Contre-offensive ukrainienne Redux


Par Dmitry Orlov – Le 14 juin 2023 – Source Club Orlov

Selon le ministère russe de la défense, l’offensive de grande envergure tant attendue par l’Ukraine a commencé le matin du 4 juin, lorsque simultanément, dans 5 secteurs du front sud de Donetsk, les 23e et 31e brigades mécanisées des réserves stratégiques des forces armées ukrainiennes, avec le soutien d’autres unités et sous-unités militaires, se sont vaillamment élancées, ont été sévèrement mutilées avant d’atteindre les lignes russes et ont battu en retraite dans le désordre. Au total, 6 bataillons mécanisés et 2 bataillons de chars de l’ennemi ont été impliqués, selon le rapport du ministère.

Plus tard, le ministre russe de la défense, Sergei Shoigu, a déclaré que le 5 juin, le régime de Kiev avait tenté une offensive dans sept directions avec les forces de cinq brigades. « Elle a été stoppée et a subi des pertes encore plus importantes : plus de 1 600 militaires, 28 chars, dont 8 Léopards et 3 chars à roues AMX-10, 136 unités d’autres équipements militaires, dont 79 étrangers », a précisé le ministre. Si vous ne croyez pas ses chiffres, il a des photos et des vidéos pour les prouver.

À ce stade, les sources ukrainiennes se sont tues sur la question de leur « contre-offensive » promise depuis longtemps – la grande offensive pour « libérer » les terres historiquement russes de Novorossiya et de Crimée – et ont depuis lors continué à cacher leurs pertes tout en proclamant la victoire dans la « libération » de plusieurs petits villages détruits, perdus quelque part dans la zone grise entre les lignes de front russes et ukrainiennes. Nous ne devrions rien attendre d’autre d’eux : ils gagnent, lentement mais sûrement, par définition, alors donnez-leur plus d’armes et plus d’argent. Mais le même jour, le New York Times rapportait que « Kiev » avait commencé sa contre-offensive, selon des responsables américains, sur la base d’informations provenant de satellites militaires américains, qui montraient un certain mouvement des troupes ukrainiennes.

Il est à noter que certains des équipements occidentaux les plus avancés ont été détruits ; en particulier, les véhicules de combat d’infanterie américains Bradley étaient de la version M2A2 ODS-SA de 2003, et les chars Leopard 2 étaient de la version 2A6, la deuxième plus récente. Selon le projet analytique occidental ORYX, la 47e brigade de l’armée ukrainienne a perdu sept chars Leopard 2 et 17 véhicules de combat d’infanterie Bradley en seulement cinq jours. Cela représente environ la moitié de tous les Leopard 2 modifiés « 2A6 » et environ 15 % des véhicules de combat d’infanterie Bradley que l’Ukraine avait reçus.

Il convient également de noter que la plupart des victimes ukrainiennes faisaient partie des troupes les plus motivées, armées et entraînées selon les normes de l’OTAN. Et les pertes sur la ligne de front ne représentent qu’une fraction du total, le reste étant causé par les attaques de roquettes et d’artillerie russes sur l’arrière de l’Ukraine, le tout s’élevant à bien plus de 7 000 depuis le début du mois de juin. Hier, lors d’une séance de questions-réponses de trois heures avec des correspondants de guerre, Poutine a détaillé ces pertes : le rapport entre les pertes ukrainiennes et russes est de 10:1 ; le taux de mortalité est de 25 à 30 % du côté russe et de 50 % du côté ukrainien.

Une grande partie de ce qui reste de l’armée ukrainienne fait partie de l’ancien héritage militaire soviétique, mais sans l’artillerie et les blindés suffisants et sans les lignes d’approvisionnement russes. Si les troupes de choc entraînées par l’OTAN ne peuvent pas atteindre les lignes russes, qu’en est-il de ces infortunés qui profitent de chaque occasion pour tendre un chiffon blanc et se rendre, et qui, lorsqu’ils sont chargés d’enterrer des mines terrestres, laissent des notes sur celles-ci à l’intention des sapeurs russes qui doivent ensuite les déterrer : « Frères, nous sommes les mêmes que vous, ne nous battons pas ! » Bien sûr, certaines mines terrestres sont ornées de croix gammées, d’où la nécessité d’une « dénazification ».

Alors, quel était le but de tout ce carnage gratuit ? Selon des responsables américains, l’objectif principal des forces armées ukrainiennes est de couper le « pont terrestre » reliant la Russie à ses forces en Crimée, en ne laissant que le pont du détroit de Kertch et le service de ferry vers le continent. Tout tourne autour de la Crimée : les États-Unis aimeraient y installer une base navale de l’OTAN et si chaque Ukrainien doit mourir pour que cela soit possible, qu’il en soit ainsi.

Mais les responsables américains ne sont pas assez honnêtes pour le dire ouvertement. « Le succès de la contre-offensive aura deux conséquences : il renforcera la position de l’Ukraine à toute table de négociation et il rapprochera la probabilité que la Russie se concentre enfin sur des négociations visant à mettre fin au conflit », a déclaré le secrétaire d’État américain Anthony Blinken le 12 juin. Blinken n’a pas indiqué quels seraient les conséquences en cas d’échec de la contre-offensive, probablement parce qu’il n’y aura pas de conséquences dignes d’être mentionnés.

Par ailleurs, la Russie se concentre déjà sur les négociations, et ce depuis avant le début de l’opération militaire spéciale. Ses exigences ont été formulées en novembre 2021 : Les troupes de l’OTAN doivent se retirer sur leurs positions de 1997, l’Europe de l’Est restant militairement neutre, conformément à un accord antérieur. Il n’y a pas lieu de discuter d’autre chose, car à quoi servirait-il de conclure de nouveaux accords si l’Occident ne respecte pas les promesses qu’il a déjà faites ?

En ce qui concerne l’Ukraine, les exigences de démilitarisation et de dénazification complètes sont toujours d’actualité. Outre les cinq régions anciennement ukrainiennes qui font déjà (à nouveau) partie de la Russie, l’idée actuelle est que l’Ukraine doit céder trois autres provinces russes : Kharkov, Nikolaev et Odessa. Oh, et elle doit être prête à organiser des référendums sur l’indépendance vis-à-vis du régime de Kiev et sur l’adhésion à la Fédération de Russie dans certaines des autres. Nous pouvons voir où cela nous mène : le siège du gouvernement du régime de Kiev sera déplacé de Kiev à Lvov, puis Lvov pourra être rebaptisée de Lviv à Lwów, qui retournera en Pologne, et l’ancienne République socialiste soviétique d’Ukraine, cette chimère impie concoctée par Lénine et Staline, sera alors complètement désoviétisée.

Pour en revenir au rêve américain d’une base navale de l’OTAN à Sébastopol, en Crimée, d’où elle contrôlerait toute la mer Noire et couperait l’accès de la Russie à la Méditerranée… l’idée que la Russie céderait la Crimée si l’Ukraine parvenait à couper le « pont terrestre » est fantaisiste : La Crimée a passé huit ans au sein de la Fédération de Russie sans ce pont terrestre et quatre ans sans le pont de Kertch, ravitaillant la péninsule de Crimée à l’aide de ferries. Priver la Crimée de l’eau du Dniepr, comme l’a fait récemment (à nouveau) le régime de Kiev en faisant sauter le barrage de Kakhovskaya, n’est pas non plus susceptible de faire l’affaire : La Crimée a tenu huit ans sans cette eau. Mais apparemment, c’est trop de choses à se rappeler pour les fonctionnaires américains qui ont du mal à se souvenir du week-end dernier.

Revenons brièvement sur le fait que le sacrifice par l’Ukraine de ses meilleurs éléments ne lui a même pas permis d’atteindre la première ligne de défense russe. Selon la doctrine militaire russe, l’objectif de la première ligne de défense n’est pas d’arrêter les troupes attaquantes, mais de les affaiblir, de les ralentir et de les épuiser, puis, en fonction de la situation, de participer à des attaques de flanc ou de battre en retraite. La défense étagée est conçue pour résister à une force ennemie pénétrant jusqu’à 35 km, puis couper son ravitaillement, l’encercler et la détruire. De ce point de vue, la « contre-attaque » a été jusqu’à présent totalement inefficace : ils sont sortis, ils ont brûlé et saigné, puis ils sont rentrés chez eux.

Enfin, qu’en est-il des normes de l’OTAN, des armes et de l’entraînement de l’OTAN ? Le blindage brûle vraiment bien et certains Léopards ont brûlé avant d’avoir tiré un seul obus. L’entraînement a conduit les Ukrainiens à attaquer sur un champ de mines, en suivant en file indienne un Léopard équipé d’une charrue censée balayer toutes les mines sur son passage. Les Russes n’avaient plus qu’à attendre que l’ensemble du train de blindés très coûteux atteigne le milieu du champ, puis à éliminer le Léopard de tête équipé d’une charrue. La seule option qui s’offrait alors à l’ensemble de la colonne blindée était de contourner la charrue et de tenter sa chance en roulant sur le champ de mines. Par malchance, un autre char explose presque immédiatement, puis un troisième…

Certains équipages s’abritèrent entre les chars explosés pour éviter d’être touchés, mais cela ne servit pas longtemps. Certains équipages ont abandonné leurs chars avec les moteurs en marche et tenté de se replier à pied. De nombreux Bradley dégorgaient leurs troupes, puis battaient en retraite, laissant les troupes bloquées. Le seul Bradley qui a pris la peine de s’arrêter pour récupérer des troupes s’est retrouvé tellement chargé qu’un soldat a tout simplement été jeté à l’extérieur – les Russes filmant tout l’événement et secouant lentement la tête en signe de stupéfaction. Enfin, certaines des troupes qui ont réussi à rejoindre leurs propres lignes à pied ont été fauchées par des « tirs amis » provenant de leur propre camp. Face à tout cela, la réaction russe ne pouvait être que : « Plus d’armes et d’entraînement de l’OTAN pour les Ukrainiens, s’il vous plaît ! ».

Qu’en est-il de la « contre-offensive » ? Des événements comme celui-ci continueront à se produire, avec des variations, parce qu’il le faut : si les Ukrainiens ne font pas au moins semblant de contre-attaquer, les États-Unis/l’OTAN ne continueront pas à les armer. Mais ils cesseront de les armer de toute façon, parce que toutes les armes sont maintenant en rupture de stock partout. Les pluies d’automne finiront par s’installer et les blindés de l’OTAN, s’ils survivent jusque-là, ayant été conçus pour des climats plus ensoleillés, s’enliseront dans la boue profonde, dense, noire et extraordinairement fertile qui fait la renommée de la région.

Entre-temps, le régime de Kiev poursuivra son terrorisme, dont les médias occidentaux éviteront soigneusement de parler. Il reste encore beaucoup d’écoles, de maternités, de centres commerciaux, de cliniques et d’immeubles russes à la portée des roquettes et de l’artillerie ukrainiennes et, contrairement aux cibles militaires russes, aucun d’entre eux ne riposte. De plus, l’Occident continue de fournir aux Ukrainiens des armes qui pénètrent de plus en plus loin dans le territoire russe. Le terrorisme est peut-être plus sûr que la « contre-offensive« , mais les terroristes mourront eux aussi. À l’heure actuelle, les Russes sont remplis d’une fureur froide et calculatrice, ils compilent des dossiers et ouvrent des procédures pénales contre les terroristes, et leur vengeance sera certainement servie, à la russe, froide comme de la glace.

Dmitry Orlov

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Le livre de Dmitry Orlov est l’un des ouvrages fondateurs de cette nouvelle « discipline » que l’on nomme aujourd’hui : « collapsologie » c’est à-dire l’étude de l’effondrement des sociétés ou des civilisations.

Il vient d’être réédité aux éditions Cultures & Racines.

Il vient aussi de publier son dernier livre, The Arctic Fox Cometh.

Traduit par Hervé, relu par Wayan, pour le Saker Francophone

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