Par Salim Lamrani – Le 28 Décembre 2016 – Source Mondialisation.ca
La question des droits de l’homme à Cuba a toujours suscité de très nombreuses controverses en Occident. Les médias se sont toujours montrés unanimes pour stigmatiser les autorités de La Havane, les accusant notamment de perpétrer des violations massives des droits fondamentaux de leurs concitoyens. Les classes politiques – à quelques exceptions près – ne sont pas en reste et pointent régulièrement du doigt l’île de la Caraïbe à ce sujet. Une constante est notable : l’opposition cubaine occupe l’espace médiatique en Europe, aux États-Unis et plus généralement à travers le monde et, dans le même temps, le point de vue des autorités cubaines sur ces questions cruciales est systématiquement passé sous silence.
Pourtant, il est relativement simple de se forger une opinion sur la situation des droits de l’homme à Cuba et à travers la planète. Amnesty International, organisation fondée en 1961, publie chaque année un rapport sur la situation des droits humains au niveau mondial. Ainsi, pour obtenir une image globale, il suffit de consulter les études annuelles qui sont disponibles en plusieurs langues. Les médias n’hésitent pas se baser sur ces travaux pour évoquer la problématique des droits de l’homme à Cuba. Néanmoins, il est curieux d’observer qu’aucune analyse comparative n’est proposée à l’opinion publique. Pourquoi ne pas comparer, par exemple, les derniers rapports d’Amnesty International sur Cuba, la France et les États-Unis ? Cela ne permettrait-il pas à l’opinion publique de se faire une idée plus précise sur la réalité des droits de l’homme à Cuba, en prenant comme références deux grandes démocraties occidentales qui s’érigent souvent en juges moralisateurs ?
L’étude comparative est une démarche scientifique salutaire, qui permet de briser clichés et préjugés. Cet article se propose donc de présenter les conclusions d’Amnesty international sur la situation des droits de l’homme à Cuba, en France et aux États-Unis. Le but est de fournir au public les éléments factuels concrets qui lui permettront de se forger une opinion plus juste sur la Cuba d’aujourd’hui.
Les droits de l’homme à Cuba
Selon le dernier rapport d’Amnesty International, « les libertés d’expression, d’association et de circulation continu[…]ent à être soumises à des restrictions draconiennes ». L’organisation note que « plusieurs milliers de cas de harcèlement à l’égard de détracteurs du régime, d’arrestation et de détentions arbitraires ont été signalés[1] ». AI se fait plus précise en signalant que « des défenseurs de droits humains et des journalistes » subissent des « détentions de courte durée » pouvant aller jusqu’à « neuf heures ». Pour l’année, AI avance le chiffre de 8 600 personnes, en se basant sur les données de la Commission cubaine des droits humains et de la réconciliation nationale. AI souligne par exemple que « trois militants qui auraient tenté d’approcher le pape pour évoquer les droits humains » ont été arrêtés.
L’organisation dénonce le fait que des opposants subissent des « actes de répudiation », c’est-à-dire des « manifestations organisées par des partisans du régime avec le concours d’agents des services de sécurité ». AI pointe du doigt « des poursuites pénales motivées par des considérations politiques ». Elle signale que l’appareil judiciaire est sous l’emprise du pouvoir politique, sans fournir davantage d’informations.
AI rappelle également que les autorités contrôlent Internet en « bloquant et filtrant certains sites, ce qui restrei[nt] l’accès à l’information et les critiques antigouvernementales ». AI souligne que le réseau de téléphonie mobile a été perturbé lors de la visite du pape en septembre 2015.
En revanche, AI ne signale aucun cas de violences physiques de la part des autorités contre les opposants ou les citoyens, ni de cas de mauvais traitements, de torture, de disparition, ou d’assassinat commis par les forces de l’ordre, et ne dénombre, à ce jour, aucun prisonnier politique.
Les droits de l’homme en France
Pour ce qui est de la France, pour l’année 2015, Amnesty International note que les autorités « ont souvent poursuivi des personnes pour des déclarations qui ne constituaient pas des incitations à la violence et relevaient de l’exercice légitime de la liberté d’expression[2] ».
AI souligne également que « les autorités ont assigné à résidence 26 militants écologistes dans le cadre de la COP 21, en raison de leur participation présumée à des manifestations violentes dans le passé ».
L’organisation dénonce l’adoption d’« une nouvelle loi autorisant la surveillance de masse de toutes les communications électroniques à destination – ou en provenance – de l’étranger ». Le pouvoir exécutif peut autoriser ce type de surveillance « sans aucune consultation préalable ni contrôle judiciaire indépendant, dans le but d’atteindre des objectifs définis en termes vagues ».
AI condamne également les violations réitérées des « droits des réfugiés et des migrants ». Elle souligne que les conditions de vie dans le campement de Calais s’apparentent « à un traitement inhumain », en se basant sur un rapport du Conseil d’État. L’entité exprime également sa préoccupation « face aux actes de violence, de harcèlement et de mauvais traitements commis contre des migrants, des demandeurs d’asile et des réfugiés par des agents des forces de l’ordre à Calais ». AI regrette « le recours abusif à la détention administrative contre les migrants de Calais ». L’organisation souligne que « des mineurs non accompagnés ont continué d’être régulièrement placés en détention dans la ‘zone d’attente’ de l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle ».
L’organisation liste plusieurs cas de « discrimination » à l’égard des populations Roms, en notant que « des migrants et des demandeurs d’asile ont également fait l’objet d’expulsions de force de campements de fortune tout au long de l’année ».
AI rappelle également que la Cour européenne des droits de l’homme s’est saisie de « trois affaires concernant des personnes transgenres qui n’avaient pas pu obtenir la reconnaissance de leur genre féminin à l’état civil ».
AI rapporte enfin des atteintes à la « liberté d’expression » en pointant du doigt la condamnation de 14 personnes qui « avaient participé à des initiatives non violentes dans un supermarché pour appeler au boycott des produits israéliens ».
Les droits de l’homme aux États-Unis
Pour ce qui est des États-Unis, AI dénonce l’impunité persistante pour les autorités responsables de crimes[3]. Ainsi, « aucune mesure […] n’a[…] été prise pour mettre un terme à l’impunité dont bénéficiaient les responsables des violations systématiques des droits humains commises dans le cadre du programme de détention secrète mis en œuvre par la CIA ». L’organisation note que « la plupart, voire la totalité, de ces détenus avaient été soumis à une disparition forcée et à des conditions de détention ou des méthodes d’interrogatoire qui violaient l’interdiction de la torture et des autres traitements cruels, inhumains ou dégradants ».
AI dénonce la persistance de détentions arbitraires et note que les « prisonniers de Guantánamo étaient toujours privés de leurs droits fondamentaux ». « À la fin de l’année, 107 hommes étaient détenus à Guantánamo ; la majorité d’entre eux n’avaient pas été inculpés ni jugés ».
AI signale également les violences policières et souligne qu’« au moins 43 personnes, dans 25 États, sont mortes après avoir été touchées par des décharges de pistolets Taser administrées par des policiers, ce qui portait à 670 au moins le nombre total de décès survenus dans de telles circonstances depuis 2001 ». L’organisation rappelle que « la plupart des victimes n’étaient pas armées et ne représentaient manifestement pas une menace de mort ou de blessure grave, au moment où elles ont reçu les décharges ».
AI dénonce plusieurs centaines d’homicides commis par les forces de l’ordre. Elle souligne qu’entre « 458 et plus de 1 000 personnes » ont été tuées « par des responsables de l’application des lois » en 2015. L’organisation pointe un fait récurrent : « Les données limitées disponibles indiquent que les hommes noirs sont surreprésentés parmi les victimes d’homicides imputables à la police ».
AI condamne les violences contre les migrants et notamment contre les « plus de 35 000 enfants migrants ». Elle souligne que beaucoup de familles « ont été détenues dans des locaux où elles étaient privées de nourriture saine et d’eau potable et n’avaient pas accès à un avocat ni aux soins médicaux éventuellement nécessités par leur état ». L’organisation note également des discriminations à l’égard des minorités sexuelles en rappelant que « les personnes transgenres étaient généralement détenues en fonction de leur genre à la naissance, ce qui les rendait vulnérables à des sévices, ou maintenues à l’isolement sans accès à une thérapie hormonale ».
Au sujet des droits des femmes, AI rappelle que « les Amérindiennes et les femmes autochtones de l’Alaska victimes de viol étaient toujours privées d’accès aux soins de base, y compris des examens médicaux et d’autres services de santé essentiels comme la contraception d’urgence ». Elle ajoute que « les Amérindiennes et les femmes autochtones de l’Alaska continuaient de subir un niveau disproportionné de violence ; elles risquaient 2,5 fois plus que les autres femmes de subir un viol ou une autre forme d’agression sexuelle ». AI pointe également « des écarts marqués dans l’accès des femmes aux soins de santé sexuelle et génésique, y compris la santé maternelle ». De la même manière, « le risque de mourir des suites de complications liées à la grossesse était toujours quatre fois plus élevé pour les Afro-Américaines que pour les femmes blanches ». AI dénonce également les attaques commises contre le droit des femmes à disposer de leur corps en rappelant que « plus de 230 projets ou propositions de loi visant à restreindre l’accès à un avortement légal et sans risque ont été déposés dans un grand nombre d’États ».
Au niveau des conditions carcérales, AI rappelle que plus de 80 000 prisonniers (sur une population carcérale de 2, 2 millions de personnes) sont « détenus dans des conditions de privation physique et d’exclusion sociale ». Pour ce qui est de la peine capitale, l’organisation note que 27 hommes – dont un âgé de 74 ans – et une femme ont été exécutés en 2015, et que 3 000 personnes « étaient sous le coup d’une condamnation à mort ». AI souligne également qu’un handicapé mental, Warren Hill, a été exécuté le 27 janvier 2015. Elle note que « tous les experts qui l’ont examiné, y compris ceux qui avaient été désignés par l’accusation, ont convenu qu’il présentait un handicap mental, ce qui rendait son exécution anticonstitutionnelle ».
Une comparaison nécessaire
La lecture de ces trois rapports est révélatrice. Ainsi, alors que Cuba est constamment stigmatisée sur la question des droits de l’homme, une comparaison des conclusions d’AI pulvérise les clichés sur l’île. Par exemple, pour Cuba, Amnesty international n’a pas rapporté de cas de violation des droits des réfugiés et des migrants (France, États-Unis), de traitement inhumain (France, États-Unis), d’acte de violence et de mauvais traitement commis par les forces de l’ordre (France, États-Unis), de mineurs placés en détention (France, États-Unis), de discrimination à l’égard des minorités (France, États-Unis), de discrimination à l’égard des personnes transgenres (France, États-Unis), d’impunité pour les autorités responsables de crimes (États-Unis), de disparition forcée (États-Unis), de torture et autres traitements cruels, inhumains et dégradants (États-Unis), de violences policières (États-Unis), d’homicide commis par les forces de l’ordre (États-Unis), d’homicide commis par les forces de l’ordre en majorité contre les hommes noirs (États-Unis), de personnes privées de nourriture saine, d’eau potable et de soins médicaux par les autorités (États-Unis), de violation réitérée des droits des femmes issues des minorités (États-Unis), de privation de soins de base et de services essentiels pour des femmes victimes de viol (États-Unis), de discrimination contre les femmes enceintes en raison de leur origine ethnique (États-Unis), d’attaques contre le droit des femmes à disposer librement de leur corps (États-Unis), de prisonniers détenus dans des conditions de privation physique et d’exclusion sociale, de peine de mort appliquée (États-Unis), de peine de mort appliquée contre une femme (États-Unis), de peine de mort appliquée contre un homme âgé de 74 ans (États-Unis), de peine de mort appliquée contre un handicapé mental (États-Unis) ou de peine de mort appliquée en violation de la Constitution du pays (États-Unis).
Ainsi, au vu de ce comparatif, il est difficile pour la France ou pour les États-Unis de s’ériger en procureur sur la problématique des droits de l’homme. Ségolène Royal, Ministre de l’Écologie, a fait preuve de clairvoyance en rappelant la chose suivante : « La France n’a pas de leçons à donner[4] » à Cuba. De son côté, le futur Président Donald Trump s’est montré moins inspiré en exigeant de Cuba une amélioration de la situation des droits de l’homme et l’instauration d’une économie de marché[5]. Nul doute qu’il devrait revoir son jugement après la lecture du rapport d’AI sur les États-Unis.
Conclusion
La comparaison des différents rapports d’Amnesty International apporte un éclairage significatif. Contre toute attente, Cuba présente un meilleur bilan que son principal détracteur, à savoir les États-Unis. Du côté de la France, les critiques émises par AI incitent à l’humilité. Ainsi, ni la France, ni les États-Unis, ne disposent de l’autorité morale nécessaire pour s’ériger en juge.
Il est important de rappeler que les rapports d’Amnesty International n’évoquent aucunement le respect des droits économiques et sociaux – qui sont des droits humains fondamentaux – tels que l’accès à l’alimentation, à un logement, à la sécurité, à l’éducation, à la santé, à la culture, au sport, aux loisirs, domaines dans lesquels Cuba excelle selon toutes les organismes des Nations unies, qui citent son système de protection sociale comme l’exemple à suivre. Un chiffre est éloquent : selon l’UNICEF, le seul pays d’Amérique latine et du Tiers-monde à avoir réussi à éliminer la malnutrition infantile est Cuba.
Les rapports d’Amnesty International contredisent les discours occidentaux sur Cuba. En fournissant une information partielle, partiale et sans aucune mise en perspective de la situation cubaine avec le reste du monde, les médias, au lieu d’informer l’opinion publique, l’induisent en erreur en construisant une image sur l’île des Caraïbes qui ne correspond pas à la réalité.
[1] Amnesty International, « Rapport 2015-2016 : Cuba », 2016. https://www.amnesty.org/fr/countries/americas/cuba/report-cuba/ (site consulté le 6 décembre 2016).
[2] Amnesty International, « Rapport 2015-2016 : Cuba », 2016. https://www.amnesty.org/fr/countries/europe-and-central-asia/france/report-france/ (site consulté le 6 décembre 2016).
[3] Amnesty International, « Rapport 2015-2016 : Cuba », 2016. https://www.amnesty.org/fr/countries/americas/united-states-of-america/report-united-states-of-america/ (site consulté le 6 décembre 2016).
[4] Le Figaro, « Ségolène Royal fait l’éloge de Fidel Castro, tollé dans la classe politique », 4 décembre 2016.
[5] L’Express, « Trump menace de mettre fin au rapprochement avec Cuba », 28 novembre 2016.
Salim Lamrani est Maître de conférences à l’Université de La Réunion et journaliste, spécialiste des relations entre Cuba et les États-Unis.
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