Il suffit de changer de point de vue pour avoir une autre version de la réalité. À droite, le président François Hollande en chef de guerre pour l’image officielle, doigt tendu vers l’horizon et, à gauche, la même scène élargie, où sa tête a peine à sortir des sacs de sable. Le journalisme est tout un art !
Par J.-M. Bourget – Le 30 janvier 2017 – Source Afrique-Asie
Ce qui est pénalisant dans le vieillissement, ce n’est pas seulement la difficulté que l’on éprouve à lacer ses chaussures, c’est que l’on parle de moments d’Histoire que personne n’a connu. Outre les amis bancals qui vous accompagnent sur le chemin du cimetière. Ainsi Geneviève Tabouis, une journaliste qui a déclamé pendant trente ans ses chroniques sur Radio Luxembourg, ça ne vous dit rien !
Cette amie d’Eleonora Roosevelt et de Joseph Staline avait coutume de démarrer son couplet par un sonore « Attendez-vous à savoir… ». N’étant ni l’ami de Melania Trump ni le cousin de Vladimir Poutine, je m’autorise quand même à vous lancer mon personnel « Attendez-vous à savoir… ».
Attendez-vous à savoir que dans les ateliers de Washington, là où l’on forge si bien le mensonge, une grande campagne est en cours de montage. Une entreprise de première grandeur qui mobilise aussi les orfèvres israéliens, toutes les petites mains du lobby néo-conservateur et les forces pures et vives de ces organisations non gouvernementales (sic) qui, par chance et goût de la démocratie, embrassent toujours les vœux de la CIA ou ceux de George Soros. C’est-à-dire la même chose !
Attendez-vous donc à savoir que le Hezbollah, pour le comportement supposé de ses soldats en Syrie, va être livré à l’accusation publique. Certains combattants de cette juste cause rêvent même de l’édification d’une CPI spéciale, comparable à celle chargée de désigner qui a envoyé Rafic Hariri au ciel.
Lecteurs d’Afrique-Asie, donc penseurs de l’autrement, vous avez tout de suite compris l’ambition des manipulateurs et leur enjeu : continuer par d’autres moyens, par l’arme médiatique, leur guerre perdue à Alep. Un ami sincère, un frère pourtant habitué à la magie des montreurs de lune, m’a informé de l’offensive. J’ai été surpris et même meurtri que ce combattant de toutes les libertés tombe dans le panneau : « Si, si, à Alep les miliciens du Hezbollah ont multiplié les atrocités … » Me voilà donc, une fois encore, alors que pour les connaitre je déteste les guerres, obligé de présenter le massacre comme une bagatelle. Et il l’est, si j’ose dire ! La certitude est la suivante, si les disciples de Nasrallah ont commis des crimes de guerre, il en va tout autant des soldats de la République arabe de Syrie et de ces humanistes islamistes décrits sous l’alléchante banderole de « rebelles modérés ». Sans parler des tueurs d’al-Nosra, amis de Fabius, et des barbares de Dae’ch. La guerre est toujours un crime et l’attelage des deux mots est une tautologie.
Attendez-vous donc à ce que nos journaux, qui n’ont rien vu à redire à l’impeccable comportement des criminels de masse agissant – du bon côté – en Afghanistan, en Irak, au Kosovo, en Libye, au Yémen, vous clouent les combattants chi’ites libanais au pilori planétaire. Alors que Trump ressort son bâton de Guignol contre l’Iran, il est bon que ces admirateurs de l’imam Hussein ne sortent pas trop puissants de ces ruines d’Alep qui ont été aussi un tombeau pour les espoirs de l’OTAN. Comme chacun sait, et comme vous le confirmera une lecture ordinaire du Monde, en dépit de ses dizaines de têtes nucléaires, « Israël est menacé dans sa survie par les criminels du Hezbollah ». D’urgence pendons donc ces soldats chi’ites si cruels et dangereux. Urgence… urgence… pas si sûr puisque, dans leur soif de justice, les experts du trébuchet mondialisé seront – forcément – occupés à punir dans un tour de rôle d’autres « crimes de guerre », ceux de Kissinger, Bush, Olmert, Clinton, Netanyahou, Sarkozy, du droneur Obama et autres étalons de la démocratie. Rappelons l’incontournable doctrine du vieux maître Jacques Vergès : « Vous ne pouvez condamner Barbie sans juger Massu. »
Ayons confiance en l’instinct suicidaire de la presse qui, d’un mensonge l’autre, roule sa toile de cirque pour s’en faire un linceul. Depuis sa chaire du Collège de France, Pierre Bourdieu a fini sa vie en combattant le système des médias-mensonges. En chirurgien des idées il évoquait la raison d’agir des journaux, surtout ceux du gratin, vrais chiens de garde de l’opinion, forts de leur « monopole de la violence symbolique ». Sans être un digne exégète, en parlant aujourd’hui de ces journalistes, je vais extrapoler la pensée du grand sociologue. Faut dire qu’il y a urgences, comme on l’écrit aux portes des hôpitaux, et mon néo-concept post-bourdieusien est de dire maintenant que nos nouveaux journalistes détiennent le missile parfait : le « monopole de la diffamation légitime ».
Après qu’aucune star du journalisme vrai, genre Florence Aubenas, n’a été expédiée à Alep pour nous écrire le bilan de six années de guerre, soyons sûrs que les ateliers du façonnage vont nous abreuver d’horribles nouvelles tirées de ce noir et récent passé. En 1999, suite à la guerre du Kosovo qui, même à zéro mort du côté des bons ne fut pas en dentelles mais en mensonges, l’admirable Edwy Plenel – qui veut être à la presse ce que Marx fût au Capital – nous a régalé d’un scoop : « Sans l’intervention de l’OTAN des dizaines de milliers de Kosovars auraient été exterminés dans un génocide. » Eh oui ! La preuve ? Plenel s’était procuré le plan « Fer à cheval », celui qui programmait, planifiait les massacres. Hélas le document d’Edwy était un faux écrit par les services secrets allemands. Zut !!!
Résumons. Entre des journalistes qui publient des documents façonnés et d’autres qui découvrent du gaz sarin où l’ONU n’en a pas remarqué, l’horizon médiatique est favorablement ouvert aux guerriers de l’info. Eux qui ne passent pas leur temps dans la boue ou les abris de béton, mais dans les fauteuils Eames des officines occidentales. Celles où l’on invente les « unes » de demain…
Jacques-Marie Bourget
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