Des solutions ou un bouc émissaire. Parlons franchement de la Chine et du Fentanyl


Par Caleb Maupin – Le 5 janvier 2017 – Source New Eastern Outlook

La crise de la dépendance aux opiacés est une réalité aux États-Unis. En 2015, plus d’Américains sont morts d’overdose de drogue, que de violence armée. Selon le Washington Post : « Les décès dûs aux opioïdes ont continué à augmenter en 2015, dépassant les 30 000 pour la première fois dans l’histoire récente […] Cela représente une augmentation de près de 5 000 décès par rapport aux chiffres de 2014. » Les décès impliquant de puissants opiacés synthétiques, comme le Fentanyl, ont augmenté de 75% entre  2014 et 2015.  

Qui est responsable de la crise ? Presque tous les experts conviennent que les racines de la crise remontent aux années 1990, lorsque les sociétés pharmaceutiques américaines ont commencé à pousser à la vente de médicaments antidouleur et à encourager les médecins à les prescrire, espérant ainsi augmenter leurs profits. Le Centre américain pour le contrôle des maladies demande maintenant aux médecins états-uniens de réduire l’utilisation des analgésiques, car leur prescription systématique au cours des dernières décennies a alimenté la crise.

Le problème de la sur-prescription d’analgésiques a été encore aggravé par l’invasion de l’Afghanistan par l’OTAN en 2002, qui a entraîné un énorme boom de la production de pavot dans le pays. Les champs de pavot d’Afghanistan inondent maintenant le marché mondial, abaissant le prix de l’héroïne à des planchers jamais atteints.

Évidemment, certaines voix dans les médias américains à but lucratif ont choisi de ne pas blâmer les puissantes compagnies pharmaceutiques, qui promeuvent ces produits dans l’unique but d’augmenter leurs profits ou d’accuser les opérations américaines en Afghanistan pour cette épidémie d’overdose qui détruit tant de vies américaines. Ces médias ont, à la place, trouvé un bouc émissaire commode, la République populaire de Chine.

La raison invoquée pour accuser la Chine de cette épidémie d’héroïne est que le Fentanyl, un opiacé synthétique, est de plus en plus répandu aux États-Unis et utilisé par les toxicomanes aux opiacés. Le Fentanyl légal est fabriqué dans les usines chinoises, il en est donc déduit que la drogue est intentionnellement exportée vers les États-Unis par une cabale de diaboliques scientifiques chinois, de gangsters chinois, ou du gouvernement communiste chinois lui-même. Cette conspiration sinistre provenant de l’autre côté de la planète serait donc à l’origine de la crise des opiacés. Ce sombre conte de fées, un bon exemple de « fausses nouvelles » ou de théorie du complot, ne colle pas aux faits, quand  la crise de l’héroïne et la politique chinoise sont attentivement considérées.

Le Fentanyl n’est pas une drogue chinoise

Tout d’abord, le Fentanyl n’est pas un « médicament chinois », comme certaines voix ont essayé de l’affirmer. Le Fentanyl a été inventé par un scientifique italien nommé Paul Janssen. Janssen a commencé son travail à l’université de Cologne en Allemagne, mais ce fut pendant qu’il travaillait en Belgique qu’il a inventé l’opiacé synthétique, qui a finalement été introduit à des fins médicales comme analgésique. La société pharmaceutique belge de Janssen, qui a introduit le Fentanyl dans le monde en tant que produit légal et pharmaceutique, a finalement été rachetée par les Américains. Aujourd’hui, les inventeurs de médicaments qui ont introduit le Fentanyl dans le monde ont été absorbés par le géant pharmaceutique Johnson & Johnson, classé dans le Fortune 500 de Wall Street.

Alors qu’une grande quantité de Fentanyl légal est fabriquée en Chine continentale, celle ci a, comme les États-Unis, interdit toute utilisation non médicale de la substance. Le trafic de stupéfiants est punissable par la peine de mort en Chine et les organismes internationaux critiquent généralement la République populaire pour la dureté avec laquelle ses lois antidrogue sont appliquées. Les autorités américaines et chinoises chargées de l’application des lois sur la drogue collaborent régulièrement aux efforts déployés pour lutter contre les cartels de la drogue. Bill Brownfield, le secrétaire d’État adjoint américain aux stupéfiants et à l’application de la loi, a déclaré : « Je crois que sur les questions de stupéfiants et de drogues, les États-Unis et la Chine coopèrent extrêmement bien. »

Le Fentanyl est rarement utilisé à des fins récréatives. Le Fentanyl pur est bien sûr utilisé dans les salles d’hôpital et par ceux qui souffrent de douleur chronique, mais quand le Fentanyl est utilisé de façon récréative par les toxicomanes, il est presque toujours mélangé à de l’héroïne non synthétique dérivée du pavot. Les revendeurs vont couper l’héroïne avec du Fentanyl pour économiser de l’argent, et faire grossir leur stock.

En 2014, 31 271 personnes aux États-Unis sont mortes de surdose d’opiacés. Seuls 4 200 de ces décès, moins de 14%, ont effectivement impliqué le Fentanyl, et dans presque tous les cas, il a été mélangé avec d’autres opiacés non synthétiques à base de pavot. Les utilisateurs de drogues récréatives qui consomment du Fentanyl le font par accident, pensant qu’ils consomment de l’héroïne pure.

Bien que la DEA suspecte que certains des composants chimiques nécessaires pour créer le Fentanyl proviennent souvent de Chine, les chiffres montrent qu’une grande quantité de Fentanyl est fabriquée aux États-Unis. Partout dans le pays, la police a remarqué une augmentation de la fabrication nationale d’opiacés synthétiques. Après tout, les opiacés synthétiques ne nécessitent pas de champs de pavot, de passeurs ou toute autre aspect risqué du monde des drogues. N’importe qui, avec les produits chimiques appropriés et un laboratoire, peut créer des opiacés synthétiques. Lors de la fabrication du Fentanyl, aucun champ de pavot ou ouvrier chinois n’est nécessaire au processus.

Des installations nationales de production de Fentanyl ont été trouvées dans tous les États-Unis. Par exemple, à proximité de la ville post-industrielle de Syracuse New York, un laboratoire de création d’opiacés synthétiques a été découvert à l’intérieur de ce qui ressemblait à une maison familiale typique, à quelques pâtés de maisons d’un YMCA local. La police a trouvé plus de 6 000 doses dans la maison, ainsi que 4 000 dollars en espèces.

La Révolution chinoise a balayé l’addiction aux drogues

Le récit xénophobe, dans lequel la Chine est désignée principal coupable de l’épidémie de toxicomanie qui sévit aux États-Unis, n’est tout simplement pas conforme à la réalité. Oui, il est plus facile de blâmer « le péril jaune » ou le « dragon rouge », situé pourtant de l’autre côté du monde, pour la crise qui afflige l’Amérique moyenne, alors qu’elle est due à la cupidité et au militarisme qui touchent notre propre population. Cependant, la réalité est différente du récit.

Avant 1949, la Chine était l’une des sociétés les plus héroïnomanes et dépendantes à l’opium du monde. L’Empire britannique est célèbre pour avoir lancé deux « guerres de l’opium », pour obliger les empereurs à autoriser l’importation de stupéfiants. La première intervention militaire américaine sur le continent chinois a été faite en 1900, lorsque le Corps des Marines américain a été envoyé pour écraser un groupe de nationalistes chinois appelés « boxers », qui lynchaient les trafiquants de drogue et considéraient la toxicomanie comme un fléau imposé à leur pays par des étrangers impérialistes.

Le Parti communiste chinois a effectivement éradiqué la toxicomanie sur le continent, pendant les premières années de la République populaire. La population a été mobilisée dans une campagne de masse pour lutter contre la toxicomanie. Selon Opium : A History de Martin Booth, « Lorsque les communistes ont pris le pouvoir, Mao Zedong a éradiqué l’opium et la dépendance chinoise à ce produit. » La Chine fut propre pendant plus de quarante ans et seul l’opium pharmaceutique était produit.

Le terme « lavage de cerveau » est dénigré aux États-Unis, mais il a d’abord fait référence au processus de réhabilitation des criminels, des anticommunistes, des toxicomanes, des prostituées et d’autres personnes après la révolution de 1949. Une traduction plus précise du terme est « réforme de la pensée » et, après la révolution chinoise, le gouvernement a effectivement réhabilité des millions de personnes qui, selon lui, étaient criminalisées dans l’ancienne société.

Bien qu’il y ait eu une légère reprise des problèmes de drogue en Chine ces dernières années, celui auquel elle est confrontée est exponentiellement plus petit que celui auquel elle devait faire face pendant la période précédant la naissance de la « Nouvelle Chine », en 1949. Un article du Los Angeles Times de 1990 décrit les efforts anti drogues entrepris par le gouvernement chinois : « L’épidémie d’opium, autrefois répandue en Chine, a été pratiquement anéantie après la révolution communiste de 1949. » L’article continue en citant les Nouvelles de la Jeunesse pékinoise, qui proclament : « Cette horreur, qui avait disparu depuis des années, est réapparue dans notre pays comme un fantôme […] elle ne s’est pas encore généralisée, mais elle n’apportera que des catastrophes si nous ne l’arrêtons pas. »

Drogue et désindustrialisation

Quand les communistes chinois parlent de leur histoire, ils se réfèrent au fléau de la toxicomanie, non pas comme une défaillance morale de la part des utilisateurs récréatifs ou même comme une catastrophe médicale aléatoire qui frappe les malheureux. Dans le récit historique de la Chine, la drogue était quelque chose d’imposé au pays par les banquiers étrangers et les monopolistes occidentaux. Les drogues servaient à affaiblir le peuple chinois, à l’asservir et à l’empêcher de développer sa propre économie indépendante. Alors que la dépendance à l’opium et à l’héroïne n’est plus répandue en Chine, la fabrication de l’acier, les trains à grande vitesse, les systèmes informatiques avancés et les satellites le sont.

Dans la « Rust Belt » désindustrialisée des États-Unis, de nombreux Américains ont voté pour Donald Trump, parce qu’ils espéraient qu’il ferait repartir l’économie et ramènerait aux États-Unis un centre florissant de production industrielle et un niveau de vie en hausse. Ce sont ces États du Midwest, très désindustrialisés, qui ont été les plus durement touchés par la crise de l’héroïne, ainsi que par le suicide, la maladie mentale et d’autres « maladies du désespoir » associées à une baisse générale du niveau de vie.

Plutôt que d’accuser la Chine pour les problèmes de drogue, peut-être devrions-nous apprendre des méthodes utilisées par le peuple chinois pour éliminer la toxicomanie et sortir des millions de personnes de la pauvreté. Si l’histoire nous montre quelque chose, c’est que les solutions sont mille fois plus utiles que les boucs émissaires.

Caleb Maupin

Traduit par Wayan, relu par Cat pour le Saker Francophone

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