Autopsie des accords de Minsk


Par The Saker − Le 18 décembre 2019 − Source thesaker.is via Unz Review

2015-09-15_13h17_31-150x112Le récent sommet de Paris et les quelques jours qui l’ont suivi ont apporté beaucoup de clarté sur l’avenir des accords de Minsk. Version courte : Kiev les a officiellement rejetés – en rejetant à la fois la séquence des étapes et plusieurs étapes cruciales. Pour ceux qui sont intéressés, regardons un peu plus loin.

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Tout d’abord, ce qui vient de se passer

D’abord, voici les extraits clés de la Conférence de Paris et des déclarations faites par «Ze» [Zelensky, président ukrainien] et son chef, Arsen Avakov [Ministre de l’intérieur] juste après leur retour à Kiev :

Déclaration de la conférence de Paris : source

Les accords de Minsk (Protocole de Minsk du 5 septembre 2014, Mémorandum de Minsk du 19 septembre 2014 et Paquet de mesures de Minsk du 12 février 2015) continuent d'être la base des travaux du format Normandie par lequel les États membres se sont engagés à leur pleine mise en œuvre ( …) Les parties expriment leur intérêt à s'entendre au sein du format Normandie (N4) et du groupe de contact trilatéral sur tous les aspects juridiques de l'Ordre spécial pour l'autonomie locale - statut spécial - de certaines régions de Donetsk et de Lougansk - comme indiqué dans le paquet de mesures pour la mise en œuvre des accords de Minsk à partir de 2015 - afin d'assurer son fonctionnement sur une base permanente. Ils estiment nécessaire d'incorporer la «formule Steinmeier» dans la législation ukrainienne, conformément à la version convenue au sein du N4 et du Groupe de contact trilatéral.

Déclaration du président «Ze» à la télévision ukrainienne : (usage interne, traduction) : source

Ze : La question la plus difficile est celle du transfert du contrôle des frontières à l'Ukraine. C'est très drôle, parce que c'est notre frontière et le transfert du contrôle se fait à nous-mêmes. 

Mais c'est un point faible, le talon d'Achille de l'Accord de Minsk. C'est ce que nous avons signé, malheureusement. Nous pouvons en discuter très longtemps. Peut-être, les conditions étaient telles à l'époque. 

Mais nous avons signé que nous ne prendrions le contrôle de notre frontière qu'après les élections sur les territoires temporairement occupés. Nous avons consacré beaucoup de temps à cette question, nous en avons discuté en détail, nous avons des positions très différentes avec le président de la Russie.

Mais c'est la position de Minsk, nous devons comprendre cela. Je n’apprécie qu'une chose, c'est que nous avons commencé à en parler. Nous avons convenu que nous continuerons à en parler en détail et selon les différentes variantes lors de notre prochaine réunion.

C'est aussi une victoire, car nous aurons une réunion dans quatre mois. 

Question : Que pensez-vous, est-il possible de modifier l'accord de Minsk ?

Ze : Ce sera très difficile à faire, mais nous devons le faire. Nous devons le changer. Tout d'abord, nous devons comprendre que cela fait plus de quatre ans que l'accord de Minsk a été signé. Tout change dans la vie. Nous devons comprendre que ce n’est pas mon équipe qui a signé l’accord de Minsk, mais nous, en tant qu'État, devons remplir les conditions que notre pouvoir à l’époque avait acceptées. Mais je suis sûr que nous pourrons changer certaines choses. Nous allons les changer. 

Parce que le retour de la frontière ukrainienne sous notre contrôle seulement après les élections, - ce n'est pas notre position. J'ai parlé à ce sujet, je ne sais pas combien de fois, mais c'est la décision finale.

Déclaration d’Arsen Avakov à la télévision ukrainienne : (usage interne, traduction) : source

La philosophie du contrôle des frontières… la partie de la frontière sur laquelle nous n'avons aucun contrôle est de 408 kilomètres. Ce n’est pas si facile de la reprendre, de l’équiper, même de s’y rendre en passant par les territoires ennemis. C’est une procédure. 

En guise de compromis, nous avons proposé le schéma suivant : nous commencerons à prendre la frontière sous notre contrôle au Nouvel An, puis petit à petit, nous réduirons la longueur de la frontière que nous ne contrôlons pas, et un jour avant les élections locales, nous fermerons la frontière, nous fermerons ce goulot d'étranglement. Et de cette façon, nous obtiendrons le contrôle de la frontière. Pourquoi n'est-ce pas un bon compromis ? Considérant qu'en même temps selon la formule Steinmeier, ils doivent désarmer toutes les formations armées illégales de ce pseudo-État DNR. C'est ainsi que nous voyons le compromis.

En d’autres termes, le président officiel et le président de fait de l’Ukraine sont d’accord : l’Ukraine ne mettra pas en œuvre les accords de Minsk tels qu’ils ont été rédigés, promulgués par le Conseil de sécurité des Nations Unies et clarifiés par la soi-disant formule Steinmeier.

Les propagandistes ukrainiens à la télévision russe – oui, les propagandistes nationalistes ukrainiens et extrémistes obtiennent quotidiennement du temps d’antenne à la télévision russe, pour une explication, voir ici et  – sont passés en mode de contrôle des dommages et ont expliqué tout cela en disant : «Ce ne sont que des mots, ce qui compte, c’est ce que Zelenskii a signé à Paris».

Ils ont tort. Tout d’abord, les déclarations faites es qualité par le Président ou le Ministre de l’intérieur représentent des déclarations politiques officielles. Deuxièmement, cette explication ignore complètement la raison pour laquelle Ze et Avakov ont dit ces choses.

Cette raison est très simple : Ze a cédé aux Ukronazis, complètement. Il utilise maintenant exactement la même rhétorique que Porochenko, malgré le fait que la seule raison pour laquelle il a été élu est qu’il s’est présenté comme l’ultime recours anti-Porochenko. Maintenant, tout ce que nous voyons est du Porochenko 2.0.

Ainsi, dans la lutte en coulisses – mais bien réelle – entre le camp sioniste (Kolomoiskii et Zelenskii) et le camp Ukronazi (Avakov et Porochenko), ces derniers ont réussi à prendre le contrôle des premiers et maintenant les chances de sauver une Ukraine unitaire sont tombées à l’eau, peut-être pas tout à fait zéro, mais à quelque chose comme 0,000000001% – j’écris ceci sous la rubrique «ne jamais dire jamais» et parce que je me suis déjà trompé dans le passé.

Que se passe-t-il ensuite ?

Telle est la question intéressante. En théorie, les Quatre de Normandie se retrouveront dans quatre mois. Mais cela suppose que des progrès auront été accomplis. Eh bien, il est possible que sur quelques sections de la ligne de contact [avec les républiques sécessionnistes], il y ait un retrait supervisé des forces de l’OSCE. Mais, soyons honnêtes ici, les gens ont vu beaucoup, beaucoup de ces retraits promis, et ils se sont tous révélés faux. Soit les Ukronazis retournent dans la zone neutre en revendiquant d’énormes victoires sur la «force armée russe» (sic), soit ils recommencent à bombarder des civils, soit ils ne prennent même jamais la peine de changer de position. Tout retrait est une bonne chose s’il peut sauver une seule vie ! Mais aucun retrait ne réglera quoi que ce soit dans ce conflit.

Deuxièmement, il y a beaucoup de politiciens ukrainiens qui disent maintenant que les citoyens de la LDNR [Novorussie : les républiques sécessionnistes] n’ont qu’à «retourner» en Russie s’ils n’aiment pas le coup d’État ukronazi ou son idéologie. Ils ne se rendent pas compte, ou s’en foutent, qu’il y a très peu de volontaires russes en Novorussie et que la grande majorité des hommes et des femmes qui composent les forces du LDNR sont des locaux. Soit dit en passant, ces habitants entendent clairement le message des Ukies : vous feriez mieux de partir tant que vous le pouvez, car lorsque nous nous présenterons, vous serez tous poursuivis pour terrorisme et aide aux terroristes, c’est aussi quelque chose que les Ukronazis aiment répéter jour après jour. Soit dit en passant, alors qu’au Banderastan [l’Ukraine fasciste] toutes les chaînes de télévision russes sont censurées et qu’elles essaient également de censurer l’Internet en langue russe, en Novorussie, toutes les chaînes de télévision ukrainiennes, et russes, sont disponibles gratuitement. Donc, dès qu’un monstre nazi sort et dit quelque chose de fou comme «nous allons créer des camps de filtration» – alias camps de concentration – cette nouvelle se diffuse instantanément dans toute la Novorussie, ce qui ne fait que renforcer la détermination des habitants de la LDNR à lutter jusqu’à la mort plutôt que d’accepter une occupation nazie.

Je l’ai dit à plusieurs reprises, la seule chance de Zelenskii était de réprimer les nazis dès qu’il a été élu. Soit il n’a pas eu le courage de le faire, soit ses patrons américains lui ont dit de les laisser tranquilles. Quoi qu’il en soit, c’est fini, nous sommes de retour à la case départ.

Le scénario le plus probable est un «gel lent» du conflit, ce qui signifie que maintenant que Kiev a officiellement et ouvertement rejeté les accords de Minsk, il y aura des négociations mineures – peut-être – mais que, fondamentalement, le conflit sera gelé.

Ce sera le dernier clou dans le cercueil de la soi-disant «Ukraine indépendante» pro-UE, pro-OTAN, car la condition la plus importante pour tenter de sauver l’économie ukrainienne, à savoir la paix, a maintenant disparu. En outre, le climat politique en Ukraine va encore se détériorer, la minorité nazie détestée, ajoutée à une crise économique encore pire, sont la recette parfaite pour un désastre.

Pour les Novorussiens, c’est clair : la portion nazie de l’Ukraine croupion n’en veut pas, et Kiev n’acceptera jamais l’accord de Minsk. Cela signifie que le LDNR se séparera de cette Ukraine là et rejoindra à temps la Russie. Adieu Banderites et Ukronazis !

L’ Ukraine croupion finira par se dissoudre davantage : la Crimée était vraiment le «joyau de la mer Noire» et son avenir semble extrêmement brillant tandis que le Donbass [en Novorussie] était la plus grande source de matières premières, d’énergie, d’industrie, de haute technologie, etc. Ce qui reste de l’Ukraine, la partie ouest, soit restera pauvre ou sous-développée, soit devra rétablir les liens économiques avec la Russie du Sud. En outre, Zelenskii et son parti tentent maintenant de précipiter une nouvelle loi, par le biais de la Rada, son parlement, qui permettra la vente de terres ukrainiennes à des intérêts privés – alias intérêts étrangers alliés à un oligarque local. En conséquence, il y a maintenant un nouveau volcan «maidan» qui couve, opposant Iulia Timoshenko et d’autres dirigeants nationalistes à Zelenskii et à son parti. Cela pourrait devenir une crise majeure très rapidement, surtout maintenant qu’il semble que Zelenskii reviendra également sur sa promesse d’appeler à un référendum national sur la question de la vente/privatisation des terres.

Quant aux Russes, ils se rendent déjà compte que Ze est un bouffon, sans surprise car c’est un comique de métier, et que les Ukrainiens «ne sont pas capables de tenir un accord». Ils le traiteront comme ils l’ont fait avec Porochenko ces dernières années : l’ignorer complètement et ne même pas prendre ses appels téléphoniques. À l’heure actuelle, il ne reste qu’un tout petit peu de bonne volonté à Moscou, mais elle se tarit si vite qu’elle va bientôt disparaître totalement. De plus, les Russes ne s’en soucient plus vraiment : les sanctions se sont avérées être une bénédiction, le temps travaille pour la Russie, les Ukronazis détruisent leur propre État et, enfin, les choses importantes pour la Russie se passent en Asie, non à l’ouest.

Les Européens mettront beaucoup de temps à accepter deux faits simples. D’abord que la Russie n’a jamais été partie prenante de ce conflit sinon cela aurait été terminé depuis longtemps déjà, et ensuite que depuis toujours les Ukronazis sont ceux qui ne mettront pas en œuvre les accords de Minsk

Cela signifie que les politiciens qui étaient derrière le soutien de l’UE à l’Euromaidan (Merkel) devront partir avant que leurs successeurs ne puissent dire que, zut, nous avons confondu les couleurs, le blanc est en fait noir et le noir s’est avéré être blanc. Ça ira, les politiciens sont plutôt bons dans ce domaine. La lune de miel entre Kiev et Varsovie, d’une part, et Berlin, d’autre part, se terminera bientôt, car les temps sont durs.

Macron a bien meilleure allure, et il poursuivra probablement ses efforts pour rétablir des relations semi-normales avec la Russie, dans l’intérêt de la France d’abord, mais aussi finalement du reste de l’UE. Les Polonais et les Baltes vont l’accuser de «trahison» et il les ignorera.

Quant à Trump, il fera très probablement de petits pas vers la Russie, mais la plupart de son énergie sera dirigée soit vers l’intérieur – impeachment oblige – soit vers l’extérieur – Israël – mais pas vers le conflit ukrainien. Bonne chose.

Conclusion

C’est fini. La Crimée et le Donbass ont disparu pour toujours, la première de jure, le second simplement de facto. L’Ukraine croupion est complètement bancale – sauf une sorte de coup d’État, suivi par un gouvernement d’unité nationale soutenu par Moscou, hypothèse que je considère comme hautement improbable.

Si vous vivez en Occident, ne vous attendez pas à ce que vos médias nationaux rendent compte de tout cela. Ce seront les derniers à l’admettre, les journalistes ont une durée de vie plus longue que les politiciens, il leur est plus difficile de faire volte-face.

The Saker

PS : pour avoir une idée du genre d’acrobaties idiotes dont l’équipe de Ze s’occupe maintenant, il suffit de voir celle-ci : ils ont, en fait, essayé de falsifier la version ukrainienne du communiqué de Paris. Pour plus de détails, voir le rapport de Scott ici . Si l’Ukraine était un jardin d’enfants, alors «Ze» serait une maîtresse parfaite ou un excellent clown invité. Mais pour un pays qui se bat pour sa survie, de tels cascades sont en effet un très, très mauvais signe !

Traduit par jj, relu par Hervé pour le Saker Francophone

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