En Asie aussi les vieilles stratégies de domination ne fonctionnent plus

Note du Saker Francophone

La fin d’un monde ou les relations diplomatiques étaient basées essentiellement sur le pouvoir et l’avidité semble ne pas toucher que l’Occident. En Asie aussi on assiste au même phénomène.
M.K. Bhadrakumar

M.K. Bhadrakumar

Par M.K. Bhadrakumar – le 17 octobre 2015 – Asia Times

Alors que le Népal débarque dans le paysage politique d’Asie du Sud en tant que nouvelle république, séculaire et démocratique, c’est la Chine communiste que cela met en joie et l’Inde qui boude. Pékin est visiblement contente de l’élection d’un dirigeant communiste en tant que Premier ministre du Népal mais qui fut aussi un maoïste au cours de sa longue et fluctuante vie politique. Le contraste ne pouvait pas être plus fort.

Pékin envisage avec optimisme une intensification de la coopération bilatérale avec un Népal dirigé par Khadga Prashad Oli, le nouveau Premier ministre. C’est un nouveau départ car le Népal respecte à nouveau les règles constitutionnelles.

Avant tout, Pékin sait qu’elle peut compter sur Oli pour faire tout son possible pour s’assurer que le territoire népalais n’est pas utilisé par les exilés tibétains vivant en Inde pour infiltrer la région chinoise et la déstabiliser.

Pékin entretient des rapports avec les trois partis formant la coalition ayant porté Oli au pouvoir, malgré leurs différends. Ces différends doivent être gérés soigneusement, mais Pékin considère que Oli est assez expérimenté pour y arriver.

La diplomatie chinoise fait beaucoup d’efforts pour courtiser ces trois partis, le communiste, le maoïste et le royaliste, par des canaux parallèles. Puis des efforts à long terme visant à mettre en place un réseau relationnel avec tous les partis en place, des efforts couronnés de succès. Ne soyez pas surpris si la Chine a des contacts même avec les politiciens Madhesi du Terai, d’origine indienne (et que Delhi considère comme leurs hommes en place), car elle a déjà lancé les approches préliminaires.

La Chine a aussi conseillé les partis politiques népalais pour accélérer la fin de cette longue période de 8 ans sans Constitution, mais sans suggérer ce que celle-ci devait contenir. Elle s’en est tenue à son habituelle politique de voisinage qui consiste à respecter les affaires intérieures des pays étrangers.

A l’opposé, Delhi a eu une approche beaucoup plus basée sur la pression, et tous les indices montrent qu’elle ne soutenait pas Oli qui est réputé pour son nationalisme exacerbé. Son plus grand moyen de pression politique, le Nepali Congress, n’est plus maintenant que dans l’opposition.

Néanmoins, je ne pense pas que nous verrons la Chine profiter de la perte d’influence indienne à Katmandou pour en rafler tous les fruits pour elle seule. Pékin s’est contenté de rester à observer le différend entre l’Inde et le Népal sans chercher à l’alimenter. Elle en aurait eu les moyens, mais s’en est apparemment abstenue.

La Chine semble bien réaliser que, malgré les erreurs de stratégie indienne, un cordon ombilical relie l’Inde et le Népal, deux pays voisins dont la majorité de la population est hindouiste. On retrouve la même approche chinoise envers les pays d’Asie centrale, où l’influence russe y est respectée.

La première priorité de Oli sera sûrement de se réconcilier avec l’Inde car le Népal, en fin de compte, est un petit pays enclavé qui ne peut rien faire sans la bonne volonté indienne et doit donc être sensible a ses intérêts et problèmes vitaux. Et la Chine elle-même est la première à comprendre l’intérêt stratégique de l’Inde pour le Népal.

Ceci dit, il ne sera pas facile pour l’Inde de retisser les liens bien déchirés avec le Népal. Cela demandera patience, tact et ténacité. Le gouvernement Modi a blessé la fierté nationale népalaise avec sa lourde attitude de grand frère et une vague de sentiment anti-indien a balayé le pays.

Cela laisse donc du temps à la Chine pour mettre en place sa politique de gagnant – gagnant avec le Népal. Elle ne sera pas gênée par des interférences indiennes pouvant contrecarrer sa coopération bilatérale avec le Népal.

Selon un article de l’agence de presse chinoise Xinhua, reflet des estimations du gouvernement :

Oli, 63 ans, qui a la réputation d’être un dur de la politique népalaise, a déclaré qu’il allait se dévouer à la préservation de l’unité du pays, de sa souveraineté et de son intégrité territoriale. Il a assuré à son peuple qu’il renforcerait les relations bilatérales avec la Chine et l’Inde, ses deux grands voisins.

Au cours d’une précédente interview à Xinhua, Oli a exprimé son engagement à maintenir la vieille politique népalaise pour une Chine unie en disant que le Népal n’autoriserait aucune puissance extérieure à utiliser son territoire pour lutter contre les intérêts vitaux de la Chine.

Le sentiment de confort de la Chine envers Oli devient clair, la confiance qu’à la Chine d’avoir quelqu’un à son écoute à Katmandou, renforcé par le fort sentiment nationaliste de Oli, qui ne supportera pas les tentatives indiennes de lui dicter sa politique envers la Chine.

Paradoxalement, le gouvernement Modi a inconsidérément grand ouvert la porte de Katmandou à la diplomatie chinoise. Il devrait faire un sérieux effort d’introspection sur les causes d’une telle situation.

Pour commencer, il y a urgence à repenser la stratégie indienne à l’aune de cette question : y aurait-il moyen de travailler avec la Chine sur le Népal, plutôt que d’entrer en compétition?

De manière significative, la déclaration du porte-parole du ministre chinois des affaires étrangères qui congratule Oli pour son élection au poste de premier ministre met l’accent sur les priorités de «faire de nouveaux progrès sur l’unité nationale, la stabilité et le développement» au Népal. L’ordre dans lequel ces priorités ont été énoncées est significatif, mettant en avant l’importance de l’unité nationale comme un impératif pour atteindre un niveau de stabilité pouvant permettre d’avancer le programme de développement.

N’est ce pas étrangement proche de ce que l’Inde aussi déclare vouloir voir se passer au Népal? Bien sûr, la Chine favorise aussi une culture politique inclusive au Népal, favorisant l’unité nationale. L’unité, l’intégrité et le développement népalais peuvent donc devenir un intérêt commun pour la Chine et l’Inde.

Un changement radical dans la pensée indienne est nécessaire vis-à-vis du développement de ses régions frontalières du Népal (Bihar, Uttar Pradesh, Bengale occidental et Sikkim) en en faisant un exemple de développement régional. L’approche gagnant-gagnant chinoise en fournit le modèle.

Un tel résultat ne ferait que renforcer la sécurité et la stabilité régionale, augmentant d’autant l’influence indienne au Népal. L’Inde ferait mieux de rapidement mettre l’accent sur la stabilité et le développement plutôt que de se cramponner à des notions mal avisées d’hégémonie régionale et d’obsession pour l’influence.

Ce que montre la futile dispute de l’Inde avec le Népal est que les vieux outils de stratégie de voisinage basés sur des affirmations unilatérales de dominance régionale sont dépassés et sont devenus contre-productifs de nos jours. L’Inde est, sans aucun doute, la puissance première de la région, par sa taille et sa puissance nationale, mais cela n’en fait pas la puissance dominante.

Le Népal n’est pas le seul cas d’une approche indienne dépassée. La rebuffade adressée par les Maldives au ministre indien des Affaires étrangères, cette semaine, lui disant de se retenir d’interférer dans les affaires intérieures du pays, devrait aussi faire ouvrir certains yeux.

Et comme par hasard, la manière dont le Sri Lanka a tracé une ligne rouge poussant l’Inde à laisser tomber son rôle traditionnel dans le problème tamoul montre que les petits pays peuvent se montrer des voisins très durs quand il s’agit de préserver leur souveraineté et leur indépendance. Cela a même poussé le gouvernement Modi à abandonner les intérêts légitimes indiens dans le problème tamoul. L’actuel gouvernement Sri lankais vante même le gouvernement Modi comme «le gouvernement indien le plus amical que Colombo ait jamais rencontré de toute son histoire».

La dispute avec le Népal, la rebuffade maldivienne, la marche arrière face à Colombo, toutes ces expériences malheureuses vécues durant ces dix-huit mois de gouvernement Modi devraient donner matière à envisager une nouvelle façon de penser la coopération régionale, plus adaptée aux besoins du nouveau monde émergent.

Le problème fondamental est que, face aux Maldives, au Népal ou au Sri Lanka, cette obsession d’une influence chinoise grandissante déforme la pensée indienne et l’empêche de prendre la mesure de son vrai potentiel. L’influence indienne dans la région dépendra surtout de sa capacité à émerger en modèle d’harmonie et de développement.

L’influence, comme le respect, ne peut être forcé. Il doit se mériter. Est-ce que l’Inde de Modi attire le Népal ou les Maldives comme un modèle dont il vaut le coup de s’inspirer? Telle est la vraie question.

M.K. Bhadrakumar

Traduit par Wayan, relu par jj et Diane pour le Saker Francophone

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