Alliance germano-japonaise contre « America First » : des retours de flamme importants à venir ?


Par Andrew Korybko – Le 9 février 2019 – Source orientalreview.org

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Le Japon vient de s’allier à l’Allemagne contre Trump. Le premier ministre Abe a reçu la chancelière Merkel en début de semaine, et s’est engagé à approfondir ce qu’il a décrit comme l’« alliance de multilatéralistes », en place entre les deux pays, et surtout entre les deux dirigeants. Ces deux grandes puissances s’opposent à l’idéologie de Trump « America First », qui vise à prioriser les intérêts de son pays dans toutes les décisions de politique étrangère et économiques, au lieu de « se sacrifier pour les autres » au nom d’un soi-disant « bien général » de ses « alliés » supposés et du reste du monde.

La chancelière allemande Angela Merkel, à gauche, accueillie par le premier ministre japonais Shinzo Abe, à son arrivée à la résidence officielle de ce dernier à Tokyo, au Japon, le 4 février 2019.

Abe et Merkel se rangent parmi les libéro-mondialistes, idéologiquement opposés aux visions hyper-réalistes de Trump des relations internationales, et c’est pour cela qu’ils mettent en commun leurs efforts pour entraver ses ambitions mondiales.

Les marges de manœuvre de ces deux pays occupés par les USA sont en réalité fortement limitées en la matière, mais le fait qu’ils aient signé ensemble récemment un Accord de partenariat économique [Economic Partnership Agreement, NdT], qui donne à l’Allemagne et au reste de l’UE un point d’ancrage dans le Comprehensive and Progressive Agreement for Trans-Pacific Partnership (CPTPP, ou TPP sans les USA) : cela montre à quel point ils veulent défier les dimensions économiques de la vision « America First » de Trump. Et sur le plan géopolitique, l’Allemagne avance fièrement son projet de Nord Stream II, malgré les fortes résistances étasuniennes, tandis que le Japon s’engage dans des pourparlers avec la Russie pour enfin signer un traité de paix concluant la seconde guerre mondiale.

Ce n’est pas tout : l’initiative allemande de créer une soi-disant « Armée européenne », et les différents latents entre le Japon et la Corée du Sud montrent à qui veut le voir que les USA sont en train de perdre le contrôle de leurs partenaires mineurs, ou plutôt, n’ont plus le niveau de contrôle absolu qu’ils ont connu, et doivent s’adapter en conséquence à ces changements, en usant du stratagème « Diriger Depuis l’Arrière », qui consiste à sous-traiter les responsabilités du contrôle régional à des partenaires de même sensibilité. Mais même dans ce nouvel environnement, les deux grandes puissances peuvent essayer d’employer leur partenariat, en cours d’approfondissement, et les possibilités qu’elles partagent, comme leviers dans leurs relations individuelles avec les USA.

Économiquement, et sur le plan géopolitique, les USA ont encore la main sur chacun des deux pays : leur niveau de dépendance envers le marché étasunien est important, et ils sont tous deux désespérément incapables de se débarrasser de la présence militaire étasunienne sur leur sol ; mais Washington pourrait se voir néanmoins contrainte à « trouver des compromis » avec eux sur les sujets commerciaux, s’ils jouent leur jeu intelligemment et de manière coordonnée. Par exemple, les deux pays étendent en ce moment leurs relations avec la Chine, au travers des Routes de la soie, et cela pourrait être interprété par les USA comme à leur désavantage, dans un jeu à somme nulle, sauf si ces derniers acceptent de négocier des accords plus favorables à l’Allemagne et au Japon pour les empêcher de remplacer l’importance stratégique étasunienne dans leurs économies.

Mais dans le même temps, cet affront stratégique pourrait provoquer l’ire de Trump, et le faire doubler la mise avec les rivaux régionaux des deux pays, ici la Pologne et la Corée du Sud. Washington veut diriger « l’initiative des trois mers », constituée des États d’Europe Centrale et de l’Est, et Séoul a prouvé aux USA qu’elle constituait un allié fiable, et sans désir de trop « secouer la barque » en cas de désaccord avec Washington. Les USA pourraient donc essayer de les « récompenser » pour leur « loyauté », en leur accordant des avantages géopolitiques pour la Pologne et économiques pour la Corée du Sud.

Pour ces raisons, l’alliance germano-japonaise pourrait bien engendrer des retours de flamme vers ces deux grandes puissances, si Trump décidait de les punir plutôt que d’essayer de négocier un accord pragmatique avec elles. Leurs marges de manœuvres stratégiques sont déjà très limitées en l’état, et un soutien étasunien accordé à leurs rivaux géostratégiques respectifs pourrait leur compliquer la tâche encore davantage. Les USA ne permettraient jamais que ni l’un ni l’autre n’en appelle à un soutien russe ou chinois, dans l’hypothèse improbable où un tel soutien serait demandé, mais ils peuvent quand même essayer de faire jouer leurs partenariats stratégiques à des fins constructives.

Le présent article constitue une retranscription partielle de l’émission radiophonique context countdown, diffusée sur Sputnik News le vendredi 8 février 2019.

Andrew Korybko est le commentateur politique américain qui travaille actuellement pour l’agence Sputnik. Il est en troisième cycle de l’Université MGIMO et auteur de la monographie Guerres hybrides : l’approche adaptative indirecte pour un changement de régime (2015). Le livre est disponible en PDF gratuitement et à télécharger ici.

Traduit par Vincent pour le Saker Francophone

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