Aux US, le délabrement des infrastructures coûte cher en vies humaines

Le 1er août 2007, un pont de l’autoroute Interstate 35W est tombé dans le fleuve Mississippi à Minneapolis pendant l’heure de pointe du soir. Treize personnes ont été tuées et 145 blessées. Crédit Ruth Fremson / The New York Times


Par Ron Nixon – Le 5 novembre 2015 – Source New York Times

WASHINGTON – Un voyage de routine pour faire des courses aurait pu coûter la vie à Katherine Dean. En février, alors que Mme Dean, de la banlieue de Maryland, conduit sous un pont sur la rocade de la capitale, un gros morceau de béton est tombé de la structure, écrasant le capot de sa voiture et brisant le pare-brise.

Elle n’a pas été blessée, mais l’incident l’a secouée. Après que les médias de masse se sont emparés de son histoire, l’État a présenté ses excuses et a ordonné aux fonctionnaires une inspection immédiate des autres ponts vieillissants le long de la route encerclant la banlieue de Washington, aussi connue sous le nom de Interstate 495.

«Ma plus grande crainte est que, une fois disparu des gros titres, l’événement va tomber dans l’oubli, a déclaré Stephen M. Gensemer, un avocat du Maryland qui a représenté Mme Dean dans le règlement financier avec l’État. Ce qui me préoccupe, c’est cette focalisation sur notre infrastructure vieillissante uniquement quand des morceaux de béton tombent sur un automobiliste.»

Il s’agit d’une préoccupation partagée par de nombreux Américains. D’un océan à l’autre, la collection du pays, autre fois enviée, de ponts, barrages, pipelines, usines de traitement des eaux usées et digues est aujourd’hui en ruine. Des études ont montré que le manque d’investissement dans l’infrastructure publique coûte des milliards de dollars par an en perte de productivité, car les gens perdent du temps dans la circulation ou attendent des livraisons en retard.

Le barrage du lac Murray près de Columbia, SC. Après de fortes pluies, 36 barrages en Caroline du Sud ont été emportés et 19 personnes sont mortes dans les inondations. Certains des barrages avaient plus de 100 ans. Crédit Chuck Burton / Associated Press

Mais les experts en infrastructures de transport disent que les mesures économiques masquent une menace plus grave pour la sécurité publique : chaque année, des centaines de décès, maladies et blessures peuvent être attribués à la rupture de ponts, de barrages, de routes ou d’autres structures en décomposition.

Jeudi, la Chambre a massivement approuvé un projet de loi sur les autoroutes qui entraînera d’importants investissements dans les infrastructures de transport au cours des trois prochaines années 1. Mais le projet de loi, et une version similaire du Sénat adoptée plus tôt dans l’année, sont encore loin de ce que les experts estiment nécessaire, à la fois en termes de temps et d’argent.

Rien que pour obtenir les autorisations, les procédures peuvent durer des années pour de nombreux projets, et les législateurs ont toujours dit que les lois sur six ans sont optimales afin que les États aient la capacité de planifier et de réparer correctement les structures en décomposition qui pourraient poser un risque pour la sécurité publique.

«Il ne fait aucun doute qu’il y a des répercussions sur la sécurité et les pertes humaines parce que nous ne prenons pas le temps ou ne dépensons pas l’argent nécessaire pour faire des infrastructures ce qu’elles devraient être», a déclaré Anthony R. Foxx, le secrétaire des transports, dans une interview.

Les projets de loi de la Chambre et du Sénat vont maintenant à la conférence, et une mesure définitive devrait être adoptée plus tard cet automne.

Il n’est pas tenu de registre national du nombre de décès, blessures et maladies causées par la détérioration des infrastructures, mais les rares données qui existent suggèrent que les structures nécessitant des réparations affectent la santé et la sécurité publique.

Le ministère fédéral des Transports estime que la conception obsolète des routes et les mauvaises conditions routières sont un facteur déterminant pour environ 14 000 décès chaque année. Une étude réalisée par Ted Miller, chercheur principal à l’Institut du Pacifique pour la recherche et l’évaluation, qui reçoit un financement du ministère des Transports, a calculé que le coût médical des blessures de la route dues aux mauvaises conditions routières se monte à $11,4 Mds en 2013, selon les dernières données disponibles.

Le problème va au-delà des routes. Les recherches menées par le National Transportation Safety Board montrent que depuis 2004, environ 77 décès et 1 400 blessures auraient pu être évités si les chemins de fer avaient installé un système de sécurité connu sous le nom de Contrôle Positif des Trains. Cela inclut le déraillement d’un train de la compagnie Amtrak en mai qui a tué huit personnes et blessé des centaines d’autres à Philadelphie.

Selon la plus récente enquête annuelle par le Center for Disease Control and Prevention, les épidémies liées à l’eau potable ont causé 431 cas de maladie, 102 hospitalisations et 14 décès, dont de nombreux liés au vieillissement et à l’effondrement des systèmes de distribution d’eau. Une étude indépendante de 2008 a suggéré que le problème pourrait être nettement plus important parce que beaucoup de ces maladies ne sont pas signalées.

Au cours des dernières années, plusieurs défaillances très médiatisées de routes, de ponts, de pipelines de pétrole et de gaz naturel ont mis en évidence le manque de dépenses sur les infrastructures et l’incapacité des États impécunieux à inspecter correctement leurs structures.

Une voiture a été tirée de la rivière Mississippi après l’effondrement d’un pont sur l’Interstate 35W en 2007. Crédit Ruth Fremson / The New York Times

Plus récemment, en Caroline du Sud, 36 barrages sont effondrés après de fortes pluies. Environ 19 personnes sont mortes dans les inondations, la plupart du temps dans leurs voitures par les vagues d’eau qui ont submergé leurs véhicules.

Des documents réglementaires de l’État montrent que beaucoup de ces barrages, certains d’entre eux âgés de plus de 100 ans, avaient des antécédents de défaillances et que le programme d’inspection des barrage de l’État a longtemps été critiqué pour être parmi les plus faibles dans la nation. En 2014, l’État a dépensé seulement $260 000 dans son programme de sécurité des barrages pour tout le pays !

«Pour autant que je sois concerné, toutes les morts que nous avons eues dans l’état peuvent être attribuées à l’effondrement de barrages», a déclaré le représentant de l’État Joseph H. Neal, un démocrate, qui représente les parties du comté de Richland.

Au plan national, 73 barrages se sont rompus depuis 2010, non compris les récents en Caroline du Sud, selon l’Association des fonctionnaires de la Sécurité d’État pour les barrages. Les données montrent que la plupart des ruptures ont été causées par des conditions météorologiques extrêmes. L’âge moyen des barrages en question était de 62 ans.

«C’est un grave problème de sécurité publique», a déclaré Lori Spragens, le directeur exécutif de l’association.

Les experts disent que la même chose pourrait être dite au sujet d’autres structures en désintégration. Depuis que le pont Interstate 35W dans le Minnesota s’est effondré dans le Mississippi en 2007, tuant 13 personnes et en blessant 145, la sécurité des ponts a été à l’honneur.

Selon la Société américaine des ingénieurs civils, environ un pont sur neuf à l’échelle nationale est considéré comme structurellement déficient – c’est à dire comme sûr pour voyager, mais ayant besoin de rénovation ou de remplacement.

Le morceau de béton qui a failli tuer Mme Dean venait d’un pont construit en 1963. Il était déjà sur la liste des quelques 80 ponts du Maryland réputés structurellement déficients et était dans une phase d’étude pour être rénové, ont indiqué des responsables.

Maintenant, il sera remplacé pour un coût de $15 à 20 millions, a déclaré David Buck, porte-parole de l’administration des autoroutes pour l’État du Maryland.

Beaucoup de structures en ruine à l’échelle nationale sont négligées parce qu’elles sont hors de la vue. Le sénateur Bob Casey, démocrate de Pennsylvanie, a déclaré que les 2,5 millions de miles de pipelines du pays qui transportent le pétrole et le gaz naturel en étaient un excellent exemple.

«La plupart d’entre eux sont enterrés sous les rues de sorte que ce n’est pas quelque chose que les gens voient tous les jours et cela ne les inquiète pas, a déclaré M. Casey. Mais nous les ignorons à nos risques et périls.»

En 2011, cinq personnes, dont un enfant en bas âge, sont mortes quand un pipeline vieux de 100 ans a explosé à Allentown, en Pennsylvanie. Les fonctionnaires de l’État avaient recommandé le remplacement de la canalisation près de 30 ans plus tôt.

Patty Voight, un résident à King of Prussia, Pa., a déclaré que ses parents ont perdu leur maison dans l’explosion et se sont échappés de justesse. Mme Voight a déclaré qu’elle espérait que davantage d’attention serait portée au vieillissement des infrastructures à la suite de l’explosion. «Nous devons mettre un visage humain sur les dangers», dit-elle.

Quatre-vingt-cinq pour cent des pipelines relèvent du contrôle par l’État. Un audit de l’année dernière réalisé par le ministère des Transports a révélé que l’administration de la sécurité des pipelines et des matières dangereuses n’a pas pu confirmer que les inspecteurs de l’État ont été correctement formés, que les inspections ont été menées avec la régularité voulue, et que les inspections ont porté sur les canalisations les plus risquées.

M. Casey a appelé à un financement supplémentaire pour une surveillance accrue des pipelines, plus d’inspections et la modernisation des pipelines vieillissants.

Les dépenses d’infrastructure sont demeurées stables depuis des décennies. Selon les données du Congressional Budget Office non partisan, les gouvernements ont dépensé collectivement 2,4% du produit intérieur brut de la nation pour les infrastructure depuis 1956. Les experts du transport disent que ce pourcentage devrait être plus élevé parce que les besoins de réparation sont à la hausse.

L’année dernière, environ $416 Mds ont été consacrés à l’infrastructure – environ $320 Mds provenant des États et $96 Mds du gouvernement fédéral.

Une grande partie de l’infrastructure de l’Amérique a été construite il y a plusieurs décennies avec l’idée que les structures resteraient en place pour 50 ans au maximum. Mais de nombreuses structures ont dépassé cet âge.

Les législateurs des deux partis disent que l’entretien de l’infrastructure vieillissante de l’Amérique est une priorité, mais que la pression politique pour limiter les dépenses du gouvernement est un obstacle.

Bien que le projet de la Chambre adopté jeudi semble donner une certitude pour les projets d’infrastructure au cours des trois prochaines années, ni le projet de la Chambre, ni celui du Sénat ne répondent à un manque chronique de financement pour le Highway Trust Fund, qui paie pour la plupart des projets routiers du gouvernement fédéral.

Le fonds est presque insolvable parce que son financement est basé sur une taxe sur l’essence qui est fixée à 18,4 cents le gallon. La taxe n’a pas été augmentée depuis 1993 et ​​n’est pas indexée sur l’inflation. En outre, une plus grande efficacité énergétique des voitures modernes a réduit la consommation d’essence.

«Nous pouvons nous enfouir la tête dans le sable et continuer à attendre jusqu’à ce que quelque chose tombe, a déclaré Michael E. Kreger, un professeur de génie civil à l’Université de l’Alabama. C’est comme une voiture pour laquelle vous ne faites rien, à part changer l’huile. À un certain moment, elle va vous laisser sur le bord de la route.»

Vidéo de l’écroulement du pont de l’autoroute I-35W sur le Mississipi en 2007 qui a fait 13 morts et 145 blessés.

Traduit et édité par jj, relu par Diane pour le Saker Francophone

  1. Un budget de $300 Mds à comparer au budget (officiel) du Pentagone de $680 Mds sans le coût des guerres en cours
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