C’est l’ingérence de l’ONU, et non son rejet par l’Éthiopie, qui souille notre conscience


Par Andrew Korybko – Le 01/10/2021 – Source One World

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La seule tache sur notre conscience est que l’ONU, organisation supposément neutre, et les États-Unis, supposément alliés de ce pays, unissent leurs forces pour soutenir un groupe armé anti-gouvernemental dans le deuxième pays d’Afrique par la taille de sa population, visant à un changement de régime selon des méthodes considérées comme terroristes par Addis Abeba.

Martin Griffiths, le directeur humanitaire de l’ONU, a décrit sous des termes dramatiques la crise de la région de Tigray, en Éthiopie, comme « une tache sur notre conscience » juste avant qu’Addis Abeba expulse sept dirigeants humanitaires de l’ONU pour ingérence dans ce pays situé à la Corne de l’Afrique. Le gouvernement éthiopien, reconnu à l’international, et qui occupe légalement une place au sein de l’ONU comme seul représentant officiel, avait auparavant accusé l’organisation mondiale de soutenir les combattants du Tigray People’s Liberation Front (TPLF) qu’il considère comme des terroristes.

Cela est supposément en cours, au travers d’une aide militaire qui pénètre clandestinement la zone de conflit sous couvert d’aide humanitaire. Les préoccupations humanitaires sont également exploitées en ce moment pour augmenter le niveau d’ingérence dans les affaires du pays, et ainsi faire pression sur le gouvernement éthiopien à accepter des concessions politiques unilatérales face aux exigences formulées par le TPLF. Les ailes humanitaires de l’ONU ne peuvent donc pas être considérées comme des acteurs objectifs du conflit, ce qui constitue la véritable tache sur notre conscience.

Le modèle de l’« impérialisme humanitaire » a été très activement expérimenté en Syrie, tout au long de la guerre remontant à une décennie, et qui n’est pas encore terminée. Les autorités éthiopiennes en place ont clairement appris de nombreuses leçons en observant la mise en pratique de ces tactiques et stratégies de guerre hybride. Le gouvernement éthiopien a commencé par coopérer en toute bonne foi avec les branches humanitaires de l’ONU, mais ont rapidement compris que l’organisation mondiale était exploitée par les opposants à ce gouvernement afin de poursuivre des desseins de changement de régimes similaires à ceux qui ont été déroulés en Syrie.

Le mois dernier, Abiy Ahmed, le premier ministre, a publié une lettre ouverte à Joe Biden, le président étasunien, pour lui demander de mettre fin à la guerre hybride qu’il mène contre l’Éthiopie. Avec le recul, on peut interpréter cela comme un signal qu’Addis Abeba s’attendait à ce que Washington exerce une influence positive sur les branches humanitaires de l’ONU pour mettre fin à leur ingérence déstabilisatrice à Tigray, et ainsi promouvoir les tentatives de stabilisation qui y sont menées par le gouvernement. Ce noble appel est resté lettre morte, si bien que son gouvernement a agi pour répondre de lui-même à ces menaces.

Les fortes critiques énoncées par l’ambassade étasunienne à Addis Abeba contre les actions de « sécurité démocratique«  menées par le gouvernement (les tactiques et stratégies de contre-guerre hybride) l’impliquent dans ces opérations de déstabilisation menées par l’ONU, et font disparaître tout doute qui aurait pu subsister quant à l’implication de Washington. À l’instar des ailes humanitaires de l’ONU, le gouvernement étasunien fait partie des acteurs partisans pratiquant l’ingérence dans les affaires éthiopiennes en soutien au TPLF, surtout après le tweet énonçant que « Nous sommes en accord avec les dirigeants de l’ONU : il s’agit d’une tache sur notre conscience collective et il faut que cela cesse. »

Pour en revenir au thème de la présente analyse, la seule « tache sur notre conscience collective » réside en ce que les branches théoriquement neutres de l’ONU, et l’« allié » étasunien prétendu de l’Éthiopie ont uni leurs forces pour soutenir un groupe armé anti-gouvernemental dans le deuxième pays d’Afrique en taille de population, et qu’ils soutiennent un changement de régime au moyen de ce qu’Addis Abeba considère comme des moyens terroristes. Non seulement la réputation des États-Unis va-t-elle en rester souillée davantage encore qu’elle ne l’était déjà, mais cela installe également des soupçons au sujet de toute autre opération humanitaire menée par l’ONU dans le monde.

Il arrive que ces opérations soient menées par des acteurs véritablement neutres, en coordination avec le gouvernement hôte, afin d’améliorer réellement la situation humanitaire dans certaines zones de conflit. Ces exemples constituent des réussites à célébrer, qui indiquent l’importance objective de telles opérations. En utilisant ces opérations comme des armes en Éthiopie, dans le but de faire passer en douce des armes à un groupe désigné comme terroriste par le gouvernement, et en menant une guerre de l’information contre les autorités légitimes du pays pour augmenter les pressions à son encontre, l’ONU a ruiné sa réputation de neutralité.

Ceci pourrait mettre en danger la viabilité de toutes les autres opérations humanitaires dans le monde, y compris celles qui pourraient être menées d’une manière réellement neutre, en accord avec le droit international, comme cela devrait toujours être le cas. On pourrait comprendre que les gouvernements hôtes se mettent à regarder de très près ces opérations, pour voir si l’ONU les exploite également afin de déstabiliser leur pays. Durant ces investigations, ils pourraient réduire l’ampleur de ces opérations, voire les annuler, à des fins de sûreté, jusqu’à avoir atteint leurs conclusions.

Les gens qui ont donc le plus désespérément besoin d’une aide humanitaire pourraient s’en retrouver privés du fait de la défiance que leur gouvernement pourrait avoir dans les opérations humanitaires menées par l’ONU, désormais que des représentants de la branche humanitaire de l’ONU se sont faits expulser d’Éthiopie pour cause d’ingérence. Il serait tragique que cela se produise, et qu’il soit déterminé par la suite qu’aucune ingérence n’était en cours dans les pays, qui auraient réduit ou annulé ces opérations pour des raisons de sûreté durant la conduite de leurs investigations. Mais cela résulterait de la seule faute de l’ONU.

L’organisation mondiale n’aurait jamais dû s’ingérer dans les affaires internes de l’Éthiopie en usant de prétextes humanitaires. Les États-Unis auraient également dû mettre fin à tout ceci avant que l’affaire ne prenne les proportions que l’on connaît désormais. De toute évidence, les États-Unis ont préféré doubler leur mise et s’activent probablement à manipuler les perceptions internationales de la « sécurité démocratique » de l’Éthiopie afin de faire encore monter la pression sur le pays. Ce sont ces deux développements qui constituent véritablement « une tache sur notre conscience », pas le fait que l’Éthiopie défende ses intérêts souverains contre des complots de guerre hybride affublés d’atours humanitaires.

Andrew Korybko est un analyste politique étasunien, établi à Moscou, spécialisé dans les relations entre la stratégie étasunienne en Afrique et en Eurasie, les nouvelles Routes de la soie chinoises, et la Guerre hybride.

Traduit par José Martí, relu par Wayan, pour le Saker Francophone

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