Comment la Chine 2.0 se voit dans cinq ans – version pop


Pepe Escobar

Pepe Escobar

Par Pepe Escobar – Le 30 octobre 2015 – Source Russia Today

Tout le monde fait le Shisanwu. Enfin presque, au moins des centaines de millions de Chinois le font.
Voici la version pop ; appelons-ça le nouveau plan quinquennal chinois pour les nuls. Vous pouvez même chanter en même temps en karaoké, pendant que vous réfléchissez  à la façon de briser la feuille de route du développement économique et social de la Chine de 2016 à 2020.

Le Quotidien du Peuple a déclaré que le 13e plan de quinquennal concerne essentiellement la croissance économique, les réformes institutionnelles, l’environnement et la lutte contre la pauvreté. Le non-dit est que, avec cette feuille de route, ça passe-ou-ça-casse pour la Chine afin d’échapper au redoutable piège de la classe moyenne.

Le premier exploit flagrant de Shisanwu est d’enchâsser le président Xi Jinping dans la désormais célèbre nouvelle normalité – faire entrer l’économie de la Chine dans un modèle de croissance durable et plus lente ; encore un énorme 6,5% par an, mais moins que les 7% actuels. Le Premier ministre Li Keqiang a souligné que la Chine a besoin de 6,5% de taux de croissance au cours des cinq prochaines années si elle veut devenir une société modérément prospère.

Le professeur à l’Université Renmin de Beijing, Zhao Xijun, met tout sur la table : «Le timing du 13e plan quinquennal est crucial, car en 2020, la nation est censée avoir atteint son premier objectif centenaire, marquant le 100e anniversaire de la fondation du parti [en 1921], pour achever la construction d’une société modérément prospère.»

Mais comment accomplir cette tâche surhumaine ? Essentiellement, en déplaçant la force de travail actuellement focalisée sur une fabrication intensive destinée à l’exportation, vers une économie de services et de consommation, donnant également un rôle essentiel à une agriculture modernisée.

En Asie, tout le monde sait comment les fabricants chinois ont perdu de façon régulière leur fameux avantage concurrentiel, par l’augmentation des prix immobiliers et du coût de la main-d’œuvre, surtout sur la côte Est, la région la plus développée. Donc la nouvelle normalité de Xi implique un processus complexe de transfert des emplois du secteur manufacturier vers le secteur des services. Cela implique également une augmentation de l’innovation chinoise dans la technologie, l’industrie, la conception et la gestion d’entreprise.

Le Zombie killer entre en scène

Un plan de cinq ans peut être considéré comme un vestige de l’économie de style soviétique. Le premier plan quinquennal a en effet été lancé en 1953, une copie conforme de l’URSS. Pourtant, les conservateurs du Parti communiste chinois (PCC) insistent fort sur le fait que le contrôle de l’État est une nécessité, étant donné les catastrophes notoires sur les marché occidentaux tels que la crise financière hypothécaire des subprimes.

Le projet de plan fait quelque chose comme cent pages ; il liste les principaux objectifs de la politique de Pékin et beaucoup de cibles importantes, liées à la croissance économique, aux exportations, à l’investissement direct étranger et à la création d’emplois. Pratiquement tous les ministères et organismes centraux, ainsi que les gouvernements provinciaux, régionaux et municipaux, contribuent au projet.

Avec les lignes directrices publiées par le Conseil des affaires de l’État, les planificateurs des ministères centraux et organismes gouvernementaux, ainsi que les gouvernements régionaux, seront concernés et devront comprendre tous les détails. Le plan sera ensuite débattu lors de la session annuelle de l’Assemblée populaire nationale au printemps 2016.

Vue générale du quartier financier des affaires à Hong-Kong © Bobby Yip/Reuters

Xi – ragaillardi par son récent tour de force spectaculaire dans l’ancien Empire britannique – a été très occupé à promouvoir et à expliquer la feuille de route. Entre les mois de mai et juillet, il a rencontré les dirigeants du parti dans la moitié des 31 provinces de la Chine, bien avant la crise des marchés boursiers et l’annonce que la croissance trimestrielle du PIB de la Chine avait plongé sous la barre des 7% pour la première fois depuis 2009.

Cette semaine, les dirigeants des partis ont passé de nombreuses heures à l’examen du projet de plan quinquennal à l’Hôtel Jingxi dans l’ouest de Pékin, dans le cadre du huis clos du Cinquième plénum du PCC.

Tous sont bien sûr familiers avec le maître de ce plan : Liu He, l’un des principaux conseillers économiques de M. Xi, diplômé en économie industrielle de l’Université Renmin avec une maîtrise en administration publique de l’Université de Harvard.

Il se trouve que Lui He est également le vice-directeur de la Commission nationale du développement et de la réforme, l’agence toute-puissante qui décide des politiques de développement économique et social de la Chine.

Et il est la cerise sur le gâteau, un tueur de zombie.

Zombie killer, dans un contexte de pop chinoise, désigne quelqu’un qui veut fermer une fois pour toutes les entreprises douteuses dénommées entreprises zombies.

Alors, naturellement, Liu He est un homme qu’on aime haïr, car de nombreuses entreprises zombies appartiennent à l’état et lui sont fortement  connectées (SOE). Les gouvernements locaux refusent de les fermer car ils craignent une crise des dettes non récupérables, la hausse du chômage et une énorme baisse de leur ponction fiscale locale.

Officiellement, Liu He est totalement pragmatique ; il insiste sur le fait que la Chine a besoin de «réformes davantage axées sur le marché et sur la gestion de l’offre, sur l’intensification des efforts en fermant les entreprises zombies et en mettant fin à la surcapacité». Mais cet ajustement structurel doit être progressif ; le PCC est terrifié par le chômage et l’instabilité sociale.

Comme si son entreprise de chasse aux zombies ne suffisait pas, Liu He est également à la tête de la Direction générale du groupe pilote pour les affaires économiques et financières, l’organe politique économique numéro un de la Chine présidé par, devinez qui ? Xi lui-même.

Liu He a joué un rôle dans l’approbation du plan de relance de la Chine de 4 trillions de yuans en 2009, qui a été la contre-offensive menée par Pékin suite aux excès de Wall Street qui avaient provoqué la crise financière mondiale en 2008.

Il sera donc l’homme incontournable pour toutes les politiques économiques, et l’allure à laquelle elles devraient progresser. Mais les meilleurs économistes chinois soulignent que tout ce qui touche à la politique et à la gouvernance des entreprises publiques sera assuré par les gros bonnets inconditionnels du PCC , sinon par Xi lui-même.

Maintenant y a plus qu’à gérer les détails

On en revient à cette énorme croissance annuelle du PIB de 6,5% par an. Selon le China Finance 40 Forum, Pékin devrait guider la croissance du PIB par le contrôle d’une plage, avec comme limite supérieure l’inflation et comme limite inférieure le taux de chômage.

En plus de cela, Pékin doit encore gérer dans le détail au moins trois variables essentielles : la capacité industrielle excessive du pays, les corrections affectant les excès du marché de l’immobilier et la dette très élevée des entreprises.

Pour le moment, on ne parle que du rêve chinois. Le Premier ministre Li Keqiang a déclaré que l’objectif de Pékin n’est rien moins que le doublement du PIB par habitant d’ici à 2020 par rapport à 2010, créant ainsi une société prospère partout. Avec un coup de pouce supplémentaire l’objectif de croissance pourrait être fixé autour de 7% en 2016 et 2017 afin de renforcer la confiance.

Ceci est donc la Chine vue par le Parti communiste chinois, où tout est planifié, reste à faire la to-do liste de Pékin – ainsi qu’une foule de mécanismes pour assurer que les personnes en charge de réaliser le plan ne vont pas tout gâcher. Ce sera fait. Attention, barbares : 2020 est juste au coin de la rue.

Traduit par jj, édité par jj, relu par Literato pour Le Saker francophone

Pepe Escobar est l’auteur de Globalistan: How the Globalized World is Dissolving into Liquid War (Nimble Books, 2007), Red Zone Blues: a snapshot of Baghdad during the surge (Nimble Books, 2007), Obama does Globalistan (Nimble Books, 2009) et le petit dernier, Empire of Chaos (Nimble Books).

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