L’Arabie saoudite est en transition et cherche à diversifier ses relations extérieures
Par M K Bhadrakumar – Le 26 septembre 2017 – Source Russia Insider
La prochaine visite du roi saoudien Salman bin Abdulaziz en Russie, du 4 au 7 octobre, porte avec elle un grand symbolisme. Il y a plusieurs raisons à une telle intensité – et pas seulement parce que c’est la toute première visite d’un monarque saoudien en Russie. L’Union soviétique a été le premier pays en 1926 à établir des relations diplomatiques avec le Royaume – connu à l’époque comme le Royaume de Hejaz et Nejd – mais sous une forte influence occidentale, le côté saoudien a gelé la relation une décennie plus tard, et c’est resté ainsi jusqu’à la dissolution de l’Union soviétique en 1991.
Historiquement, la rencontre de la Russie avec l’Islam a été tumultueuse – souvent violente mais globalement assimilatrice. D’une certaine manière, cela établit une comparaison avec de longs passages de l’histoire de l’Inde, la différence étant l’histoire impériale de la Russie, alors que l’Inde n’a jamais été un pouvoir expansionniste et n’a connu que des vagues successives de conquêtes musulmanes.
Sans aucun doute, c’était une attaque géopolitique de l’Occident pour mettre l’Islam en opposition avec le communisme. L’objectif réel de l’Ouest en maintenant l’Union soviétique hors du Moyen-Orient était le contrôle des réserves pétrolières de la région et le marché mondial du pétrole. L’utilisation du dollar en tant que monnaie pour la négociation du pétrole était fondamentale pour le statut du dollar en tant que monnaie mondiale, ce qui a entraîné l’assujettissement [de la région] à l’hégémonie de l’Amérique au cours des sept dernières décennies. Certains historiens attribuent au faible prix du pétrole l’une des raisons de l’affaiblissement de l’économie soviétique dans les années quatre-vingt.
Ironiquement, le pétrole est de nouveau au cœur des relations de la Russie avec l’Arabie saoudite – sauf que les deux pays ont maintenant des intérêts partagés sur le marché mondial du pétrole, qui sont également contraires aux intérêts américains suite à l’émergence de l’industrie du schiste aux USA. L’Arabie saoudite et la Russie sont deux grands pays exportateurs de pétrole et les revenus des exportations de pétrole constituent un élément crucial de leur revenu national. De ce fait, ils sont désireux d’un marché du pétrole stable et de prix durablement et modérément élevés – l’opinion d’expert est que le prix du pétrole à 50-60 barils augmentera le niveau de confort pour les Saoudiens et les Russes.
À coup sûr, la coopération énergétique sera un sujet de discussion majeur pour le Kremlin lors de la visite du roi Salman. L’Arabie saoudite a manifesté son intérêt à faire des investissements dans les champs de l’Arctique russe et elle aspire également à développer son propre secteur du gaz. Un autre gros coup est l’adhésion éventuelle de la Russie à l’OPEP. En outre, la Russie espère vendre des armes à l’Arabie saoudite, marché traditionnellement dominé par les pays occidentaux, et développe également ses intérêts commerciaux sur le marché saoudien dans les projets d’infrastructures ; la coopération nucléaire et les chemins de fer sont des domaines potentiels.
Cependant, inévitablement, la visite de Salman sera évaluée en termes géopolitiques. La dérive de l’alliance entre les saoudiens et les américains, la rivalité saoudienne avec l’Iran, la fin du jeu dans le conflit syrien, l’impasse dans la guerre au Yémen – tout cela constitue la toile de fond. Encore une fois, l’Arabie saoudite est en transition et cherche à diversifier ses relations extérieures. Alors que le prince héritier expulsé, Mohammed bin Naif, était le favori des États-Unis pour succéder au roi Salman, le prince héritier actuel, Mohammed bin Salman, a accordé une grande attention personnelle à l’amitié avec la Russie.
L’épanouissement des relations avec l’Arabie saoudite signifie-t-il que la Russie dégrade ses liens avec l’Iran ? Loin de là. La Russie n’empêchera pas la stratégie occidentale du diviser pour régner. La diplomatie russe visera la synergie entre ses relations avec l’Arabie saoudite (et les pays du Golfe), d’une part, et l’Iran d’autre part. Il ne faut pas oublier que le corridor nord-sud en projet, un réseau de transport multi-modal reliant la Russie au marché du golfe Persique, passe par l’Iran. Il ne serait pas surprenant que, à un moment donné, dans un futur prévisible, la Russie prenne sa part pour promouvoir la réconciliation entre les pays du golfe Persique.
Une telle stratégie régionale inclusive de la part de la Russie a permis au cours des dernières années de développer de vastes réseaux au Moyen-Orient et de consolider sa position et son influence. Israël, Égypte, Jordanie, Turquie, Irak, Iran, Émirats arabes unis, Arabie saoudite, Qatar, Bahreïn – La Russie entretient de bonnes relations avec tous, indépendamment des divergences possibles dans les politiques régionales. Cela contraste avec l’approche américaine qui encourage la mentalité de bloc parmi les pays de la région en exploitant les contradictions de la politique régionale.
Bien sûr, les intérêts nationaux russes sont également bien servis dans une approche aussi inclusive. De toute évidence, la coopération de la Russie avec la Turquie et les États du Golfe entrave pratiquement l’objectif stratégique des États-Unis de créer un arc de son système d’armes anti-missiles ABM dans le sud de l’Europe centrale, que l’administration Obama a poursuivie avec opiniâtreté. Certes, la perspective de l’OTAN de devenir le pourvoyeur de sécurité de la région, ce qui était un autre objectif américain, a considérablement diminué. En plus, si le recyclage du pétrodollar s’effondre progressivement, cela pourrait affaiblir sérieusement le système économique et financier de l’Ouest. Mais, ceci étant dit, la Russie n’a pas non plus l’illusion qu’une situation dans laquelle les États du Moyen-Orient exerceraient leur autonomie stratégique est au coin de la rue – Arabie saoudite incluse.
À court terme, cependant, du point de vue de la Russie, la coopération saoudienne aidera à négocier un règlement durable en Syrie. La création de zones de désescalade en Syrie installe des conditions qui favorisent bien le dialogue politique. Un dialogue inter-syrien doit également accompagner une compréhension régionale plus large parmi les puissances extérieures.
Il est possible que l’Arabie saoudite s’attende à ce que l’aide russe mette fin à la guerre débilitante au Yémen. De même, le rapprochement russo-saoudien, qui porte l’imprimatur du gardien des lieux saints, sera largement remarqué dans les régions musulmanes sunnites du Caucase du Nord. Et cela ne peut que renforcer la sécurité nationale de la Russie. De toute évidence, la diplomatie russe se prépare à la réconciliation avec le Moyen-Orient musulman sunnite après la défaite de ISIS et d’al-Qaïda dans une confrontation sanglante et extrêmement violente − où les alliés clés de la Russie étaient les milices chiite d’Iran et du Hezbollah. Ceci est un épisode du flux et du reflux de la marée de l’histoire centenaire commune de la Russie et du monde musulman.
M.K Bhadrakumar
Traduit par jj, relu par Cat pour le Saker Francophone
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