Première réunion officieuse du Conseil d’administration de la B.R.I. , à Bâle, avril 1930
» Le club le plus exclusif au monde a dix-huit membres. Ils se réunissent tous les deux mois, le dimanche soir, à 19 heures, dans la salle de conférence E d’une tour circulaire dont les fenêtres teintées donnent sur la gare centrale de Bâle. Leur discussion dure une heure, peut-être une heure et demie. Certains de ceux qui sont présents ont emmené un collègue avec eux, mais les aides parlent rarement au cours de ce conclave des plus confidentiels. La réunion se termine, les aides partent, et ceux qui restent se retirent pour le dîner dans la salle à manger du dix-huitième étage, à juste titre assurés que la nourriture et le vin seront superbes. Le repas, qui se poursuit jusqu’à 23 heures ou minuit, constitue le moment où le travail est réellement effectué. Le protocole et l’hospitalité, rodés depuis plus de huit décennies, sont irréprochables. Tout ce qui se dit à la table de la salle à manger, bien entendu, ne sera pas répété ailleurs.
Peu, sinon aucune, de ces personnes jouissant de leur haute cuisine et de leurs grands crus – parmi les meilleurs que la Suisse peut offrir – ne seraient reconnues par les passants, mais ils comprennent un bonne partie des personnes les plus puissantes du monde. Ces hommes – ils sont presque tous des hommes – sont banquiers centraux. Ils sont venus à Bâle pour assister au Comité consultatif économique (CCE) de la Banque des règlements internationaux (BRI), qui est la banque des banques centrales. Ses membres actuels (en 2013) incluent Ben Bernanke, le président de la Réserve fédérale américaine; Sir Mervyn King, le gouverneur de la Banque d’Angleterre; Mario Draghi, de la Banque centrale européenne; Zhou Xiaochuan de la Banque de Chine; et les gouverneurs des banques centrales de l’Allemagne, la France (Christian Noyer, aujourd’hui Président du Conseil d’administration de la BRI – Note du traducteur), l’Italie, la Suède, le Canada, l’Inde et le Brésil. Jaime Caruana, un ancien gouverneur de la Banque d’Espagne, le Directeur Général de la BRI, se joint à eux. – http://www.bis.org/about/orggov.htm
Au début de 2013, lorsque ce livre était sous presse, M. King, qui devait démissionner en tant que gouverneur de la Banque d’Angleterre en juin 2013, préside le CCE. Le CCE, plus connu comme la réunion des gouverneurs du G-10, est la plus influente des nombreuses réunions de la BRI, ouverte seulement à un petit groupe sélect, des banquiers centraux des pays économiquement avancés. Le CCE fait des recommandations sur la composition et l’organisation des trois comités de la BRI qui traitent avec le système financier mondial, les systèmes de paiement, et les marchés internationaux. Le comité prépare également des propositions pour la Réunion économie mondiale et guide son ordre du jour.
Cette réunion commence à 09h30, le lundi matin, dans la salle B et dure trois heures. Ici M. King préside les gouverneurs des banques centrales des trente pays jugés les plus importants pour l’économie mondiale. En plus de ceux qui étaient présents au dîner du dimanche soir, la réunion de lundi sera composée de représentants provenant, par exemple, d’Indonésie, de Pologne, d’Afrique du Sud, d’Espagne et de Turquie. Les gouverneurs de quinze petits pays, comme la Hongrie, Israël et la Nouvelle-Zélande sont autorisés à s’asseoir en tant qu’observateurs, mais ne prennent habituellement pas la parole. Les gouverneurs du dernier tiers des banques membres, comme la Macédoine et la Slovaquie, ne sont pas autorisés à y assister. Au contraire, ils doivent chercher des bribes d’informations à la pause-café et au repas.
Les soixante gouverneurs de toutes les banques membres de la BRI bénéficient ensuite d’un déjeuner-buffet dans la salle à manger du dix-huitième étage. Conçue par Herzog & de Meuron, le cabinet d’architecture suisse qui a construit le stade Nid d’oiseau pour les Jeux olympiques de Pékin, la salle à manger a des murs blancs, un plafond noir et des vues spectaculaires sur trois pays: la Suisse, la France et l’Allemagne. À 14 heures les banquiers centraux et leurs collaborateurs reviennent à la salle B pour la réunion des gouverneurs pour discuter des questions d’intérêt, jusqu’à la fin de la réunion, à 17 heures.
M. King adopte une approche très différente de celle de son prédécesseur, Jean-Claude Trichet, l’ancien président de la Banque centrale européenne, à la présidence de l’Assemblée Économie Mondiale. Trichet, selon un ancien banquier central, était remarquablement gaulois dans son style: à cheval sur le protocole qui veut que les banquiers centraux parlent par ordre d’importance, en commençant par les gouverneurs de la Réserve Fédérale, la Banque d’Angleterre et la Bundesbank (banque centrale allemande – NdT), jusqu’en bas de la hiérarchie. King, en revanche, adopte une approche plus thématique et égalitaire: en ouvrant les réunions de discussion et invitant les contributions de toutes les personnes présentes.
Les conclaves des gouverneurs ont joué un rôle crucial dans la détermination de la réponse du monde à la crise financière mondiale. «La BRI a été un point de rencontre très important pour les banquiers centraux pendant la crise, et la justification de son existence a grandi, a déclaré M. King. Nous avons dû faire face à des défis que nous n’avions jamais rencontré auparavant. Nous avons dû comprendre ce qui se passait, travailler à propos des instruments que nous devrions utiliser lorsque les taux d’intérêt seraient proches de zéro, comment nous communiquerions la politique. Nous en discutons avec le personnel de nos banques centrales, mais il est très important pour les gouverneurs eux-mêmes de se réunir et de parler entre eux.»
Ces discussions, disent les banquiers centraux, doivent être confidentielles . «Lorsque vous êtes au sommet, au poste numéro un, vous pouvez parfois vous sentir seul. King poursuit, Il est utile de pouvoir rencontrer ses pairs et demander: «Ceci est mon problème, comment le géreriez-vous ? ». Être capable de parler de façon informelle et ouvertement de nos expériences a été d’une valeur inestimable. Nous ne parlons pas dans un forum public. Nous pouvons dire ce que nous pensons et croyons vraiment, et nous pouvons poser des questions et bénéficier les uns des autres.»
Les équipes de la BRI travaillent dur pour s’assurer que l’ambiance soit conviviale et chaleureuse tout au long du week-end, et il semble qu’ils y parviennent. La banque organise une flotte de limousines pour ramasser les gouverneurs à l’aéroport de Zurich et les amener à Bâle. Différents petits-déjeuners, déjeuners et dîners sont organisés pour les gouverneurs des banques nationales qui supervisent différents types et tailles d’économies nationales, afin que personne ne se sente exclu. «Les banquiers centraux sont plus à l’aise et détendus avec leurs pairs qu’avec leurs propres gouvernements», a rappelé Paul Volcker, l’ancien président de la Réserve fédérale américaine, qui a assisté à ce week-end à Bâle. La superbe qualité de la nourriture et du vin participe à l’esprit de camaraderie, a déclaré Peter Akos Bod, un ancien gouverneur de la Banque nationale de Hongrie. «Les principaux sujets de discussion étaient la qualité du vin et la stupidité des ministres des Finances. Si vous n’aviez pas connaissance du vin vous ne pouviez pas participer à la conversation.»
Et la conversation est généralement stimulante et agréable, disent les banquiers centraux. Le contraste entre les réunions du Federal Open Markets Committee (FOMC) à la Réserve fédérale américaine et les dîners du dimanche soir des gouverneurs du G-10 est marquant, rappelle Laurence Meyer, qui a servi en tant que membre du Conseil des gouverneurs de la Réserve fédérale de 1996 à 2002. Le président de la Réserve fédérale ne représente pas toujours la Banque au cours des réunions de Bâle, et L. Meyer y a occasionnellement assisté. Les discussions de la BRI sont toujours animées, ciblées et appellent à la réflexion. «Lors des réunions FOMC, alors que j’étais à la Fed, presque tous les membres du Comité lisaient des déclarations qui avaient été préparées à l’avance. Ils faisaient très rarement référence à des déclarations d’autres membres du Comité et il n’y avait presque jamais d’échange ou de discussion entre deux membres à propos des perspectives ou des options politiques. Aux dîners de la BRI, les gens parlent effectivement aux autres et les discussions sont toujours stimulantes, interactives et axées sur les problèmes graves auxquels est confrontée l’économie mondiale.»
Tous les gouverneurs présents à la réunion de deux jours sont assurés d’une totale confidentialité, discrétion, et des plus hauts niveaux de sécurité . Les réunions ont lieu sur plusieurs étages qui ne sont habituellement utilisés que lorsque les gouverneurs sont présents. On fournit aux gouverneurs un bureau dédié, le soutien nécessaire et le personnel de secrétariat. Les autorités suisses n’ont pas de compétences juridiques sur les locaux de la BRI. Fondée par un traité international, et en outre protégée par le Headquarters Agreement de 1987 avec le gouvernement suisse, la BRI bénéficie des protections similaires à celles accordées au siège de l’Organisation des Nations unies, du Fonds monétaire international (FMI) et des ambassades diplomatiques. Les autorités suisses ont besoin de l’autorisation de la direction de la BRI pour entrer dans les bâtiments de la banque, qui sont décrits comme «inviolables».
La BRI a le droit de chiffrer ses communications et d’envoyer et de recevoir de la correspondance dans des sacs couverts par la même protection que celle des ambassades, ce qui signifie qu’ils ne peuvent pas être ouverts. La BRI est exonérée d’impôts suisses. Ses employés n’ont pas à payer d’impôt sur leurs salaires, qui sont généralement conséquents, conçus pour rivaliser avec le secteur privé. Le salaire du manager général en 2011 était de 763 930 francs suisses, tandis que les responsables de départements ont été payés 587 640 francs par an, plus de grasses allocations. Les privilèges juridiques extraordinaires de la banque s’étendent également à son personnel et aux administrateurs. Les cadres supérieurs bénéficient d’un statut spécial, similaire à celui des diplomates, dans l’exercice de leurs fonctions en Suisse, ce qui signifie que leurs sacs ne peuvent pas être fouillés (sauf s’il existe des preuves d’un acte criminel flagrant), et leurs papiers sont inviolables. Les gouverneurs des banques centrales se rendant à Bâle pour les réunions bimensuelles jouissent du même statut partout en Suisse. Tous les responsables de la banque sont à l’abri du droit suisse, pour la vie, pour tous les actes accomplis dans l’exercice de leurs fonctions. La banque est un endroit populaire pour travailler et pas seulement à cause des salaires. Environ six cents employés proviennent de plus de cinquante pays. L’atmosphère est multi-nationale et cosmopolite, bien que très suisse, soulignant la hiérarchie de la banque. Comme beaucoup de ceux qui travaillent pour l’ONU ou le FMI, une partie du personnel de la BRI, en particulier la haute direction, est motivée par un sens de la mission, et considèrent qu’ils travaillent pour un même but céleste plus élevé et sont donc à l’abri de considérations normales de responsabilité et de transparence.
La direction de la banque a essayé de prévoir toutes les éventualités afin que l’on ait jamais besoin de faire appel à la police suisse. Le siège de la BRI dispose de systèmes de sprinklers (gicleurs anti-incendie, NdT) de haute technologie redondants, des installations médicales internes, et son propre abri anti-bombes dans le cas d’une attaque terroriste ou d’un conflit armé. Les actifs de la BRI ne sont pas soumis à des poursuites civiles en vertu du droit suisse et ne peuvent jamais être saisis.
La BRI garde strictement le secret des banquiers. Les minutes, les ordres du jour et la liste de présence effective de la Réunion Économie Mondiale ou de l’ECC ne sont diffusées sous aucune forme. C’est parce qu’aucune minute officielle n’est conservée, même si les banquiers griffonnent parfois leurs propres notes. Parfois, il y aura une brève conférence de presse ou une déclaration approximative, mais jamais rien de détaillé. Cette tradition de confidentialité privilégiée remonte à la fondation de la banque.
«Le calme de Bâle et son caractère absolument apolitique offrent un cadre parfait pour les réunions calmes et non politiques», écrit un responsable américain en 1935. «La régularité des réunions et la participation presque ininterrompue de pratiquement tous les membres du conseil d’administration ne déclenche que rarement un mince entrefilet dans la presse.» Quarante ans plus tard, peu de choses ont changé. Charles Coombs, un ancien chef de change de la Réserve fédérale de New York, a assisté à des réunions de 1960 à 1975. Les banquiers qui ont été autorisés au sein des réunions à l’intérieur du sanctuaire des gouverneurs s’accordaient mutuellement une confiance absolue, a-t-il rappelé dans ses mémoires. «Peu importe la quantité d’argent impliquée, aucun accord ou protocole d’entente n’ont jamais été signés ou initialisés. La parole de chaque fonctionnaire était suffisante, et il n’y a jamais eu de déceptions .»
En quoi cela nous concerne-t-il, nous-autres ? Les banquiers se rencontrent de manière confidentielle depuis que l’argent a été inventé. Les banquiers centraux aiment à se considérer comme les grands prêtres de la finance, comme des technocrates supervisant les rituels ésotériques monétaires et une liturgie financière comprise par une petite élite auto-proclamée.
Mais les gouverneurs qui se réunissent à Bâle tous les deux mois sont des fonctionnaires. Leurs salaires, billets d’avion, factures d’hôtel, et généreuses retraites sont payés sur les deniers publics. Les réserves nationales détenues par les banques centrales sont de l’argent public, la richesse des nations. Les discussions des banquiers centraux à la BRI, les informations qu’ils partagent, les politiques qui sont évaluées, les opinions qui sont échangés, et les décisions ultérieures qui sont prises, sont profondément politiques. Les banquiers centraux, dont l’indépendance est protégée par la Constitution, contrôlent la politique monétaire dans le monde développé. Ils gèrent l’offre de monnaie pour les économies nationales. Ils fixent les taux d’intérêt, décidant ainsi de la valeur de nos économies et les investissements. Ils décident de se concentrer sur l’austérité ou la croissance. Leurs décisions façonnent nos vies.
La tradition du secret de la BRI remonte à des décennies. Pendant les années 1960, par exemple, la banque a accueilli le London Gold Pool. Huit pays se sont engagés à manipuler le marché de l’or afin de maintenir le prix du métal précieux à environ trente-cinq dollars l’once , en accord avec les dispositions des Accord de Bretton Woods qui régissaient le système financier international après la Seconde Guerre mondiale. Bien que le London Gold Pool n’existe plus, son successeur est le Comité des marchés de la BRI, qui se réunit tous les deux mois à l’occasion de la réunion des gouverneurs pour discuter des tendances du marché. Les fonctionnaires de vingt et une banques centrales sont présents. Le comité publie occasionnellement quelques documents, mais son ordre du jour et les discussions restent secrètes.
Aujourd’hui, les pays représentés lors des réunions Économie Mondiale représentent ensemble près des quatre cinquièmes du produit intérieur brut (PIB) mondial – la plus grosse partie de la richesse produite dans le monde selon les propres statistiques de la BRI. Les banquiers centraux désormais «semblent plus puissant que les politiciens, écrit le journal The Economist, tenant le destin de l’économie mondiale entre leurs mains.» Comment est-ce arrivé ? La BRI, institution financière la plus secrète du monde, ne peut s’en accorder seule le mérite. Dès son premier jour d’existence, la BRI s’est consacrée à promouvoir les intérêts des banques centrales et la construction de la nouvelle architecture de la finance internationale. Ce faisant, elle a donné naissance à une nouvelle classe très unie de technocrates mondiaux dont les membres naviguent entre des postes hautement rémunérés à la BRI, au FMI et au sein des banques centrales et commerciales.
Le fondateur de la cabale des technocrates est Per Jacobssen, l’économiste suédois qui a servi comme conseiller économique de la BRI de 1931 à 1956. Le titre discret contredisait sa puissance et ses relations. Très influent, bien connecté, et très apprécié par ses pairs, Jacobssen a écrit les premiers rapports annuels de la BRI, qui étaient et restent des lectures essentielles au sein de l’univers de la finance. Jacobssen était un des premiers partisans du fédéralisme européen. Il s’est battu sans relâche contre l’inflation, les dépenses publiques excessives, et l’intervention de l’État dans l’économie. Jacobssen quitté la BRI en 1956 pour prendre en charge le FMI. Son héritage façonne toujours notre monde. Les conséquences de son mélange de libéralisme économique, d’obsession pour le contrôle des prix, et de démantèlement de la souveraineté nationale s’affichent tous les soirs dans les bulletins d’information européens de nos écrans de télévision.
Les partisans de la BRI nient que l’organisation est secrète. Les archives de la banque sont ouvertes et les chercheurs peuvent consulter la plupart des documents qui datent de plus de trente ans. Les archivistes de la BRI sont en effet chaleureux, serviables et professionnels. Le site Web de la banque comprend tous ses rapports annuels, qui sont téléchargeables, ainsi que de nombreux documents d’orientation produits par le département de recherche très apprécié de la banque. La BRI publie des comptes-rendus détaillés des marchés des valeurs mobilières et dérivés, et les statistiques bancaires internationales. Mais ce sont surtout des compilations et des analyses des informations déjà dans le domaine public. Les détails des propres activités de base de la banque, y compris une grande partie de ses activités bancaires pour ses clients, des banques centrales et des organisations internationales, restent secrets. Les Réunions Économie Mondiale et les autres rassemblements financiers cruciaux qui ont lieu à Bâle, tels que le Comité des marchés, restent fermés aux étrangers. Les particuliers ne peuvent pas détenir de compte à la BRI, sauf s’ils travaillent pour la banque. L’opacité de la banque, le fait qu’elle n’ait aucun compte à rendre, et son influence toujours croissante soulèvent de profondes questions – pas seulement à propos des politiques monétaires, mais également concernant la transparence, la responsabilité et comment le pouvoir s’exerce dans nos démocraties.
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Quand j’ai expliqué à des amis et connaissances que j’écrivais un livre sur la Banque des règlements internationaux, la réponse habituelle était un regard perplexe, suivie par une question: «La banque de quoi ?» Mes interlocuteurs étaient des gens intelligents, qui suivent l’actualité. Beaucoup avaient un certain intérêt et une certaine compréhension de l’économie mondiale et de la crise financière. Pourtant, seule une poignée d’entre eux avait entendu parler de la BRI. Étrange, puisque la BRI est la banque la plus importante dans le monde et précède à la fois le FMI et la Banque mondiale. Pendant des décennies, elle s’est tenue au centre d’un réseau mondial d’argent, de pouvoir et d’influence secrète.
La BRI a été fondée en 1930. Elle a été ostensiblement mise en place dans le cadre du plan Young pour administrer le paiement des dettes de guerre allemandes à titre de réparations pour la Première Guerre mondiale. Les principaux architectes de la banque étaient Montagu Norman, qui était le gouverneur de la Banque d’Angleterre, et Hjalmar Schacht, le président de la Reichsbank qui a décrit la BRI comme «sa» banque. Les membres fondateurs de la BRI ont été les banques centrales de Grande-Bretagne, France, Allemagne, Italie, Belgique, et un consortium de banques japonaises. Des parts en actions ont été également proposées à la Réserve fédérale, mais les Etats-Unis, soupçonneux de tout ce qui pourrait porter atteinte à leur souveraineté nationale, les ont refusées. Au lieu de cela, un consortium de banques commerciales s’en est emparé: JP Morgan, la First National Bank de New York, et la First National Bank of Chicago.
Le but réel de la BRI a été détaillé dans ses statuts: «Promouvoir la coopération des banques centrales et fournir des installations supplémentaires pour les opérations financières internationales.» Elle a constitué la concrétisation du rêve, de plusieurs décennies, des banquiers centraux, d’avoir leur propre pouvoir bancaire, indépendant et libre des interférences des politiciens et de ces fouines de journalistes. Cerise sur le gâteau, la BRI est auto-suffisante financièrement et le sera à perpétuité. Ses clients étaient ses propres fondateurs et actionnaires – les banques centrales. Durant les années 1930, la BRI était le lieu de rencontre central pour une cabale des banquiers centraux, dominé par Norman et Schacht. Ce groupe a aidé à reconstruire l’Allemagne. Le New York Times décrit Schacht, largement reconnu comme le génie derrière l’économie allemande renaissante, comme «la volonté de fer qui pilote la Finance nazie». Pendant la guerre, la BRI est devenu un bras de facto de la Reichsbank, acceptant l’or pillé par les nazis et réalisant des opérations de change pour l’Allemagne nazie.
L’alliance de la banque avec Berlin était connue à Washington-DC, ainsi qu’à Londres. Mais la nécessité pour la BRI de continuer à fonctionner, de garder les nouveaux canaux de financement internationaux ouverts, était à peu près la seule chose à propos de laquelle toutes les parties étaient d’accord. Bâle était l’endroit idéal, car perché sur la frontière nord de la Suisse et se trouvant presque sur les frontières française et allemande. A quelques kilomètres de là, les militaires nazis et les alliés se battaient et mouraient. Rien de tout cela n’importait à la BRI. Les réunions du Conseil avaient été suspendues, mais les relations entre le personnel de la BRI des nations belligérantes sont restées cordiales, professionnelles et productives. Leur nationalité importait peu. Leur loyauté primordiale allait à la finance internationale. Le Président, Thomas McKittrick, était américain. Roger Auboin, le directeur général, était français. Paul Hechler, le directeur général adjoint, était un membre du parti nazi et signait sa correspondance Heil Hitler. Rafaelle Pilotti, le secrétaire général, était italien. Per Jacobssen, conseiller économique influent de la banque, était suédois. Son adjoint et celui de Pilotti étaient britanniques.
Après 1945, cinq administrateurs de la BRI, y compris Hjalmar Schacht, ont été accusés de crimes de guerre. L’Allemagne a perdu la guerre, mais a remporté la paix économique, en grande partie grâce à la BRI. L’envergure internationale, les contacts, les réseaux bancaires, et la BRI a fourni sa légitimité, d’abord à la Reichsbank, puis à ses banques successeur, et ainsi contribué à assurer la continuité d’intérêts financiers et économiques extrêmement puissants de l’époque nazie à nos jours.
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Pendant les quarante-sept premières années de son existence, de 1930 à 1977, la BRI se trouvait dans un ancien hôtel, près de la gare centrale de Bâle. L’entrée de la banque était cachée par une boutique de chocolat, et seul un petit panneau confirmait que la porte étroite s’ouvrait sur la BRI. Les dirigeants de la banque estimaient que ceux qui avait besoin de savoir où la BRI était, trouveraient, et que le reste du monde n’avait certainement pas besoin de savoir. L’intérieur du bâtiment a peu changé au fil des décennies, a rappelé Charles Coombs. La BRI a fourni les «hébergements spartiates d’un ancien hôtel de style victorien dont les chambres simples et doubles avaient été transformées en bureaux simplement en enlevant les lits et en installant des bureaux.»
La banque a emménagé dans son siège actuel, au 2, Zentralbahnplatz, en 1977. Elle n’a pas été loin et donne maintenant sur la gare centrale de Bâle. Aujourd’hui la mission principale de la BRI, selon ses propres mots, est triple : «Servir les banques centrales dans leur quête de stabilité monétaire et financière, favoriser la coopération internationale dans ces domaines, et agir comme une banque pour les banques centrales.» La BRI est également l’hôte d’une grande partie de l’infrastructure technique et pratique dont le réseau mondial de banques centrales et leurs homologues commerciaux ont besoin pour bien fonctionner. Elle détient deux salles de marché connectées entre elles : au siège de Bâle et au bureau régional de Hong Kong. La BRI achète et vend de l’or et des devises pour ses clients. Elle assure la gestion de l’actif et fournit du crédit à court terme aux banques centrales en cas de besoin.
La BRI est une institution unique: une organisation internationale, une banque très rentable et un institut de recherche fondés et protégés par des traités internationaux. La BRI est responsable envers ses clients et ses actionnaires – les banques centrales, mais oriente également leurs opérations. Les principales tâches d’une banque centrale, déclare la BRI, sont de contrôler le flux du crédit et le volume de la monnaie en circulation, ce qui contribuera à assurer un climat d’affaires stable et de gérer les taux de change pour assurer la valeur d’une monnaie et fluidifier les mouvements internationaux de marchandises et de capitaux. Ceci est crucial, en particulier dans une économie mondialisée, où les marchés réagissent en microsecondes et où la perception de la stabilité économique et de la valeur sont presque aussi importante que la réalité elle-même.
La BRI contribue également à surveiller les banques commerciales, même si elle n’a pas de pouvoirs juridiques sur elles. Le Comité de supervision bancaire de Bâle, basé à la BRI, réglemente les exigences de fonds propres et de liquidité des banques commerciales. Il impose aux banques d’avoir un capital minimum de huit pour cent des actifs risqués pondéré lorsqu’elles prêtent, ce qui signifie que si une banque a des actifs risqués pondérés de 100 millions de dollars, elle doit maintenir un capital d’au moins 8 millions de dollars. Le comité n’a pas de pouvoirs de police, mais il a une énorme autorité morale. «Ce règlement est si puissant que le principe de 8% a été fixé dans les législations nationales, a déclaré Peter Akos Bod. C’est comme la tension. La tension a été fixé à 220V. Vous pourriez décider de 95V, mais cela ne fonctionnerait pas.» En théorie, la gestion raisonnable et la coopération mutuelle, supervisées par la BRI, vont conserver le bon fonctionnement du système financier mondial. En théorie.
La réalité est que nous sommes passés au-delà de la récession dans une crise structurelle profonde, alimentée par la cupidité et la rapacité des banques, qui menace l’ensemble de notre sécurité financière. Tout comme dans les années1930, certains pays européens faisaient face à l’effondrement économique. La Bundesbank et la Banque centrale européenne, deux des membres les plus puissants de la BRI, ont initié le dogme austéritaire qui a déjà forcé un pays européen, la Grèce, au bord du gouffre, aidée par la vénalité et la corruption de la classe dirigeante du pays. D’autres pourraient bientôt suivre. L’ordre ancien grince, ses institutions politiques et financières se corrodent de l’intérieur. D’Oslo à Athènes, l’extrême droite est renaissante, alimentée en partie par la flambée de la pauvreté et du chômage. La colère et le cynisme corrodent la confiance des citoyens dans la démocratie et la primauté du droit. Une fois de plus, la valeur des biens et avoirs est vaporisée sous les yeux de leurs propriétaires. La monnaie européenne est menacé de dégradation, tandis que ceux qui ont de l’argent cherchent refuge dans les francs suisses ou l’or. Les jeunes, les doués et les mobiles à nouveau fuient leurs pays d’origine pour une nouvelle vie à l’étranger. Les puissantes forces du capital international qui ont donné vie à la BRI, et qui ont accordé à la banque son pouvoir et son influence, sont à nouveau triomphantes.
La BRI se trouve au sommet d’un système financier international qui tombe en lambeaux, mais ses fonctionnaires déclarent qu’il n’ont pas le pouvoir d’agir comme un régulateur financier international. Pourtant, la BRI ne peut pas échapper à sa responsabilité pour la crise en zone euro. Dès les premiers accords à la fin des années 1940 sur les paiements multilatéraux, à la mise en place de la Banque centrale européenne en 1998, la BRI a été au cœur du projet d’intégration européenne, fournissant une expertise technique et les mécanismes financiers pour l’harmonisation de la monnaie. Durant les années 1950, elle gérait la réunion des systèmes de paiement au sein de l’Union européenne, ce qui a internationalisé le système de paiement du continent. La BRI a accueilli le Comité des gouverneurs des banques centrales de la Communauté économique européenne, créé en 1964, qui a coordonné la politique monétaire transeuropéenne. Durant les années 1970, la BRI gérait le «serpent monétaire», le mécanisme de contrôle des changes des monnaies européennes. Pendant les années 1980, la BRI a accueilli le Comité Delors, dont le rapport établi en 1988 a ouvert le chemin de l’Union monétaire européenne et de l’adoption d’une monnaie unique. La BRI a mis au monde l’Institut monétaire européen (IME), le précurseur de la Banque centrale européenne. Le président de l’IME était Alexandre Lamfalussy, l’un des économistes les plus influents du monde, connu comme le «père de l’euro». Avant de rejoindre l’IME en 1994, Lamfalussy avait travaillé à la BRI pendant dix-sept ans, d’abord comme conseiller économique, puis comme directeur général de la banque.
Pour une organisation secrète guindée, la BRI s’est avérée étonnamment agile. Elle a survécu à la première dépression mondiale, la fin des paiements de réparations et de l’étalon-or (deux de ses principaux motifs d’existence), la montée du nazisme, la Seconde Guerre mondiale, l’Accord de Bretton Woods, la guerre froide, les crises financières des années 1980 et 1990, la naissance du FMI et de la Banque mondiale, et la fin du communisme. Comme l’a souligné Malcolm Knight, gestionnaire la période 2003-2008, «Il est encourageant de voir qu’en restant petit, souple et sans ingérence politique, la Banque a, tout au long de son histoire, remarquablement réussi à s’adapter à l’évolution des circonstances.»
La banque s’est érigée comme le pilier central du système financier mondial. En plus des Réunions Économie Mondiale, la BRI accueille quatre des comités internationaux les plus importants traitant de la banque mondiale: le Comité de supervision bancaire de Bâle, le Comité sur le système financier global, le Comité sur les systèmes financiers de paiement et de règlement, et le Comité Irving Fisher, qui s’occupe des statistiques des banques centrales. La banque accueille également trois organisations indépendantes: deux groupes s’occupant d’assurance et le Conseil de stabilité financière (CSF). Le FSB, qui coordonne les autorités financières nationales et les politiques de réglementation, est déjà désigné comme le quatrième pilier du système financier mondial, après la BRI, le FMI et les banques commerciales.
La BRI est maintenant titulaire du trentième rang mondial de réserves d’or, avec 119 tonnes métriques, soit plus que le Qatar, le Brésil ou le Canada. L’adhésion à la BRI reste un privilège et non un droit. Le Conseil d’administration est responsable de l’admission des banques centrales jugées «apporter une contribution substantielle à la coopération monétaire internationale et aux activités de la Banque». La Chine, l’Inde, la Russie et l’Arabie saoudite l’ont rejoint seulement en 1996. La banque a ouvert des bureaux à Mexico et à Hong Kong, mais reste très eurocentrée. L’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Macédoine, la Slovénie et la Slovaquie (population totale de 16,2 millions) ont été admises, au contraire du Pakistan (169 millions de population). Pas plus que le Kazakhstan, qui est un géant de l’Asie centrale. En Afrique, seules l’Algérie et l’Afrique du Sud sont membres – le Nigeria, qui possède la deuxième plus grande économie du continent, n’a pas été admis. (Les défenseurs de la BRI disent qu’elle exige des normes de nouveaux membres et lorsque les banques nationales de pays comme le Nigeria et le Pakistan atteindront ces normes, leurs candidatures seront à nouveau considérées.)
Considérant le rôle central de la BRI dans l’économie transnationale , sa discrétion est remarquable. En 1930 un journaliste du New-York Times a noté que la culture du secret à la BRI était si forte qu’il n’était pas autorisé à regarder à l’intérieur de la salle de réunion, même après que les administrateurs l’avaient quittée. Peu de choses ont changé. Les journalistes ne sont pas autorisés à l’intérieur du siège pendant la Réunion Économie Mondiale. Les fonctionnaires de la BRI parlent rarement ouvertement, et à contrecœur, aux membres de la presse. La stratégie semble fonctionner. Le mouvement Occupy Wall Street, les altermondialistes, les manifestants de réseaux sociaux ont ignoré la BRI. Zentralbahnplatz 2, à Bâle, est calme et tranquille. Il n’y a pas de manifestants rassemblés devant le siège de la BRI, aucun des manifestants n’ont campé dans le parc à proximité, aucun comité d’accueil animé pour les banquiers centraux du monde.
Alors que l’économie mondiale vacille de crise en crise, les institutions financières sont examinés comme jamais auparavant. Des légions de journalistes, blogueurs et journalistes d’investigation guettent le moindre mouvement des banques. Et pourtant, en dehors de brèves mentions dans les pages financières, la BRI a largement réussi à éviter un examen critique. Jusqu’à maintenant.
Traduit par Le Fractal de http://www.zerohedge.com/news/2015-04-11/meet-secretive-group-runs-world