Chronique d’un effondrement annoncé


Par Alexandre Rodjers – Le 14 juin 2015 – Source : Fort Russ

Les incendies de dépôt pétrolier, signes d'un effondrement général en Ukraine

On ne peut s’empêcher d’avoir recours à l’humour, quand on relate les incendies non maîtrisés autour de Kiev ou dans Kiev même. Forcément, avec des expressions comme «combattre le feu par l’épuisement» et «explosions prévisibles», la langue de bois officielle fait sourire.

 

Mais aujourd’hui, il ne s’agit pas simplement de quelques accidents, aux conséquences amplifiées par l’incompétence des responsables ; c’est surtout le reflet d’une tendance vers un effondrement général, comme j’en ai déjà discuté. Je vais essayer d’être plus précis.

Le pire, dans la lutte contre le feu et la réponse complètement inadaptée des secours n’est même pas leur incapacité à éteindre le feu, c’est le coût du feu en vies humaines, tant chez les pompiers que chez les civils.

Ce qui apparaît clairement, c’est l’appauvrissement de ces services jusqu’à l’os, l’absence totale d’équipements et des compétences essentielles de leur profession. Difficile de garder son sérieux, quand on apprend qu’«ils combattent un incendie d’essence avec de l’eau». Ils n’ont rien d’autre. Et pourquoi utiliser de l’eau? Quand on lui a posé la question, un officiel a répondu que toute la mousse carbonique et les produits d’extinction avaient été utilisés pour éteindre les incendies du Maidan…

Cela fait un an et demi! Et pendant tout ce temps, personne n’a pensé à se procurer ou à fabriquer les produits adéquats. UN AN ET DEMI, bon sang !

L’explication, ce n’est pas seulement la négligence (même si cela compte) de responsables incompétents comme Zoryan Shkiryak, qui pensent qu’avec une position officielle, vous pouvez vous asseoir à votre bureau et recevoir des dessous-de-table. C’est aussi, tout simplement, le manque d’argent.

Voulez-vous d’autres exemples? Il y en a plein! Avakov – le ministre de l’Intérieur – a dit que le ministère doit envoyer des tanks reconvertis pour la lutte contre les incendies. Quelqu’un a vu ces tanks? Non? Et pourquoi? Sans doute parce qu’ils ne sont plus en état de marche et qu’il n’y a personne pour les réparer. Et je ne parle même pas des hélicoptères bombardiers d’eau qui devraient être disponibles contre les incendies de forêt…

En l’espace d’une semaine, nous avons vu un dépôt pétrolier en feu, un centre de stockage où la mousse carbonique s’était solidifiée, de nombreux feux de tourbe, des feux de forêt, des incendies sur l’Ile Trukhanov et même un feu dans le Parc de l’Amitié entre les Nations (aujourd’hui, à quoi bon un parc avec un tel nom?).

Résumons : pas d’équipements, pas d’argent, pas d’oxygène pour les scaphandres des pompiers, pas d’argent pour entretenir ou remplacer quoi que ce soit. Donc, il y a toujours de nouveaux feux, et il y a toujours de nouveaux morts.

Et attention… tout cela se passe à Kiev, et dans l’oblast de Kiev, où depuis toujours tout est mieux qu’ailleurs. Alors qu’en est-il dans les régions? Mieux vaut ne pas imaginer…

Par exemple, il y a eu récemment une très forte explosion à Vinnitsa ; toute la ville l’a entendue. Mais pendant deux longs jours, silence radio du côté des officiels. Personne n’a essayé de rassurer la population en expliquant ce qui avait sauté. Résultat : toute la ville bruisse de rumeurs sur une fuite de mercure.

Les problèmes ne sont pas limités à l’organisation des pompiers, à l’usure des équipements, au manque de pièces détachées, ils éclatent dans toutes les administrations. Je suis sûr que vous avez entendu parler de l’avion de Shkiryak à Katmandou. [Conseiller du ministère de l’Intérieur pour les situations d’urgence, Shkiryak a affrété un avion pour évacuer les Ukrainiens coincés au Népal lors du séisme. L’avion n’a jamais dépassé l’Inde : des pièces défectueuses l’ont cloué au sol. Il n’a pas obtenu les autorisations pour redécoller. Quant aux Ukrainiens, c’est un vol charter qui les a ramenés à Kiev, NdT]. L’armée ukrainienne ne fait pas exception.

J’ai lu récemment le dernier rapport sur l’artillerie. Il alerte sur le fait qu’on démonte désormais les canons les plus usagés pour récupérer des pièces détachées qui servent à l’entretien de pièces d’artillerie à peine moins âgées. En d’autres termes, on fait un canon à partir de deux. Évidemment, je suis content (plus il y aura de canons hors d’usage, moins on pourra bombarder les villes du Donbass). Mais voilà encore un autre symptôme de l’effondrement général.

En ce qui concerne les infrastructures, ce n’est pas mieux. Pas plus tard que le 13 juin, une conduite d’eau chaude a éclaté à Troyeshchina, une banlieue de Kiev, et un geyser de vingt mètres de haut a aspergé les immeubles de neuf étages alentour pendant une heure, brisant la plupart des fenêtres et inondant tout à l’intérieur.

Tout s’effondre. Pas seulement l’économie, pas seulement les infrastructures à bout de souffle, pas seulement l’administration, incapable d’assurer les services publics… Mais pensez aussi à la disparition du personnel qualifié, à l’incapacité de réfléchir à des solutions et de prévoir les conséquences de ses actions. C’est pourquoi on ne peut pas parler de crise économique, mais de crise du système parce que c’est l’État ukrainien qui est touché, pas seulement l’économie et les finances.

Traduit par Ludovic, relu par jj pour le Saker Francophone

 

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