À l’heure actuelle, il n’y a plus que quelques personnes qui vivent ici. En raison des attaques des colons, la vie est de plus en plus difficile ici, parfois c’est absolument invivable, a déclaré Abu Rajab.  [Le harcèlement] fait partie de leur plan pour vider la zone des Palestiniens et les remplacer par des colons. La dernière attaque remonte seulement à hier. Des colons ont attaqué la maison de notre voisin. Ils ont jeté des pierres depuis le toit et ont blessé à la tête une fillette de 10 ans qui jouait dans son jardin. »
 
« Les colons lancent régulièrement des pierres sur les Abu Rajab, et un soldat a  pissé sur leur cour depuis le toit de leur immeuble », a-t-il dit. Les colons voisins les ont également aspergés de nauséabonde eau de mouffette.
Selon l’organisation israélienne des droits de l’homme Yesh Din, aucun progrès n’a été fait au fil des ans pour obliger les colons à répondre de leurs violences. Seulement 8 % des cas recensés par Yesh Din entre 2013 et 2016 ont donné lieu à la poursuite judiciaire des agresseurs.

Fakhuri se sent encore plus assiégé depuis l’extension de la « clôture de discrimination » d’Israël devant son domicile (Mersiha Gadzo / Al Jazeera)

À environ 100 mètres de la maison des Abu Rajab, des enfants jouent devant la maison de Nael Fakhuri, 41 ans, à l’intérieur de ce qui semble être une clôture. En 2012, Israël a érigé une clôture le long de la route qui conduit à la mosquée Ibrahimi. La route a été divisée en une large rue pavée pour les juifs, et un petit chemin en très mauvais état sur le côté pour les Palestiniens.
Fakhuri se sent complètement assiégé depuis que la « clôture de discrimination » d’Israël passe devant chez lui et qu’une porte a été ajoutée devant son domicile en mai dernier. Une alarme très puissante retentit chaque fois que quelqu’un ouvre porte.
« Lorsque la cage est fermée, c’est comme si nous vivions en prison, a-t-il déclaré à Al Jazeera. Les soldats israéliens ouvrent la porte à 7 heures ou à 8, 9 ou 10 heures, cela dépend de leur humeur, et ils la ferment quand ils veulent. »
Fakhuri avait l’habitude d’aller au marché tous les matins 5 heures pour faire ses achats et vendre ses moutons, mais il ne peut plus le faire à cause de la porte verrouillée. Il dit que cela a entraîné une baisse de 70% de ses revenus. Pour nourrir ses moutons lorsque la porte est verrouillée, il doit faire un détour d’environ 600 mètres. Ses fils l’aident à traîner un chariot sur les chemins en pente et les escaliers de pierres irrégulières. Son troupeau est passé d’environ 65 moutons à une quinzaine.
D’après B’Tselem, ces restrictions ont pour but d’isoler davantage les quartiers palestiniens pour chasser les Palestiniens de la région.
« Ces mesures drastiques, imposées à des dizaines de milliers de Palestiniens, constituent des punitions collectives. Les Palestiniens qui vivent encore dans la région se voient refuser la possibilité de mener une vie normale et leur vie quotidienne est un enfer, a déclaré B’Tselem dans un communiqué. Avec cette politique, Israël chasse silencieusement et inexorablement les Palestiniens du cœur d’Hébron. »
L’armée israélienne a refusé de commenter la question comme le lui demandait Jazeera.
Dans la zone H2, entre les colonies et la ville, il y a plus de 100 obstacles physiques dont 18 postes de contrôle permanents et 14 postes de contrôle intermittents. Deux autres points de contrôle ont récemment été construits dans le quartier Tel Rumeida de la zone H2.
« Ils nous étouffent de plus en plus pour nous faire partir », a déclaré Fakhuri, ajoutant qu’il avait vu 15 à 20 familles quitter le quartier au cours de l’année précédente.
Les Palestiniens qui restent dans la vieille ville sont trop têtus ou trop pauvres pour partir. Abu Rajab dit que peu importe la dureté de la vie dans la zone H2, il n’abandonnera jamais sa maison. Il se souvient de son enfance à Hébron quand les marchés étaient florissants et qu’il y avait des centaines de personnes dans la rue.
« On ne voyait pas de colons avant, ici, s’est-il rappelé. [Ce quartier] était l’un des plus beaux et des plus animés d’Hébron. »
Aujourd’hui, il ressemble à une ville fantôme, avec ses maisons abandonnées et ses magasins fermés. Des drapeaux israéliens flottent des deux côtés de sa maison et de son toit.
« Il m’est impossible de m’imaginer en train de quitter ma maison. Elle fait partie de notre histoire familiale. Cette maison a plus de 650 ans, mes ancêtres l’ont construite, a déclaré Abu Rajab. Nous ne partirons jamais. Ce sont les colons qui doivent partir. »
Traduction : Dominique Muselet

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