Comment fonctionne le modèle démocratique chinois


Par Matthew Jamison – Le 31 octobre 2016 – Strategic Culture.

Pour avoir voyagé à travers les États-Unis récemment, en étant basé à Los Angeles / Californie, j’ai eu l’occasion d’interviewer divers Américains au sujet de leurs opinions sur la prochaine élection présidentielle et plus généralement sur le système politique en Amérique et l’état de la démocratie électorale américaine. Je me suis entretenu avec des Américains de nombreuses origines ethniques, géographiques, politiques et religieuses ou laïques dans l’un des melting pots les plus diversifiés du pays – Los Angeles – et il m’a semblé y percevoir une profonde désillusion envers le processus démocratique, en particulier au niveau du Congrès et de la présidence, et envers une élection basée sur les milliards de dollars d’une véritable industrie faites de sondeurs, de consultants médiatiques, de stratèges et Cie.

Un sentiment répandu de malaise et de dysfonctionnement du système électoral, démocratique et médiatique concernant ces élections libres, cette presse libre et plusieurs partis politiques semble avoir pris racine, non pas tant au sein de l’élite politique de l’organe de direction, mais plutôt (et donc encore plus crucial) au sein des électeurs. Le cynisme, la confusion et le désespoir sont ancrés dans l’électorat américain sur la manière dont leur démocratie a coulé pour atteindre le niveau du débat entre Trump et Clinton et sur l’intensité avec laquelle le système politique à deux partis est devenu polarisé. Comme pour le vote choc du Brexit au Royaume-Uni, l’émergence de Trump et l’avilissement de la campagne présidentielle américaine a conduit certains Américains (et même des Britanniques) à se poser des questions fondamentales sur l’efficacité, l’efficience et la sagesse de leur système électoral.

Pas tant concernant la démocratie en elle-même comme concept et fondement du gouvernement, mais sur la façon dont la démocratie est exercée, canalisée et organisée et, plus précisément, sur la relation nécessaire entre les organes et les infrastructures de sociétés et États multidimensionnels complexes pour parvenir à une plus grande harmonie, équilibre et cohérence interne. Le public est de plus en plus réticent face à la discorde et la rancune politique dues à la compétition électorale entre les partis. Le public comprend la nécessité d’une classe d’élite de fonctionnaires régissant qui sont intéressés et compétents en politique et en relations publiques et il comprend aussi que, comme pour eux-mêmes et tous les êtres humains, les gens puissent être imparfaits et faire des erreurs. Ce qu’il ne peut pas tolérer est la corruption systémique et ce sectarisme politique pathologique qui crée une impasse gouvernementale et génère des problèmes économiques, sociaux et culturels.

Ainsi, à bien des égards, l’élection présidentielle américaine de 2016 et la campagne référendaire britannique de l’UE ont été un atout important pour le Parti communiste chinois et son modèle de démocratie consultative du XXIe siècle, par opposition à la démocratie électorale occidentale. Certains en Occident sont devenus tellement happés par leurs propres systèmes politiques qu’ils ne peuvent pas comprendre ou reconnaître qu’il existe de nombreuses formes et variantes de démocraties. La démocratie n’est pas monolithique comme la Chine n’est pas monolithique. Des modèles démocratiques différents sont exercés aujourd’hui, parallèlement au processus démocratique électoral occidental.

La Chine, par exemple, n’est pas cette dictature totalitaire communiste monolithique que certains Occidentaux mal informés et plein de préjugés ont tenté de caricaturer. Son Parlement, son Congrès national populaire, ne sont pas dominés par un seul parti, le Parti communiste chinois. Il existe bien d’autres partis politiques aux cotés du PCC qui sont admis au Congrès national populaire. Ils y ont un rôle consultatif et peuvent modifier le processus législatif. Le gouvernement communiste accepte régulièrement des modifications apportées à son programme législatif par les autres partis. Il y a aussi de multiples factions concurrentes et différentes au sein du Parti communiste lui-même, donc même le Parti communiste chinois n’est pas une entité monolithique.

Le système politique chinois favorise surtout la stabilité sociale et économique qui est le fondement de la construction d’une bonne société et qui se base sur les principes confucéens de lutte pour une plus grande harmonie plutôt qu’une concurrence qui conduit inévitablement à des conflits. Il y a une énorme quantité de consultations publiques menée en Chine avec divers mécanismes disponibles pour que le public puisse apporter sa contribution à la formulation du système législatif, politique et social. Il se tient même des élections au niveau local pour élire le Congrès national populaire. Les citoyens chinois votent pour les Congrès populaires locaux, semblables aux législatures des États américains ou aux conseils locaux en Grande-Bretagne. Les Congrès populaires locaux sont soumis à des élections avec un choix de différents candidats en lice. Les candidats qui sont élus à la section locale du Congrès populaire auront alors un rôle dans la procédure de sélection des candidats au Congrès populaire national.

Donc, même au sein de ce que certains critiques occidentaux ignorants et hostiles appellent une dictature totalitaire, il y a des élections démocratiques. Et pour une soit disant dictature, il y a des limites strictes à la durée du mandat du président et du comité permanent du Politburo, seulement dix ans, suivi d’une passation de pouvoir ordonnée, contrairement à la Grande-Bretagne, qui n’a pas de limite à long terme sur le temps pendant lequel un chef de gouvernement peut servir (en théorie un Premier ministre pourrait exercer aussi longtemps qu’il a l’appui des membres du parti et des électeurs).

Le peuple chinois est fasciné par l’Occident et la culture occidentale. Ils veulent apprendre autant que possible de l’Occident et travailler avec lui. Cependant, ils sont, et à juste titre (tout comme le sont devenus beaucoup d’Occidentaux), méfiants vis-à-vis de la démocratie électorale moderne occidentale du XXIe siècle, dirigée par l’argent, la manipulation médiatique et basée sur le conflit. Ils observent le cirque du Brexit ; l’élection du Hamas à Gaza en 2006 ; la pseudo-démocratie sectaire et anarchique d’Irak ou l’émergence d’un homme politique comme Donald Trump, les milliards de dollars versés dans les élections américaines et craignent à juste titre la sorte de politiciens que ce genre d’élections en Chine pourraient produire. Les priorités du peuple chinois sont comment faire durer un taux de croissance économique de 7% ou plus pour nourrir, habiller, éduquer, loger et fournir emploi et système de santé à près de 1,4 milliard de personnes tout en maintenant la cohésion sociale, la paix, l’harmonie, l’éducation et la prospérité pour tous les citoyens. Il ne s’agit pas seulement de glisser un morceau de papier dans une urne pour des politiciens en place aujourd’hui, partis demain. Peut-être que l’Occident pourrait apprendre de la démocratie consultative chinoise, surtout après l’année du Brexit et de Trump.

Matthew Jami

Article original publié dans Strategic Culture

Traduit par Wayan, relu par Cat pour le Saker Francophone.

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