Par Sputnik News – Le 28 septembre 2017 – Source Sputnik News
Pendant six ans, John Mark Dougan fut un officier du bureau du shérif du comté de Palm Beach. Témoin de l’énorme corruption, chantage et népotisme de la police du comté, il a démissionné et créé un site internet où les gens peuvent témoigner de l’inconduite de la police. En 2016, il est obligé de fuir vers la Russie par crainte pour sa vie. Voici son histoire.
Dougan a débuté sa carrière au bureau du shérif du comté de Palm Beach en 2002. Six ans plus tard, fin 2008, après avoir tenté de signaler un terrible scandale interne aux affaires intérieures, il a démissionné, sa soif de justice n’étant pas satisfaite.
« Il y avait un groupe de policiers ratissant les rues à la recherche de personnes issues des minorités pour les battre brutalement et publier leurs photos ensanglantées sur Facebook », où les officiers faisaient allusion au fait qu’elles venaient d’être battues, mais sans le dire directement, raconte Dougan.
« C’était vraiment terrible », se rappelle l’ancien policier. « J’ai copié leurs pages et les ai envoyées anonymement aux Affaires intérieures. Ils m’ont repéré et placé ce qu’on pourrait appeler une ‘grande cible’ dans le dos, ils ont cherché des alibis pour me virer. »
Note de l’éditeur : lorsque Sputnik News l’a contacté, le bureau du shérif du comté de Palm Beach a confirmé que John Mark Dougan avait effectivement été un employé du PBSO, mais n’a pas pu confirmer les dates exactes.
Dégoûté par le fait que les Affaires Intérieures s’en prenaient à lui au lieu de poursuivre les escrocs de son département, Dougan démissionna de la police. Peu de temps après, il lançait son site internet, PBSOTalk.com, un forum où l’on pouvait laisser des dénonciations anonymes sur la corruption et l’inconduite des forces de l’ordre de Floride.
L’ex-policier admet que la question de l’utilisation excessive de la force contre les minorités est un problème commun, et pas seulement dans le comté de Palm Beach. « Cela se passe souvent dans les forces de l’ordre étasuniennes », dit Dougan. « Je suis vraiment très surpris de voir à quel point les policiers sont calmes ici [en Russie]. Aux États-Unis, il semble qu’une fois que vous donnez l’autorité aux gens, cela leur monte à la tête et ils agissent comme des imbéciles, et cela se produit le plus souvent dans la police. »
Selon Dougan, il a commencé à se préoccuper de ces questions éthiques peu après avoir rejoint la police. « Le problème est incroyablement difficile à réguler. J’ai commencé à comprendre l’ampleur du problème peu de temps après être devenu flic. Mais le système ne sera jamais amélioré, parce que toute personne qui s’exprime est qualifiée de fauteur de troubles et ils cherchent alors une raison pour la virer. »
En plus, l’ancien agent de police souligne que la collusion entre la police et le système juridique pour couvrir les inconduites et s’en prendre aux lanceurs d’alerte est particulièrement virulent à Palm Beach.
Il est tellement corrompu qu’ils le surnomment le « Comté de la corruption ». Tout le monde octroie des faveurs à tout le monde ; tout le monde commet des crimes – je parle des dirigeants – et tout le monde couvre les crimes des autres. C’est comme si rien ne s’y passait.
Le prix de la dénonciation
Peu après avoir démarré son site Web, Dougan a été soumis à une enquête criminelle lancée par le Bureau du shérif.
« Ils voulaient savoir qui fournissait les informations diffusées sur mon site Web, les faits que nous révélions », se souvient le flic devenu lanceur d’alerte. Les informations divulguaient certains crimes majeurs exécutés par les forces de l’ordre. « Nous parlons d’agressions sexuelles étouffées, voire de meurtre, et tout était posté sur mon site », nous déclare M. Dougan.
La corruption touchait jusqu’au sommet, souligne-t-il. Des dénonciations postées sur son site Web ont amené Dougan à déterrer des informations dommageables pour le shérif du comté de Palm Beach, Ric Bradshaw, qui était impliqué dans l’utilisation de l’argent public pour arroser, dans de somptueux restaurants, des contributeurs de campagne, dont certains avait des liens avec le crime organisé,.
Le scandale a conduit la Commission d’éthique de Floride à enquêter sur cette question. Même si elle n’a retenu aucune charge contre Bradshaw, elle a quand même admis que sa conduite était « incompatible avec le bon comportement nécessaire à sa fonction publique ».
Un autre utilisateur du site de Dougan a posté une réprimande contre Bradshaw pour un acte commis avant qu’il ne devienne shérif et établie par l’ancien chef du département de police de West Palm Beach. La réprimande montre que Bradshaw avait été pris en flagrant délit de vol d’armes à feu dans la salle de stockage des pièces à conviction et a demandé aux détectives de falsifier des rapports pour incriminer les minorités de crimes commis. « C’est ce genre de gars qui a été élu shérif du comté de Palm Beach », se lamente Dougan.
Finalement, le bureau du shérif et ses puissants alliés se sont agacés de Dougan et de ses fuites gênantes pour eux.
« En 2015, un détective du bureau du shérif du comté de Palm Beach dont le nom est Mark Lewis a été autorisé par le shérif Bradshaw et le député en chef Michael Gauger à pénétrer mon courriel et mes comptes de médias sociaux », se souvient le lanceur d’alerte. « Je suis allé au FBI à ce sujet et le FBI a refusé de faire quoi que ce soit, parce que, eh bien ce sont des policiers, et les policiers peuvent faire tout ce qu’ils veulent aux États-Unis sans être tenus pour responsables. »
En colère, Dougan a décidé de réagir. « Mon point de vue était que si je n’avais pas droit à ma vie privée, ils n’avaient pas le droit à la leur et j’ai publié une liste de 14 000 agents du FBI et de la CIA et leurs dossiers confidentiels sur mon site », dit-il.
Très peu des informations déterrées personnellement par l’ex-policier ou par son site internet provoqueront des actions en justice contre les officiers et les fonctionnaires impliqués. Le FBI, par exemple, n’a pas pris de mesures parce que le shérif Bradshaw avait embauché le fils de l’agent du FBI chargé du bureau FBI de West Palm, estime Dougan.
« Et puis, bien sûr, j’ai des enregistrements audio sur mon site Web de ces gens qui se vantent, en disant qu’ils ont les juges dans leurs poches, parce qu’ils leur ont fait des faveurs politiques ».
Par exemple, si une personne attaque un juge, le Bureau du shérif commencera une enquête criminelle contre elle, afin de trouver des informations pour la discréditer. Cela permet de se mettre les juges dans la poche.
Des accusations de « collusion avec la Russie »
Dougan fait un premier voyage en Russie en 2012, pour y rencontrer une fille. Les policiers de Floride vont en profiter pour monter une histoire contre lui, l’accusant de collusion avec des membres de la mafia russe. « C’était leur excuse pour commencer une grave enquête contre moi », se rappelle l’ex-policier. « Bien sûr, ce n’était pas vrai. »
Sur un des enregistrements, un lieutenant du PBSO répète à Dougan ce que le député en chef Michael Gauger racontait au sujet d’une enquête criminelle illégale contre un homme qui avait gêné un juge.
« La personne qui me parle sur la bande est quelqu’un qui participait à l’enquête. C’est un récit de première main des dires de l’adjoint principal Michael Gauger. » nous explique Dougan.
L’homme aurait déclaré en audience publique que la juge ripostait contre lui parce qu’elle avait une liaison avec son rival politique. Le chef adjoint Gauger a lancé une enquête de deux ans afin de trouver une raison pour arrêter le suspect, a déclaré le lieutenant.
En 2015, Dougan a réussi à enregistrer sa conversation avec Lewis, le détective menant l’enquête sur lui, dans laquelle ce dernier admettait que son travail était d’essayer de diffamer le lanceur d’alerte.
L’histoire de la façon dont il a obtenu ces enregistrements est intéressante en elle même, selon Dougan.
« J’ai eu cette information d’une manière très comique. Le détective possédait aussi une entreprise de rénovation, j’ai donc utilisé un serveur russe et mis en place un logiciel PBX, afin de faire passer ma voix via une application de changement de voix via le serveur russe jusqu’à New York, puis la Floride. Ma voix ressemblait vraiment à celle d’une femme. J’ai appelé cet enquêteur, et j’ai dit que j’allais en Floride et que j’avais besoin que ma maison soit rénovée. Je l’ai bien chauffé. Il pensait parler à une fille bien chaude et riche, et il a commencé à raconter ses exploits. C’était incroyable. »
Témoignage de meurtre, suivi d’une saisie
Selon Dougan, c’est en 2015 que les choses ont vraiment commencé à devenir effrayantes.
Il se souvient d’un cas où un officier du PBSO a abattu un homme appelé Seth Adams :
« En 2012, un homme a été assassiné dans sa propriété par Michael Custer, un policier avec qui je travaillais. En 2015, je suis devenu témoin pour le plaignant, pour sa famille, témoignant que je connaissais Michael Custer, et qu’il avait une liaison avec la maitresse de maison… et qu’il allait la rencontrer chez le mari. Mais le département de police l’a couvert et a déclaré que [Custer] surveillait la propriété. C’était juste un horrible mensonge. »
C’est à ce moment-là que la police et le FBI ont commencé à suivre activement Dougan.
« Le bureau du shérif a embauché des enquêteurs pour suivre ma famille, ils ont chassé mon ex-femme et mes enfants dans leur voiture. Un an plus tard, [le 14 mars 2016], ils ont fait une perquisition dans ma maison et ont pris toutes mes affaires. Le FBI a commencé à me suivre. J’ai quitté ma maison et je suis descendu dans les Keys de Floride, je voulais y prendre un bateau pour me planquer à Cuba, mais j’ai vu que le FBI me suivait. Je les ai souvent vus me suivre. »
Note de l’éditeur : contacté par Sputnik, le bureau du shérif du comté de Palm Beach n’a pas confirmé que la filature avait eu lieu.
« Je savais que je devais me sortir de cet enfer »
Après que sa maison eut été perquisitionnée, Dougan savait qu’il devait s’enfuir du pays. Il s’est rendu compte que sa décision de publier les informations contenant les détails personnels sur le FBI et les officiels de la CIA signifiait qu’il serait confronté à 35 ans de prison pour des accusations d’espionnage. « Donc, à l’instant où ils sont entrés et ont pris mon ordinateur, je savais que je devais me sortir de là », nous dit-il.
Après avoir demandé à un ami de laisser une voiture pour lui dans un centre commercial local, Dougan est d’abord allé à la maison de sa mère, en portant une perruque et des lunettes de soleil pour aider à échapper à ses poursuivants. Puis après être sorti du centre commercial dans son véhicule d’emprunt, il s’est dirigé vers le nord, pour s’infiltrer au Canada.
Dougan craignait pour sa vie, à cause d’une conversation avec l’enquêteur Lewis. « Au cours de ces enregistrements (…) il a effectivement dit qu’ils cherchaient une raison de me mettre en prison et que je n’allais plus en sortir. Ils allaient essayer de me faire tuer ou quoi que ce soit d’autre. »
« Alors, je me suis enfui au Canada, à l’aéroport de Toronto, où j’ai pris un vol pour m’arracher de là bas. Je suis allé au Canada parce que je savais que je ne serais pas sur leur liste d’interdiction de vol, car elle n’est pas la même qu’aux États-Unis », se souvient le lanceur d’alerte.
À la Russie, avec amour
Pour expliquer son choix de la Russie comme destination finale, Dougan nous dit qu’il a fini par aimer le pays au cours de ses voyages au fil des années.
« À partir du moment où je suis descendu de l’avion, j’ai aimé le pays. Il est si fascinant, si intéressant pour moi, et je pense qu’il est très mal compris par les Occidentaux », dit-il.
De plus, Dougan nous rappelle qu’« il y a très peu de gouvernements dans le monde avec lesquels les États-Unis ne vont pas interférer, et que les États-Unis forcent souvent d’autres pays à extrader un dissident politique. La Russie n’est pas l’un d’entre eux. Je ne voix pas d’autre gouvernement plus puissant qui pourrait me protéger ».
Note de la rédaction : la Russie n’a pas signé de traité d’extradition avec les États-Unis.
Réfléchissant sur ce qui l’a poussé à commencer son travail de lanceur d’alerte, Dougan explique qu’il s’agissait d’une question de principe. « Lorsque je suis entré dans la police, c’était pour protéger les droits des gens. Peu importe si une personne est un criminel ou non. Elle a droit à la même procédure que toutes les autres. Ce principe était visiblement violé par un certain nombre de personnes avec qui j’ai travaillé. »
Dougan ajoute qu’il était tout simplement dégoûté par ce qu’il voyait pendant son temps à la police : « les gens qui mentent pour que d’autres soient incarcérés, en manipulant les preuves. C’était tout simplement incroyable ce qui s’y passait. »
« J’ai essayé d’en parler de manière anonyme, pour que les informations parviennent aux personnes qui pourraient mettre ces gens face à leurs responsabilités, souligne-t-il. Le véritable choc pour moi, c’est qu’ils ne voulaient rien savoir ; ils voulaient juste savoir qui faisait des vagues en dévoilant ces informations, c’est pourquoi ils m’ont trouvé. »
« C’est pourquoi j’ai dû quitter mon travail à la police. »
« J’ai fait tout ce qui était en mon pouvoir pour donner aux autres bons policiers (et il y a beaucoup de bons policiers aux États-Unis) une voix dans un endroit où on ne pouvait pas s’en prendre à eux, nous déclare M. Dougan. C’était la raison d’être de mon site. Je voulais m’assurer qu’ils pourraient fournir des informations sur des choses vraiment mauvaises qui se passent dans leur département sans craindre pour le bien-être de leur famille ou pour leur travail. C’était la logique de mon action. »
Même dans le comté de Palm Beach, il y a beaucoup de gens honnêtes qui luttent contre la corruption, se rappelle Dougan. « Il y avait un gars qui, en 2012, a enregistré une disparité de 18 millions de dollars dans le budget du bureau du shérif. Celui-ci ne faisant rien à ce sujet, cet homme a donc déposé une plainte contre lui. Ils ont enquêté sur cette personne pendant deux ans, et juste avant qu’il n’annonce sa candidature, ils l’ont arrêté en pleine campagne devant un groupe de policiers sur des accusations fondamentalement frivoles et montées de toutes pièces. Bien sûr, ils ont ensuite abandonné les accusations, mais les dégâts étaient faits. C’est comme cela qu’ils manigancent là-bas. »
Une surveillance civile
Quand on lui demande ce qui pourrait être fait au niveau local pour aider à éliminer le type de corruption qu’il a aidés à dévoiler, Dougan dit qu’il ne pourrait y avoir qu’une seule solution : « La seule solution pour que cela change aux États-Unis est un contrôle civil. Ils doivent avoir des comités d’examen civils pour enquêter sur ces crimes, et cela ne doit pas être des civils payés par les services de police ou qui travaillent pour les services de police. Cela doit être une sorte de jury. Ils doivent faire appel à des conseils de surveillance civils pour enquêter sur ces crimes graves qui se produisent. »
« Parce que maintenant tout le monde couche avec tout le monde, pour ainsi dire. Le procureur d’État ne peut pas vraiment s’en prendre au bureau du shérif parce ce sont des agences sœurs. Il n’y a pas d’autre moyen de résoudre le problème », estime Dougan.
Pour les autres agents chargés de l’application de la loi se trouvant dans une situation similaire, Dougan a quelques conseils à donner : « Bien sûr, j’aimerais dire suivez votre conscience et dénoncez ces personnes. Le problème est que, les personnes ayant des familles, les gens qui dépendent de leur paie, beaucoup d’entre eux ne peuvent rien faire. Les personnes qui deviennent policiers ne sont peut-être pas les plus scolarisées, elles n’ont pas de formation dans d’autres domaines. Elles ne savent travailler que comme policiers. Donc, même si j’aimerais leur dire ‘allez y, dénoncez ces personnes’, il est difficile de le faire parce qu’elles risquent de perdre leur boulot. Jusqu’à ce qu’un conseil de surveillance civil soit créé au niveau de l’État ou du comté, je ne pourrais pas leur demander de faire une telle chose. »
En 2016, PBSOTalk.com [le site de Dougan, NdT] a été fermé par GoDaddy, une société d’hébergement internet, à la suite d’une requête des autorités américaines. La société n’était pas disponible lorsque Sputnik l’a contactée pour confirmation.
Dougan a depuis relancé son projet en Russie, en créant PBSOTalk.ru, hébergé par une société russe. En utilisant plusieurs serveurs, il a pu faire une copie des informations précédemment publiées sur la version américaine de son site Web.
« Les dénonciations arrivent toujours en grand nombre », nous fait-il remarquer.
Sputnik News
Traduit par Wayan, relu par Cat pour le Saker Francophone.
Note du Saker Francophone
Les pièces à conviction et enregistrements détenus par Mark Dougan sont visibles sur la page de Sputnik, pour ceux que cela intéresse.